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[Côte d’Ivoire/Médias] Anne Zélica Ehoura se livre à cœur ouvert sur sa vie privé et sur son parcours professionnel


Abidjan, 26-12-2024 (lepointsur.com) Anne Zélica Ehoura est la rédactrice en chef de Matin Bonheur, la toute première émission matinale diffusée sur RTI1. Journaliste chevronnée et productrice déléguée, elle totalise plus de 30 ans d’expérience dans le domaine des médias. Mère de deux enfants et désormais grand-mère, elle a récemment été élevée au rang d’Officier dans l’Ordre du Mérite de la Communication.

Cette prestigieuse distinction vient couronner une carrière exemplaire, marquée par une expertise remarquable et un engagement sans faille au service de la communication. Pour la première fois, Anne Zélica Ehoura se livre en toute sincérité. Entretien exclusif…

1- Félicitations pour cette distinction Que ressentez-vous après cette reconnaissance ? Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Anne Zélica Ehoura : Merci beaucoup ! C’est un grand honneur et une  bénédiction. Je rends toute la gloire à Dieu par Jésus-Christ, qui a rendu cela possible. Ensuite au Président de la République Alassane Ouattara ainsi qu’au ministre de la Communication .

Être élevée au grade d’officier dans l’Ordre du Mérite de la Communication, c’est avant tout la reconnaissance de tout un parcours, des efforts et du travail fourni durant de nombreuses années. Cette médaille marque le fruit d’un long parcours, mais c’est aussi une nouvelle étape pour continuer à travailler afin de proposer de meilleures productions aux téléspectateurs.

“ La grossesse s’était bien passée, mais le premier mois après la naissance était compliqué. Pour ma première fille, ma maman était là pour m’aider. Mais cette fois, j’étais chez moi, seule avec le bébé. Ma mère ne pouvait pas être présente tout le temps, et je devais tout gérer seule. Il fallait laver le bébé, le nourrir, essayer de dormir un peu, mais dès que je m’allongeais, je l’entendais pleurer. Et croyez-moi, il pleure vraiment fort à cet âge-là ! ’’

C’est un honneur, mais aussi une grande responsabilité. Pour moi, cela représente 33 ans à la RTI, un long chemin parcouru, des défis relevés et, bien sûr, de belles rencontres que j’ai eues au cours de ma carrière.

2- Vous avez plus de 30 ans d’expérience dans le domaine des médias. Comment avez-vous démarré dans ce métier ?

Anne Zélika Ehoura : Je suis entrée dans le domaine de la communication assez tôt, à l’âge de 21 ans, en tant que téléspeakerine à TV2, aujourd’hui RTI2. Au fil des années, j’ai évolué vers des rôles de Chef de service reportages , chef de service magazines et débat , secrétaire de rédaction , chef d’édition , rédactrice  de chef du JT , et enfin depuis 8 ans , productrice déléguée et rédactrice en chef. Chaque étape m’a apporté de nouvelles compétences et des perspectives  sur le monde des médias.

Travailler à la télévision pourtant était un tremplin, car  à l’époque, je n’étais pas passionnée par les médias. Je ne suis pas venue à la télévision pour être vue ou devenir une star. Mon véritable rêve était de faire des études d’interprétariat anglais-français afin de travailler pour une organisation des Nations Unies .N’importe laquelle mais des Nations Unies .

Mon père m’avait promis de financer mes études, mais il a changé d’avis alors que j’étais en deuxième année à la faculté d’anglais. Influencé par ma belle-mère, il a décidé de miser sur mon frère, en pensant que, comme les femmes se marient et suivent leurs maris, il était plus logique d’investir en lui. J’avais moins de chances de réaliser mon rêve d’étudier en Angleterre.

