Entretien avec : M. Kabo Alioun Badara (conservateur-adjoint de la Maison des Esclaves): « Aujourd’hui, voici ce que devient la maison »
L’histoire de l’île de Gorée au large de Dakar, Sénégal, se confond avec celle de la Maison des Esclaves. En l’absence, M. Eloi Coly conservateur des lieux, son adjoint, M. Kabo Alioun Badara a bien voulu nous recevoir. Au cours de l’entretien réalisé dans son bureau, dans l’enceinte des lieux où se sont déroulées des « atrocités », le temps est au « pardon » et à la « réconciliation”, entre les peuples du monde. « Il faut pardonner, mais ne pas oublier » . Lisons plutôt…
Que devient la Maison des Esclaves ?
La Maison des Esclaves est, à la fois, un lieu de pardon et de recueillement. C’est vrai que c’est une Maison qui est très visitée, qui reçoit beaucoup de monde. C’est un sanctuaire d’autant plus que les gens viennent pour s’y recueillir. Nous recevons des descendants d’esclaves, des ‘’Afro-descendants’’ comme les gens les appellent. Qui viennent des Antilles, des Etats-Unis, de l’Europe, d’un peu partout à travers le monde pour se recueillir parce que l’Afrique est le sol de leurs ancêtres. C’est un véritable pèlerinage pour ces personnes-là quand elles viennent à la Maison des Esclaves de Gorée. C’est aussi un lieu de pardon. En un mot, cette maison est un lieu de réconciliation et de pardon.
Les présidents François Mitterrand de la France, Nelson Mandela de l’Afrique du Sud, Barack Obama des Etats-Unis ainsi que le Pape Jean-Paul II sont passés ici. Peut-on avoir la quintessence des messages qu’ils ont laissés ?
Je n’ai pas en tête le message de tous ces dirigeants. Ce sont des messages de paix qui sont inscrits dans des livres d’or que nous avons conservés.
Est-ce que vous pouvez les sortir pour nous ?
Ça va être long, parce que Mitterrand c’est en 1989…
Mais le dernier c’était le président des Etats-Unis, Barack Obama…
C’est vrai, le président Barack Obama était là le 27 juin 2013. (Il tourne son regard vers le mur où est encore accroché le message du président qu’il lit en anglais) : » We are grateful for the opportunity to learn more about the painful history of the slave trade, and to help remind us of the need remain vigilant on behalf of all humankind. » Traduction en français: « Nous sommes reconnaissants de l’occasion d’en apprendre davantage sur l’histoire douloureuse de la traite négrière et de nous rappeler la nécessité de rester vigilants au nom de toute l’humanité.«
Quelles sont les questions qui reviennent de façon récurrente pendant les visites de la Maison des Esclaves ?
Les questions récurrentes sont nombreuses, mais généralement les touristes veulent savoir comment s’est faite la collecte des esclaves ?
Et quelle est votre réponse ?
Je leur dis qu’à cette époque, il y avait deux moyens de collectes des esclaves, principalement. Le premier moyen, c’était la razzia, c’est-à-dire l’opération de capture des populations, organisée par les Européens. Mais ces Européens-là ne connaissant pas suffisamment le terrain, ils ont naturellement dû se servir de complices parmi la population locale. Il s’agit donc, d’aller dans des villages à cheval ou à pieds pour capturer les bras valides.
Le deuxième moyen, c’étaient les guerres tribales. Vu qu’à l’époque, il n’y avait pas d’armes à feu en Afrique, les seules armes disponibles étant les arcs et les flèches, les lances et les machettes. Donc, les Européens ont trouvé le moyen d’introduire l’arme à feu. Leur politique de diviser pour mieux régner consistait à armer les tribus les unes contre les autres. Ce qui, jusqu’alors n’était que de simples querelles tribales, s’est transformé en véritables guerres tribales à l’issue desquelles, ceux qui étaient capturés comme des prisonniers, étaient échangés contre de nouvelles armes.
