[Djeka Kouadio dénonce le système éducatif contemporain en Afrique] Une « machine de programmation » plutôt qu’un espace d’apprentissage
Bouaké, le 23-06-2024 (lepointsur.com) Le rôle de l’école en Afrique est-il devenu celui d’une « machine de programmation » plutôt qu’un espace d’apprentissage ? Cette question brûlante était au cœur d’une conférence animée par Djeka Kouadio Jean-Baptiste, artiste plasticien et Commissaire général du Festival des Arts et Traditions d’Akan (FATA), ce samedi 22 juin au Campus II de l’Université de Bouaké.
La conférence, organisée en prélude à l’édition 2024 du FATA qui se tiendra du 1er au 14 juillet à la place Bédié de Sakassou, a permis au conférencier, Djeka Kouadio, d’engager une réflexion profonde sur les dérives du système éducatif en Afrique. Selon lui, le système scolaire actuel se contente de formater les esprits plutôt que de les éveiller.
Un système éducatif traditionnel et holistique
L’éducation dans l’Afrique précoloniale, selon les travaux de Joseph Ki-Zerbo cités par Monsieur Djeka, se caractérisait par une forte intégration socioculturelle. Contrairement à l’idée souvent véhiculée d’une Afrique sans structures éducatives avant la colonisation, il existait un système éducatif holistique, ancré dans les réalités locales. Ce système visait à harmoniser l’enfant avec sa communauté à travers des axes verticaux et horizontaux. L’axe vertical prenait en compte l’héritage historique et l’âge, tandis que l’axe horizontal intégrait l’enfant dans le tissu social par des alliances.
Monsieur Djeka a souligné que cette approche offrait à l’enfant un « accouchement collectif » au-delà de la simple naissance biologique. Dès le jeune âge, les enfants bénéficiaient de l’apport éducatif de toute la communauté, incarné par la diversité des interactions sociales, allant de la transmission de savoir-faire à l’apprentissage des valeurs morales par l’exemple et l’observation.
L’initiation et l’autoformation : Pilier de l’éducation traditionnelle
L’initiation représentait une étape essentielle dans le parcours éducatif africain, marquant la transition de l’enfance à l’âge adulte. Ce processus n’était pas seulement une accumulation de connaissances, mais une transformation intégrale préparant l’individu à assumer des responsabilités sociales. Monsieur Djeka a souligné que, dans ce contexte, l’âge ne déterminait pas la maturité, mais plutôt la capacité à incarner les valeurs et compétences acquises par l’initiation.
La méthode d’apprentissage privilégiée était l’autoformation par l’observation active. Contrairement à la pédagogie formelle occidentale, l’éducation originelle africaine misait sur la participation active de l’apprenant, garantissant une intégration pratique et immédiate des connaissances et des compétences dans la vie quotidienne.
Des forces éducatives aux défis modernes
L’une des forces majeures de ce système, selon Monsieur Djeka, était l’égalité d’accès à l’éducation, favorisée par l’absence de murs et l’inclusion communautaire. Tous les enfants, indépendamment de leur origine sociale, pouvaient accéder à une éducation qui les préparait à la fois à une vie morale et à une participation productive dans la société.
Cependant, Djeka Kouadio n’a pas omis les limitations de ce modèle. L’accent mis sur la subordination de l’individu au groupe pouvait parfois freiner l’initiative personnelle et l’innovation. De plus, le caractère informel de l’éducation limitait la diffusion de savoirs plus abstraits, restreignant ainsi l’ouverture à des avancées technologiques et culturelles.
Un système actuel défaillant
Djeka Kouadio critique le système éducatif contemporain en Afrique, le qualifiant de « machine de programmation » plutôt que d’espace d’apprentissage. Il observe que ce système tend à formater les esprits, les adaptant aux besoins des économies globalisées sans encourager la pensée critique ni l’innovation. Cette approche produit des diplômés prêts à remplir des rôles prédéfinis plutôt qu’à résoudre les problèmes complexes de leurs sociétés.
La déstructuration de l’éducation traditionnelle par la traite négrière et la colonisation a contribué à cette dérive. Les systèmes éducatifs introduits par les colons ont souvent été conçus pour produire une main-d’œuvre subordonnée, plutôt que des penseurs indépendants et créatifs.
Vers une renaissance de l’éducation africaine ?
Pour Djeka Kouadio, une réinvention de l’éducation africaine est nécessaire. Il appelle à une éducation endogène qui intègre les valeurs et les besoins locaux tout en favorisant l’innovation et l’ouverture au monde globalisé. Cela implique de puiser dans l’héritage éducatif africain, qui privilégiait l’intégration sociale et le développement holistique de l’individu, tout en l’adaptant aux défis contemporains.
Cette réinvention doit également surmonter les défis imposés par l’histoire coloniale et les réalités actuelles. Une éducation adaptée au XXIe siècle doit encourager l’esprit critique, la créativité et l’initiative personnelle, tout en restant enracinée dans les valeurs culturelles locales.
En somme, l’intervention de Monsieur Djeka offre un appel à repenser l’éducation en Afrique, en s’inspirant des pratiques originelles qui privilégiaient l’intégration sociale et le développement holistique de l’individu. Pour bâtir une société durable et autonome, l’Afrique doit retrouver et adapter son héritage éducatif, tout en surmontant les défis imposés par l’histoire coloniale et les réalités actuelles.
Cette conférence incite à une réflexion profonde sur la manière dont l’éducation peut jouer un rôle central dans la construction d’une société africaine résiliente et innovante, ancrée dans ses valeurs tout en étant ouverte aux dynamiques du XXIe siècle.
Médard KOFFI à Bouaké
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