Face à cette situation, il fallait que je trouve un moyen de financer mes études moi-même. J’ai donc choisi de travailler et j’ai passé le test pour devenir speakerine à la télévision, qui s’est avéré être une réussite. C’était en 1992, et avec le recul, je crois que c’était un plan du Seigneur pour me bloquer à la RTI. Je n’ai jamais travaillé pour d’autres entreprises de médias, et même chaque fois que je voulais partir, ma mère me disait de rester.

Malgré mon emploi modeste, mon salaire ne me permettait pas de réunir la somme nécessaire pour acheter un billet d’avion pour l’Angleterre. J’ai donc continué à travailler tout en suivant mes cours. Mes débuts ont été modestes, mais chaque étape m’a permis d’apprendre et de grandir. Aujourd’hui, je réalise que ces expériences ont été essentielles pour forger la personne et la professionnelle que je suis devenue.

3- Pouvez-vous nous partager une autre anecdote marquante de votre parcours ?

Anne Zélika Ehoura : Oui, il y a cette anecdote qui implique un grand réalisateur . Et je profite de l’occasion pour rendre hommage à ce grand réalisateur récemment disparu, Bandama Debach, ainsi qu’à d’autres hommes qui m’ont guidée à chaque grande étape professionnelle : Degny Maixent, Ahmadou Bakayoko, Siriki Sil, Joseph Andjou et Inssah Cissé. Une des anecdotes qui m’a vraiment marquée est liée à la naissance de ma deuxième fille. La grossesse s’était bien passée, mais le premier mois après la naissance était compliqué. Pour ma première fille, ma maman était là pour m’aider. Mais cette fois, j’étais chez moi, seule avec le bébé. Ma mère ne pouvait pas être présente tout le temps, et je devais tout gérer seule. Il fallait laver le bébé, le nourrir, essayer de dormir un peu, mais dès que je m’allongeais, je l’entendais pleurer. Et croyez-moi, il pleure vraiment fort à cet âge-là !

J’ai vécu cela pendant trois jours sans vraiment pouvoir dormir. C’était épuisant. Je me rappelle très bien avoir appelé mon père, complètement épuisée, et je me suis mise à pleurer. Il m’a écoutée, et après quelques minutes, il m’a dit : « Écoute, je vais demander à une de tes tantes de venir t’aider. » Mais il m’a proposé une tante qui avait une réputation… disons, particulière. À l’époque, on disait qu’elle était sorcière. Je n’y croyais pas vraiment, mais ça me faisait peur. Je n’avais pas encore vraiment une foi forte en Jésus à ce moment-là, et j’ai donc refusé son aide.

Heureusement, mes voisines, des femmes de mon quartier, ont vu ma situation et se sont relayées pour m’aider. J’étais épuisée, mais elles m’ont soutenue, et j’ai pu me reposer un peu. C’est dans cette période, après tout ce stress, que j’ai entendu parler d’un projet d’émission pour les mamans, intitulé Mon Enfant. L’objectif était de parler de la manière de s’occuper des nourrissons, et je me suis dit : « Ça, c’est exactement ce que je veux faire ».

Mais il y avait un problème : cette émission avait déjà été confiée à une autre journaliste. Je n’ai pas voulu lâcher l’affaire. Un jour, j’ai décidé d’aller directement voir M. Bandama Debach, qui était responsable du projet à l’époque. Je me suis rendue dans son bureau et je lui ai dit : « Chef, je veux cette émission. Je suis maman, je sais exactement ce que vivent les mamans. J’ai moi-même traversé tout ça, je peux en parler ».

Au début, il a refusé, me disant : « Non, tu n’as pas d’expérience en production ». Mais deux mois plus tard, l’émission n’avait toujours pas été produite. Alors je suis retournée le voir, déterminée, et je lui ai dit : « Donne-moi cette émission. Je te promets que je vais la produire. Je vais faire ça ». Il m’a répondu : « Mais tu es nouvelle ici, tu n’as même pas de production à ton actif, et tu veux me prouver que tu peux le faire ? » Je lui ai dit : « Donne-moi deux semaines. Je vais ramener deux émissions la première semaine, et deux autres la semaine suivante ».

