[Enquête-Scandale de gestion à la mairie de Danané] Pris la main dans le sac dans le pillage des fonds de l’État
-Des dons personnels du maire évalués à 270 millions FCFA inscrits au programme triennal
– Ce que dit la circulaire du ministère de l’Intérieur
Abidjan, Côte d’Ivoire, le 9 juillet 2024 (lepointsur.com)—Lanciné Diabaté Kalifa, surnommé LDK, maire de Danané, région du Tonkpi, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, est soupçonné de gestion opaque concernant plusieurs infrastructures locales. Élu en septembre 2023, le jeune maire a initié divers projets d’infrastructures. Mieux, il a annoncé officiellement, lors de son bilan de 100 jours à la tête de cette collectivité, avoir inscrit ses actions personnelles dans ‘’Les projets d’urgence municipale’’, conçus et financés par lui-même à 270 millions FCFA, en janvier 2024. Ce, avant l’adoption en conseil municipal des délibérations pour l’exécution du budget de l’exercice 2024, le 18 mai 2024.
Il s’agit de la réalisation de onze écoles, dont l’une a été achevée et les clés remises à l’inspection de l’Enseignement primaire et préscolaire (IEP) de Danané : les écoles des villages de Trodelepleu, Truimpleu, Koyampleu, Deamampleu, Deagbaloupleu, Gueiville, Zoleu, Petit Danane, Diouladougou, Gningleu, Ganhiba.
Un projet charitable dont l’objectif est de soulager plusieurs villages par la construction des écoles en dur, flambant neuves, en lieu et place des écoles en pailles ou en paillotes. Cette ingénieuse idée suivie de la réalisation concrète de l’action sur le terrain n’allait pas attirer de soupçon si ces écoles n’étaient pas inscrites dans un projet personnel et au programme triennal 2024-2025-2026. Le montant de tous ces projets de constructions des écoles inscrits au programme triennal est de 99 millions FCFA.
Le visage du délit d’initié
Au conseil municipal du 18 mai 2024, Domi Bernardin, conseiller municipal, militant du Rhdp, a exprimé l’indignation de certains de ses pairs, liée aux graves irrégularités dans l’exécution du budget de la mairie par le maire. ‘’La note circulaire du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité est claire. Avant ce conseil qui donne quitus pour l’exécution du budget, toutes les actions qui se font avant sont illégales. Nous avons constaté que monsieur le maire s’est permis de faire des réalisations, prévues au budget 2024. C’est une action illégale. Monsieur le maire s’est permis de construire et de réhabiliter des écoles. C’est une action illégale. Ce sont des infrastructures qui doivent passer en appel d’offre ouvert à cause des montants ’’, a martelé M. Domi.
Lanciné Diabaté Kalifa droit dans ses bottes
Suite à notre correspondance du 3 juin, dont la réponse tardait après avoir été déchargée le 5 juin, à la mairie de Danané, nous avons contacté par téléphone, le maire Lanciné Diabaté Kalifa, le jeudi 20 juin 2024. Il nous a invité à visionner la vidéo de six heures du conseil municipal du 18 mai 2024, encore disponible sur Facebook, où il affirme avoir donné des réponses complètes. Il a qualifié notre courrier de réquisition des opposants de Danané et nous a demandé de nous référer à l’administration publique pour obtenir les informations nécessaires.
Cependant, il a précisé que le code des marchés publics ne s’applique pas aux dons financés par le maire pour les administrés de sa commune. Il indique l’existence de onze projets en cours, dont cinq ou six ne figurant pas dans le programme triennal. Pour justifier ses actions, il explique avoir prévu trois salles de classe dans le programme triennal et qu’il finance personnellement trois autres pour atteindre la réalisation de six salles de classes avant même la fin des trois ans. Il s’explique : « Chez mon chef de canton, un bâtiment de trois salles de classe est programmé pour 2026, mais cette année, le vent a emporté la paillote qui servait de classe. Les enfants ne vont pas à l’école. Un maire sérieux comme moi, va-t-il croiser les bras ? Non. »
Il clarifie ensuite sa démarche : « Le programme triennal prévoit trois salles de classe à Koyampleu en 2024. En tant que maire, j’offre trois autres salles de classe, tandis que l’État en finance trois autres. » En revanche, il descend de son piédestal, reconnaissant que le programme triennal inclut un processus d’appel d’offres pour sélectionner une entreprise pour les travaux. Mieux, il ajoute que la direction régionale des marchés publics a validé ses constructions en tant que dons, les excluant du code des marchés publics.
Toutefois, Lanciné Diabaté Kalifa promet de fournir toutes les informations après l’appel d’offres ouvert : « J’offre onze écoles de trois classes sur fonds propres. Il y a une coïncidence avec le programme triennal pour six d’entre elles, dont trois sont financées sur fonds publics en 2024. Lorsqu’on sera en train d’utiliser les fonds publics, on va respecter la règlementation qui s’impose à nous dans le cadre de l’utilisation des fonds publics», conclut-il.
