[Culture] Alice Diop rafle plusieurs prix à la 79e Mostra de Venise
« Notre silence ne nous protégera pas, écrit la poétesse Audrey Lord, parlant des femmes noires. Et ce soir, j’ai envie de dire que nous ne nous tairons plus. » C’est avec ces mots qu’Alice Diop, très émue, dans un sobre fourreau de soie blanche, est venue samedi 10 septembre recevoir le Lion d’argent, grand prix du jury de cette 79e Mostra de Venise pour Saint Omer, après avoir reçu quelques instants plus tôt le Lion du futur du meilleur premier film.
Premier long métrage de fiction de la réalisatrice de 43 ans, Saint Omer revient sur un fait divers qui, en 2013, avait bouleversé la France. Une jeune femme d’origine sénégalaise, Fabienne Kabou, avait abandonné sa fille de 15 mois à la marée montante, à Berck Plage. Diop en tire un film d’une rigueur et d’une sobriété remarquable, huis clos de prétoire où la parole de la criminelle se confronte au regard d’une femme dans la salle, romancière spectatrice. Deux femmes noires, donc, en miroir, jouées par deux nouveaux visages, Kayije Kagame et Guslagie Malanda. Celle-ci, dans le rôle de l’accusée, tantôt absente à elle-même, tantôt brûlante d’intensité, tout au désir d’arracher ses assignations, rappelle sans cesse, par son interprétation, le « sublime, forcément sublime », de Marguerite Duras (grande référence de la cinéaste).
« Nous ne nous tairons plus »
C’est en 2005 que la voix si singulière d’Alice Diop s’est fait entendre pour la première fois. Née à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), en 1979, de parents venus du Sénégal, venue au cinéma après avoir étudié sociologie et histoire à la Sorbonne, elle signe alors son premier film documentaire, La Tour du Monde, ancré à la Rose des vents, un immense quartier constitué de plusieurs barres HLM au nord de Paris.
« Ce qui est magnifique dans le cinéma, c’est de penser par l’image, avec ses outils, et pas de s’arrimer d’emblée à une charpente idéologique », notait récemment la cinéaste. Facon de rappeler ce qui irrigue depuis toujours son travail. Ainsi, quand Clichy-sous-Bois s’embrase, après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, France 5 lui commande un reportage. Elle passe près d’un an en repérages et en tire l’impressionnant Clichy Pour l’exemple (2006) où son approche patiente et informée, inspirée du grand documentariste américain Fred Wiseman, tranche sur la couverture médiatique de l’événement, au grand dam de la chaîne : « Ils s’attendaient à un reportage embarqué façon “Zone Interdite”, avec descente de police et compagnie. Et moi, je leur livre une approche patiente, calme, une sorte de huis clos dans la ville. »
La pure grâce de son geste cinématographique
Suivront, sur le même fil, La mort de Danton et La permanence : le premier sur la formation du comédien Steve Tientcheu au cours Simon, l’autre sur Bobigny et une permanence médicale pour les migrants. En 2016, sa caméra se met à l’écoute des jeunes des quartiers, qui lui confient amours et déceptions : Vers la tendresse recevra le César du meilleur court métrage.
En 2021, un nouveau long métrage documentaire, Nous, remporte le prix du Meilleur film de la section Encounters, en 2021, au festival de Berlin. Dans ce portrait oblique d’une France saisie au miroir du RER B, de la riche et verdoyante vallée de Chevreuse au gris béton du nord de Paris, Alice Diop revient aussi sur son histoire familiale, organisant par ce « nous » la rencontre de populations prétendument incompatibles, par la pure grâce de son geste cinématographique.
Source : Rfi