Il était sceptique, mais il a accepté. À ce moment-là, il m’a dit quelque chose que je n’oublierai jamais : « OK, tu veux prouver ta valeur, mais les autres, ça fait six mois qu’elles n’ont rien produit. Et toi, tu arrives, et tu penses que tu vas réussir ? ». Je lui ai répondu : « Oui, mais essayez avec moi, ça ne vous coûte rien. Vous pouvez bien me laisser essayer ».

Je me suis mise au travail immédiatement. En parallèle, tout le temps où je lui demandais de me confier l’émission, j’avais déjà commencé à travailler sur les contenus. J’avais préparé huit scripts sur papier, prêts à être tournés. Je savais que c’était maintenant ou jamais. J’ai réuni une petite équipe, avec un cameraman et un monteur. Et j’ai respecté mes engagements.

Lorsque M. Bandama a visionné les émissions au montage, il a été tellement impressionné par la qualité du travail qu’il m’a confirmée à la présentation de l’émission Mon Enfant. Mieux encore, il m’a également confiée la production. J’étais à la fois présentatrice, productrice et même réalisatrice de l’émission pendant deux ans. Pour les premiers épisodes, je n’avais même pas de réalisateur. J’étais seule avec mon cameraman et mon monteur, mais j’ai réussi à faire ce travail, et l’émission a fini par connaître un grand succès.

Et voilà, c’est comme ça que Mon Enfant sur l’ex-TV2 devenue RTI2 a vu le jour et a commencé à se développer. Un projet que j’ai porté, inspiré par ma propre expérience de maman, et la volonté de faire quelque chose de significatif pour les autres mamans

4- Il y a une anecdote que vous partagez souvent sur la manière dont vous êtes devenue présentatrice du journal télévisé à RTI2. Pouvez-vous nous en parler ? »

« Ah, cette histoire me fait toujours sourire ! C’était après les turbulences de 2011, et TV2 (devenue RTI2) préparait son nouveau journal télévisé. Au début, la présentation du JT ne m’intéressait pas particulièrement, d’autant plus que mes patrons m’avaient déjà proposé cette responsabilité plusieurs fois.

J’ai maintes fois refusé de faire le JT, parce que je ne le sentais pas . ça m’a valu des problèmes , j’ai été convoquée à plusieurs reprises , j’ai failli être suspendue,  car je ne m’étais pas présentée à l’’antenne pour le JT .Moi  j’avais dit non et on m’avait programmé quand même . Je pensais qu’il fallait d’abord maîtriser tout le processus de production du JT avant de me lancer. Mais pour ce nouveau JT, quelque chose m’a motivée. J’ai décidé que c’était le moment.

Les castings étaient en cours, et moi, je n’étais pas encore sur la liste. Alors, je me suis dit qu’il fallait que j’en parle au directeur , à l’époque c’était Mr Degny Maixent.  J’ai préparé mon argumentaire et je suis le allée voir  à  son bureau . Après les civilités, je lui dis : ‘M. le Directeur, je souhaite présenter le JT, car…’ Et là, il m’interrompt : ‘C’est validé’. J’étais surprise, je voulais absolument poursuivre mon argumentaire pour lui expliquer pourquoi c’était la meilleure option, mais il me coupe encore et me dit : ‘Ça sera tout’.

Alors, je lui demande, un peu étonnée : ‘Mais je vais quand même passer le casting ?’ Et là, il me répond : ‘Non, c’est bon.’ Je n’en croyais pas mes oreilles ! J’étais un peu frustrée, donc je suis sortie du bureau avec une réponse positive, mais sans vraiment avoir l’impression d’avoir gagné.