Même si le maire a été évasif sur la liste des réalisations, nous avons pu avoir le nombre exact d’écoles inscrites au programme triennal : Trodelepleu, Truimpleu, Koyampleu, Deagbaloupleu, Gueiville et Deamampleu.
En effet, chaque année, le programme triennal peut être amendé avant l’adoption du budget comme celui de 2024-2025-2026. À la fin de l’année, le conseil peut adopter un nouveau programme triennal 2025-2026-2027. En termes simples, dans son plan de violation du processus normal, le maire peut intégrer progressivement dans le programme triennal modifié ces écoles achevées ou en cours d’achèvement.
Le pillage des fonds de l’État
Approché dans le cadre de cette enquête, le maire de Tiassalé qui fait de la corruption et de la mauvaise gouvernance son cheval de bataille, Antoine Assalé Tiémoko, révèle que si un don est fait avec des ressources de la mairie, il doit figurer dans le programme triennal. Si l’investissement atteint au moins 30 millions FCFA, un appel d’offre est requis. « Si l’argent provient de la poche privée du maire, il n’y a aucun souci. Il peut attribuer le marché à qui il veut », précise-t-il.
En effet, le seuil de référence, tel que prévu à l’article 5 du code des marchés publics, est fixé à cent millions (100 000 000) FCFA pour toutes les entités assujetties audit code, à l’exception des collectivités territoriales pour lesquelles le seuil est de trente millions (30 000 000) de francs CFA.
Cependant, Lanciné Diabaté Kalifa n’a pas attendu d’appel d’offre en raison de l’urgence et affirme qu’il s’agit d’un don.
Cela a des conséquences. Selon notre expert des marchés publics qui a requis l’anonymat, ces projets que le maire dit réaliser sur fonds propres et qui ont la même destination que ceux prévus au programme triennal 2004-2025-2026 et au budget 2024 doivent faire l’objet d’un suivi et d’un contrôle scrupuleux. Notamment, en ce qui concerne l’attribution des marchés y relatifs par la procédure d’appel d’offres ouvert. Si l’entreprise attributaire du marché est la même que celle qui a déjà réalisé les travaux des supposés ‘’dons’’ du maire, elle n’aurait simplement qu’à se faire rembourser par le Trésor public. Par contre, si c’est une entreprise autre que celle qui a réalisé les projets “dons”, il n’est pas exclu qu’une entente entre les deux opérateurs aboutisse à une situation où l’entreprise attributaire rembourse simplement celle qui a réalisé le projet “don” et donc que les deux opérateurs, sous le parrainage du maire, se partagent le gâteau. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit pour les administrations chargées du contrôle et de l’exécution des projets au profit des populations, de s’assurer de l’absence de confusion entre les projets. Le maire ne doit, par conséquent, pas berner les administrés en reprenant ce qu’il aurait fait avec la main droite par la main gauche. « C’est pour éviter toutes ces supercheries doublées de corruption que l’État a défini des procédures de gestion transparentes des collectivités locales que chaque élus doit respecter », coupe court notre source. L’enquête va donc se poursuivre concernant l’exécution des travaux qui a tout l’air d’un plan de violation de la procédure normale. Ce, afin de révéler d’éventuelles mains obscures tapies dans l’ombre au sein des organismes publics impliqués dans cette sombre affaire.
‘’En cas de sinistre, il y a une procédure à respecter’’
Nous avons approché une source à la direction générale de la décentralisation et du développement local (Dgddl). Notre interlocuteur, qui a requis l’anonymat, révèle qu’après adoption par les conseillers des projets inscrits au programme triennal, ils sont approuvés par la direction de la décentralisation. Depuis 2022, cette direction a mis en place le Système de gestion intégrée et d’archivage numérique des collectivités territoriales ivoiriennes (Sygidan-CTI) pour une gestion plus transparente. Les projets sont saisis dans ce système avant que la direction générale des marchés publics (Dgmp) ne prenne le relais pour les appels d’offre de plus de 30 millions FCFA via le Système intégré de gestion des opérations des marchés publics (Sigomap). Il précise que ‘’même en cas de sinistre, l’élu doit adresser un courrier au ministre de l’Intérieur qui saisit la direction de la décentralisation et du développement local pour accompagner l’urgence selon les règles.’’ Ces dispositions sécuritaires des fonds de l’État sont confirmées par le ministère de l’Intérieur et de la Sécurité.
La circulaire de la vérité
Au ministère de l’Intérieur et de la Sécurité, le chargé d’études au cabinet avec qui nous avons échangé par courriel le 19 juin 2024 pour la suite notre courrier, nous a ramené au maire de Danané : « Après lecture, je vous recommande de vous rapprocher du maire de Danané pour solliciter les éclairages attendus. Merci de votre intérêt porté à la gestion des biens publics. Bien à vous.»
En effet, notre requête portait sur les procès-verbaux et les délibérations dûment adoptés en janvier 2024, adressés au ministère de l’Intérieur et de la Sécurité avant la réalisation des infrastructures et les arrêtés d’approbation et d’exécution du programme triennal ainsi que du budget 2024 comme l’exige la procédure, semble embarrasser. La réponse coule de source. La procédure a été violée avant la tenue du conseil municipal du 18 mai 2024. Il était donc normal que le ministère de l’Intérieur ne trouve aucune trace des informations liées à notre requête.
