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[Côte d’Ivoire] Les parquetiers de Toumodi et Bouaké cités dans une sale affaire d’orpaillage illicite


-La loi contre les actes

Le substitut du procureur de Toumodi et le procureur de la République de Bouaké sont cités dans une affaire de suspension de vente aux enchères de machines saisies par la Brigade de répression aux infractions du code minier (Bricm).

De mai à juillet 2019, la Brigade de répression aux infractions du code minier (Bricm) a mené des opérations de  confiscation de matériels et de produits saisis et procédé à la fermeture des sites d’orpaillage illicites dans les départements de Bouaflé, Katiola et Dabakala. Ce, conformément aux arrêtés N° 0104/MMG/CAB du 28 octobre 2019, et celui de la même date portant la numérotation  0105/MMG/CAB «portant confiscation des matériels saisis sur des sites d’orpaillage clandestin les départements de Bouaflé, Dabakala et Katiola dans le cadre de la répression des violations du code minier».

Pendant trois mois, cette vaste opération a permis à cette brigade de saisir 50 machines de type pelles hydrauliques, appartenant, selon cette brigade à Liu Jian, de Wu Zigao et Sun Young des individus‘’reconnus comme des orpailleurs, tous de nationalité chinoise’’.

Toutes ces machines en violation de l’article 5 de la loi n° 2014-138 du 24 mars 2014, portant code minier en Côte d’Ivoire, qui stipule que ‘’Toute personne physique ou morale, de nationalité ivoirienne ou étrangère, peut entreprendre ou conduire une activité régie par la présente loi sur le territoire ivoirien à condition d’obtenir au préalable un titre minier ou une autorisation’’, ont été stockées sous la surveillance de la gendarmerie de Yamoussoukro, à la place Jean Paul II.

La descente imprévue du parquetier de Toumodi

Le 26 octobre 2019, par les  arrêtés N°00102 et 00105 du ministre des Mines et de la Géologie, Me Eugène Mondon, commissaire de justice, est saisi par ledit ministère pour l’adjudication aux enchères publiques de ces machines au nom de l’État ivoirien. Il fait l’annonce légale dans le journal, Fraternité Matin du 5 décembre 2019, dans lequel la date de la vente aux enchères est fixée au 10 décembre 2019, à 9h.

Lors du déroulement de la vente supervisée par Me Eugène Mondon, le substitut du procureur de la République près le Tribunal de Toumodi, André Tiatissou arrive à l’improviste sur les lieux sur instruction du procureur de la République près le Tribunal de Bouaké, Koné Braman . Contre toute attente, il ordonne la suspension des ventes alors que des acquéreurs avaient déjà effectué des versements pour l’achat de plusieurs engins. Il intime donc l’ordre à la gendarmerie nationale de n’‘’enlever aucune machine,  mêmes celles déjà vendues’’, ‘’sans aucun sursis prononcé par l’autorité judiciaire contre la procédure’’, à en croire Me Eugène Mondon. Le commissaire de justice exécute l’ordre ‘’pour éviter, selon lui des rixes inutiles et honteuses’’, rentre à Abidjan et rend compte au ministère des Mines et de la Géologie, qui l’a mandaté.

Fort de ce rapport, le directeur de cabinet du ministère des Mines et de la Géologie, Marc Koffi Gnalhey, écrit un courrier au substitut-résident près la section du  Tribunal de première instance de Toumodi le 13 décembre 2019, le rappelant à l’ordre (SUSPENSION DE L’EXECUTION DE DECISIONS ADMINISTRATIVES (2)), conformément aux arrêtés N° 0104/MMG/CAB du 28 octobre 2019, et celui de la même date portant la numérotation  0105/MMG/CAB.

La force de la loi dans la bataille

Cette suspension de vente aux enchères sommée pour le non enlèvement des machines acquises par certains clients a causé d’énormes préjudices à plusieurs acquéreurs dont Mme Niang. « J’ai acquis ma machine à 20 millions FCFA et reçu le bon d’enlever, mais je n’ai pas pu avoir la machine », regrette-t-elle ajoutant, par ailleurs, avoir « acheté des pièces abîmées de l’engin à 5 millions FCFA », soit une dépense de 25 millions FCFA.