A la longue ce système a abouti à cette forme de contrainte politique d’adhésion obligatoire que subissaient certains chefs de tribus ou certains rois africains. Cela leur permettait d’avoir des armes pour pouvoir se défendre et exister en tant que tribu. Cela veut dire que toutes les tribus qui refusaient d’adhérer au système ne pouvaient pas disposer d’armes à feu pour se défendre; elles s’exposaient alors à des risques tels que les agressions par des tribus voisines. La contrainte était là, il fallait donc, adhérer au système. C’est pour cela qu’on parle de responsabilité africaine.
Peut-on avoir une idée de l’origine des visiteurs qui affluent à cette Maison des Esclaves ?
Cela dépend des saisons. Nous avons principalement deux saisons. Nous avons la basse saison qui part de juin jusqu’à octobre et la haute saison qu’on appelle généralement la saison touristique qui, elle, commence en novembre et prend fin en mai.
Durant cette saison touristique, ce sont généralement les Européens qui sont majoritaires, ils sont très nombreux à venir visiter la Maison des Esclaves. Il y a naturellement des Afro-descendants qui reviennent parce qu’ils n’ont pas de période. Il y a aussi la basse saison pendant laquelle on reçoit moins d’Européens. A cette saison, il y a beaucoup d’Africains.
Arrive-t-il que d’autres races, hormis la race noire, fondent en larmes dans cette Maison ?
Cela dépend de la sensibilité des uns et des autres. Moi j’ai vu à plusieurs reprises des africains fondre en larmes. Pas plus tard qu’hier (3 novembre), quand je faisais des commentaires, il y avait un monsieur qui était adossé au mur ici, dans le public fondre en larmes.
Il a dû se retirer pour ne pas gêner les autres. A plusieurs reprises, on a vu des Blancs fondre en larmes, ici. Plusieurs fois, au sortir d’ici, les touristes sont choqués, dégoûtés par ce qu’ils venaient d’entendre. Parfois, ils n’ont même pas envie d’aller au restaurant.
On vous doit cet aspect-là, cela dénote que vous avez touché le moi intérieur du visiteur…..
Selon les témoignages des visiteurs eux-mêmes, ils sont convaincus de ce que nous leur racontons. Certains reviennent pour nous encourager et nous féliciter pour nos commentaires. Ils me disent par exemple : « Vous avez très bien rendu, l’histoire de la Maison des Esclaves et ce qui s’y passait ». Sur cette base, c’est moi qui les remercie.
Donc, les signes d’une réconciliation des peuples à partir de l’île de Gorée sont visibles…
C’est exact, on le dit toujours dans nos commentaires. On dit qu’ici, c’est un lieu où l’on vient pour se recueillir, nous venons tous d’horizons divers. Nous venons ici pour écouter l’histoire et se faire pardonner, se réconcilier. C’est un lieu de recueillement, de pardon et de réconciliation, d’autant plus que le 22 février 1992, le Pape Jean-Paul II était venu jusqu’ici, pour demander officiellement pardon à l’Afrique.
Ce n’est pas une demande anodine, c’est une demande officielle de pardon à toute l’Afrique. Une demande faite par l’autorité suprême de l’Eglise catholique, le Pape Jean-Paul II. Cela veut dire, également que l’église reconnaît sa part de responsabilité. Par rapport à ce pardon de l’Eglise, les Africains ont compris qu’il faut pardonner, parce que le pardon est une valeur fondamentale enseignée par toutes les religions révélées. Ils sont unanimes qu’il y a nécessité de pardonner, mais qu’il ne faudra jamais oublier.
Que voulez-vous que le monde entier retienne après notre passage, ici ?
La Maison des Esclaves a été une maison où se sont déroulées des atrocités. Maison dans laquelle des Droits humains ont été violés à une grande échelle, comme l’a consacré la traite négrière.
C’est une maison dans laquelle se trouvent des hommes comme le conservateur en chef, moi-même et d’autres personnes pour rappeler au monde entier ce qui s’est passé ici, en cette période-là.
Aujourd’hui, la Maison des Esclaves est une maison où l’on vient pour se réconcilier, pour entretenir la mémoire de manière permanente. Il ne faut pas que cette mémoire tombe dans l’oubli, en cela elle accueille toutes sortes de personnalités venant du monde entier.
Réalisé dans la Maison des Esclaves de Gorée par Sériba Koné
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