En revanche, la circulaire n°0293/MIS/DGDDL/DTA/SDCLC du 10 mars 2023, du ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, Gal Diomandé Vagondo, s’inscrit dans la droite ligne de la gestion transparente des actions des collectivités locales. Cette note relative aux obligations portant au strict respect des instructions, dans le cadre de l’exécution des budgets des collectivités territoriales, exige la transparence dans la gestion des affaires des collectivités : « J’ai l’honneur, par la présente, de vous demander de bien vouloir, désormais, tenir une réunion du conseil pour adopter l’exécution de tout budget primitif ou modificatif approuvé par l’autorité de tutelle.»
Le silence troublant de la direction des marchés publics
Depuis plus d’un mois, notre requête est restée dans le circuit. La chaine a peut-être pris des grains de sable. Pourtant, nous voulions, primo, des éclaircissements sur la crédibilité des marchés de plus de trente millions FCFA que le maire est en train de réaliser à titre de don et qui se retrouvent dans le programme triennal, avant l’adoption du budget, sans appel d’offre en violation des textes de la direction générale de la décentralisation et du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité, cités plus haut.
Secundo, nous souhaitions avoir des informations sur le retrait du projet de construction du grand marché de Danané, des groupes scolaires à Danané commune et sous-préfecture de Kouan-Houlé à l’entreprise l’Abidjanaise des travaux de fournitures (Atraf) appartenant à M. Kalifa au moment où il n’était pas encore élu ’’maire ’’, et la société suspendue par l’État.
De même, notre courrier du 4 juin 2024 adressé à la direction des marchés publics, conformément à la loi n°2013-867 du 23 décembre 2013 sur l’accès à l’information d’intérêt public (Caidp), est resté sans réponse. Quinze jours plus tard, comme le stipule la loi, le silence persistant de cette institution, pourtant lauréate du ‘’Prix CAIDP de la meilleure direction générale pour l’accès à l’information’’ en 2022, nous a surpris. Malgré nos relances et celles de la Caidp, la direction des marchés publics nous a donné de faux espoirs. Plus d’un mois après, le silence de cette direction donne du crédit aux rumeurs de toute sorte. Derrière les ‘’projets d’urgence municipale’’, se tramerait-il un conflit d’intérêt, voire un plan bien ficelé pour se faire payer sur les fonds de l’État ?
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[Encadré1] La Haute autorité et l’Inspection d’État, interpellés
L’adage dit que « le chien n’oublie jamais sa manière de s’asseoir ». Autrefois, malgré l’existence de votre entreprise, l’Abidjanaise des travaux de fournitures, vous n’étiez pas en mesure de réaliser toutes les infrastructures promises, encore moins de les offrir aux populations qui en avaient grand besoin. Pis, ladite société a été suspendue par l’État et les marchés vous ont été retirés pour non-exécution.
Nul doute que la haute autorité pour la bonne gouvernance (Habg) s’intéressera de près à ce dossier et diligentera des enquêtes approfondies sur les faits allégués.
L’inspection d’État ne restera certainement pas en marge de cet élan et exigera que des audits soient réalisés pour faire toute la lumière.
Dans un État de droit comme le nôtre, doté de tous les outils de mesure de l’efficacité de l’action gouvernementale mais aussi et surtout de la bonne gouvernance, nul ne peut, impunément, agir comme un électron libre. Le pays est gouverné par des lois auxquelles personne ne doit échapper. L’enquête ne fait que commencer.
crocinfos.net
[Encadré2] Revoyez votre copie
Monsieur le maire, Lanciné Diabaté Kalifa, peut-on vouloir incarner une jeunesse intègre et respectueuse des principes de bonne gouvernance, ceux que le président Alassane Ouattara valorise pour bâtir une Côte d’Ivoire honorable et respectée, et adopter un comportement qui suscite autant d’interrogations ?
Comment expliquer que, pour la promotion des actions menées ou entreprises par la jeunesse, l’État vous octroie un marché et vous le retire pour non-exécution et suspende également l’entreprise ? Comment ont été utilisés les montants d’exécution de ces marchés ? Ces questions qui, selon les réponses, redoreraient ou terniraient votre image et votre honneur.
Quels que soient leurs affiliations politiques, la Côte d’Ivoire sait honorer ses dignes filles et fils qui s’illustrent par leur travail. Comme le témoigne le ‘’Prix National d’Excellence’’ obtenu en 2021, par Antoine Tiémoko Assalé, maire indépendant de Tiassalé, primé comme 2e meilleur maire de Côte d’Ivoire dans la catégorie ‘’Collectivités et lutte contre le désordre urbain.’’
Nous sommes toutes et tous, autant que nous sommes, et vous n’y échappez bien évidemment pas, vivement invités à nous aligner sur la bonne voie tracée par le président Alassane Ouattara dans le cadre de la bonne gouvernance.
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