[Gabon] Bataille judiciaire impitoyable entre Oligui Nguema et la famille d’Ali Bongo
Alors qu’il a lancé de manière officielle les fonds baptismaux de son parti politique – Union démocratique des bâtisseurs – le 5 juillet 2025, et qu’il s’apprête à demander le suffrage de ses compatriotes lors des législatives et locales des 27 septembre et 11 octobre prochains afin d’avoir une majorité confortable au Parlement, le président gabonais, Brice Oligui Nguema est désormais englué dans une bataille judiciaire avec la famille de son prédécesseur. Cette bataille, à juste titre, laissera beaucoup plumes de part et d’autre. Plébiscité avec 94,85 % des voix, le président du Gabon, en voyage actuellement aux Etats Unis, avait été élu en avril dernier pour un mandat de sept ans.
Des organisations de la société civile gabonaise portent également plainte contre Ali Bongo et sa famille
C’est au mois de mai 2024, que l’ex-président gabonais Ali Bongo Ondimba, son épouse Sylvia et leur fils Noureddine portaient plainte contre les autorités de Libreville devant la justice française pour « séquestration, détention arbitraire, actes de torture et de barbarie ».
A la suite de cette plainte, tous trois ont été entendus le lundi 30 juin et le mardi 1er juillet 2025 par deux juges d’instruction du pôle Crimes contre l’humanité du Tribunal de grande instance de Paris. Devant les magistrates en charge d’examiner leur plainte, l’ex-président gabonais, entendu sous le statut de partie civile, a fait le récit de l’ostracisme qu’il dit avoir subi 21 mois durant, dans la foulée de son renversement par les militaires du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI). Ses avocats ayant rappelé que si, juridiquement, leur client n’avait pas été assigné à sa résidence de La Sablière, il n’avait, dans les faits, pas été libre de ses mouvements, Ali Bongo s’est également attardé sur l’angoisse ressentie pour son épouse et leurs fils restés prisonniers du jour du coup d’État jusqu’à celui de l’exfiltration de toute la famille vers l’Angola puis l’Europe en mai dernier.
Comme si la famille Bongo voulait voler la vedette au lancement de l’Union démocratique des bâtisseurs (UDB), c’est le 3 juillet – avant-veille de l’événement – que Sylvia Bongo et Noureddine Bongo décident de faire une Déclaration publique abondamment relayée dans les réseaux sociaux, dans laquelle les mêmes griefs exposés devant les juges français se retrouvent naturellement. « Nous ne nous tairons pas face à la terreur et à l’injustice. Notre famille a été kidnappée et prise en otage jusqu’au plus jeune enfant âgé d’un an. Nous avons subi humiliations et mises en scènes mensongères. Nous avons été pendant près de deux ans mis en isolement dans une cellule vide entre la prison centrale de Libreville et un bureau de la Garde Républicaine au sous-sol du palais présidentiel, six étages en dessous des appartements de la présidence », affirment-ils.
À Libreville, les autorités gabonaises n’ont pas tardé à réagir. « La présidence gabonaise prend acte de cette déclaration », a déclaré le porte-parole de la présidence Théophane Nzame-Nze Biyoghe. Il a rappelé que Sylvia Bongo et son fils sont en liberté provisoire. Avant d’ajouter qu’ils devraient, à son avis « profiter de cette liberté pour préparer leur défense, car les chefs d’accusation qui pèsent contre eux sont très graves : haute trahison contre les institutions de l’État, détournement de deniers publics massif, malversations financières internationales en bande organisée, falsification de la signature du président de la République, corruption active entre autres ». Par ailleurs le Gabon qui continue de nier ces accusations de torture n’a pas souhaité s’exprimer sur la plainte déposée à Paris, à cause de l’indépendance de la justice ; on assure toutefois à Libreville qu’un procès se tiendra au Gabon, même en l’absence des mis en cause : « La justice sera rendue au nom du peuple gabonais, pas sur les réseaux sociaux ou dans les médias, mais bien dans le prétoire de notre pays ».
Quant au président Brice Clotaire Oligui Nguema, le principal mis en cause par la famille Bongo, il a déclaré sur ce dossier au cours d’une rencontre avec des responsables des institutions de la République : « Le Gabon est respectueux des droits de l’homme. Si on a réussi à faire un coup d’État sans effusion de sang, ce n’est pas deux individus qui seront torturés, dans ce pays ». Inutile de rappeler qu’après 14 ans de pouvoir, Ali Bongo Ondimba a fait beaucoup de mécontents. La preuve, dans la foulée de la sortie de la présidence, plusieurs organisations de la société civile gabonaise ont annoncé, au cours d’une conférence de presse, leur intention de porter plainte à l’international contre l’ancien président Ali Bongo et sa famille pour « crimes de sang et crimes financiers à grande échelle ». L’arroseur arrosé !
Elu en 2023 malgré son handicap suite à un AVC
Ayant succédé à la tête du Gabon à son père – Omar Bongo Ondimba, président de 1967 à 2009 – en 2009 Ali Bongo Ondimba avait été victime d’un coup d’Etat le 30 août 2023, à la suite d’une élection présidentielle empreinte d’aucune règle démocratique, qu’il venait de gagner, et ce malgré son handicap suite à un AVC. Son tombeur n’étant autre que l’ancien Commandant de la garde présidentielle du pays ; beaucoup plus soucieux d’offrir aux Gabonais un autre destin d’ailleurs humanisé que celui jusque-là offert par les Bongo, de père en fils. Incarcérés plus tard, c’est en mai dernier qu’Ali Bongo, sa femme Sylvia et son fils Noureddine ont été libérés. Une libération intervenue à la suite des tractations diplomatiques menées et réussies par le président angolais João Lourenço, alors à la tête de l’Union africaine.
Au cours de leurs 14 années au pouvoir, la famille Bongo a été accusée d’avoir accumulé des richesses au détriment du pays. L’enquête gabonaise conclut qu’Ali Bongo a reçu 266 milliards de francs CFA (environ 406 millions d’euros) de virements irréguliers sur son compte bancaire en dix ans. Le parquet estime que plusieurs villas et appartements ont été achetés grâce à des rétro commissions d’équipements militaires. Il se penche également sur des ventes illégales de pétrole et d’autres produits, acceptées par les anciennes autorités sur fond de corruption. Avant son élection à la présidence début avril, Brice Clotaire Oligui Nguema avait affirmé qu’un procès
« aurait lieu ». Car Sylvia et Noureddine Bongo sont poursuivis pour plusieurs chefs d’accusation, dont détournement de fonds publics et blanchiment de capitaux. Maintenant que le décor est planté, on attend le commencement des procès, au Gabon et en France. Nul doute que cela tiendra en haleine pendant de longs mois, le Gabon et toute l’Afrique.
Serge HENGOUP (Un correspondant particulier)
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