Ne voulant pas en rester là, j’ai décidé de prendre les choses en main. J’ai organisé mon propre casting. J’ai demandé à une équipe de techniciens de me filmer, et ils ont accepté de me prêter main-forte. J’ai fait une présentation complète, je l’ai gravée sur un DVD, puis je l’ai déposé sur le bureau de M. Degny. II me demande : ‘Qu’est-ce que c’est ?’ Et je lui réponds simplement : ‘Mon casting.’ Il prend le DVD, le met dans son tiroir, et me dit : ‘Madame, vous commencez dans deux semaines, et c’est vous qui ouvrez le premier JT.’

J’étais contente, mais j’étais aussi surprise de la manière dont ça s’était déroulé ! Voilà comment je suis arrivée à la présentation du JT. »

5- Vous êtes actuellement et depuis 8 ans, Productrice déléguée et Rédactrice en Chef de Matin Bonheur. Pouvez-vous nous parler de vos responsabilités dans cette émission ?

Anne Zélika Ehoura : Avant tout , M .Ahmadou Bakayoko et M Joseph Andjou qui m’ont proposé ce poste sur Matin Bonheur . J’ai beaucoup hésité mais ma défunte sœur ainée Awa Ehoura m’a poussée à la décision . Je voudrais ici saluer sa mémoire .

En tant que rédactrice en chef, je supervise l’ensemble de la production de Matin Bonheur. Cela inclut la planification des sujets, le choix des invités, la coordination avec les équipes . Il est essentiel que chaque émission soit dynamique, pertinente et produite pour capter l’attention du public.

6- Quel a été, selon vous, le plus grand défi dans votre parcours en tant que journaliste et rédactrice en chef ?

Le plus grand défi c’est d’abord qu’à chaque saison l’équipe épouse la vision exprimée à travers un projet , ensuite il faut s’ adapter face aux réseaux sociaux en proposant des contenus innovants et   tout en maintenant un niveau élevé de professionnalisme. L’essor des réseaux sociaux, du digital et des nouveaux formats télévisés nous  pousse à nous adapter constamment, tout en veillant à garder l’intégrité et la rigueur journalistique.

7-Vous avez récemment suivi une formation en Journalisme Reporter d’Images (JRI) entre août et décembre 2024. Un diplôme reçu le même jour que la distinction, le vendredi 20 décembre  .

Anne Zélika Ehoura : Le métier de journaliste est en perpétuelle évolution, et il est important d’adapter ses connaissances et pratiques pour rester pertinent. J’ai suivi cette formation pour faire une mise à jour des nouvelles pratiques en  journalisme , la maîtrise des outils numériques et des nouvelles techniques de production audiovisuelle pour rester en phase avec les exigences actuelles des médias .J’aimerais remercier l’UNJCI , l’ISTC et l’INA de France pour cette formation qui m’a permis de renforcer mes compétences en rédaction, tournage et montage. Je suis tri-compétente désormais et même si je ne suis pas sur le terrain très souvent, je peux évaluer une capsule ou un reportage qu’on me proposera pour l’émission.

8 –À plus de 50 ans, avec plus de 30 ans de carrière, quel message donneriez-vous aux jeunes générations de journalistes qui aspirent à faire carrière dans ce domaine ?

Anne Zélika Ehoura : Je leur dirais qu’il est primordial d’être passionnée,  de rester curieux, et de ne jamais, au grand jamais cesser d’apprendre et de se remettre en question. Le journalisme est un métier exigeant qui demande de l’éthique, de l’intégrité, et surtout, une grande capacité à s’adapter aux nouvelles évolutions. Ne jamais avoir peur de continuer à se former et d’évoluer, quelle que soit l’étape de sa carrière.

9 Comment voyez-vous l’avenir des médias en Côte d’Ivoire dans les années à venir ?

Anne Zélika Ehoura : L’avenir des médias ivoiriens sera marqué par l’essor continu des plateformes numériques et des médias en ligne. Face à cela les téléspectateurs vont , réclamer encore plus diversifiés, innovants , et interactifs . Les médias traditionnels devront s’adapter à cette évolution pour rester compétitifs tout en conservant leur mission d’informer, d’éduquer et de divertir.

Interview réalisée par Sériba Koné

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