L’une des machines saisies par la la Brigade répression aux infractions du code minier (Bricm)

Joint par téléphone, le procureur de la République près le Tribunal de première instance de Bouaké, Koné Braman, justifie son acte par une décision qu’il a prise et qui a été notifiée à toutes les parties dont le commissaire Me Eugène Mondon. « J’ai demandé la suspension de la vente aux enchères. Je ne peux pas vous commenter cette décision parce que la loi me l’interdit. Il faut savoir que tout ce qui est saisi est sous l’autorité du procureur de la République. C’est lui qui en est le destinataire, selon le Code de procédure pénale. C’est pourquoi, dès qu’on lui a notifié la suspension, il n’a pas parlé, il est retourné à Abidjan.» Il qualifie son acte de ‘’légitime’’ et invite Me Mondon Eugène à porter plainte. « Nous sommes dans un État de droit, si la décision ne le satisfait pas, il y a des voies de recours », conseille le parquetier.

Des propos que Me Eugène Mondon rejette, indiquant, par ailleurs, que « ce n’est pas à un procureur de me signifier une décision de justice, mais un juge.» Répondant à notre préoccupation, le commissaire de justice affirme avoir reçu une note de suspension, à titre d’information et ‘’non une décision de justice par voie d’huissier’’.

Au moment où le bras de fer entre un substitut de procureur et procureur, d’une part, et le ministère des Mines et de la Géologie, d’autre part bat son plein, une source anonyme nous apprend la sortie de quelques machines le 20 janvier 2020, ‘’avec décision de justice à l’appui’’. Une information confirmée par la compagnie de gendarmerie de Yamoussoukro. « Vous pouvez joindre le substitut du procureur de la République près le Tribunal de Toumodi, qui a donné des instructions. Il pourra vous donner plus de détails », coupe court notre interlocuteur.

Joint par téléphone, le substitut du procureur de la République près le Tribunal de Toumodi nous renvoie au procureur de la République près le Tribunal de première instance de Bouaké, Koné Braman. Celui-ci reconnaît qu’à son Parquet de Toumodi, ‘’quelqu’un dit avoir acheté des machines et il demande l’autorisation de les enlever. On doit examiner également ce dossier pour voir s’il les a achetées et qu’on doit les enlever’’ sans révéler le nom de l’acquéreur et le nombre de machines enlevées.

En revanche, une source  ayant requis l’anonymat révèle qu’il y a eu ‘’l’enlèvement de 12 machines, moyennant la somme de 10 millions FCFA par machine’’, soit 120 millions FCFA. Ce, en ‘’ complicité avec Ghislain Bazo de la Société minière ECO-WAZ  avec son complice Zaï’’. Un acte dans lequel Ghislain Bazo affirme ‘’ne pas se reconnaître.’’ Les chinois, au centre de l’affaire, refusent de nous prendre au téléphone, a fortiori nous indiquer leur bureau pour le dépôt d’un courrier.

Les parquetiers de Toumodi et de Bouaké dans ‘’leur droit’’

De l’avis de Me Dogbemin Koné G., avocat au Barreau d’Abidjan (Côte D’Ivoire), par ailleurs conseiller spécial de l’Observatoire de la liberté de la presse de l’éthique et de la déontologie (Olped), l’acte posé par le substitut du procureur de Toumodi et le procureur de la République de Bouaké ‘’ est légal’’.

En effet, explique-t-il, l’orpaillage illicite est interdit par la loi. Cependant, poursuit notre expert-juriste, la brigade dépend du ministère de la Défense en ce qui concerne la défense nationale et son organisation quotidienne, mais les agents (officiers de police judiciaire et la police judiciaire) par la puissance de la loi qui a créé le code de procédure pénale, dépendent du procureur de la République. « La nouvelle loi du Code de procédure pénale stipule que le procureur a un pouvoir direct sur la brigade. Le procureur peut donc suspendre la vente aux enchères des machines. Au cas où la personne ne serait pas d’accord, elle pourrait saisir le Tribunal ou la Chambre d’instruction criminelle », précise Me Dogbemin Koné G.

Concernant les marchandises vendues, notre interlocuteur indique qu’elles doivent être reprises et l’argent des clients restitué, ‘’parce que pour vendre des objets liés à une infraction (qui est la violation suprême de la loi), il faut l’autorisation préalable du procureur.’’ Par conséquent, la Brigade de répression aux infractions du code minier créée par arrêté ministériel N°003/MMG/MEF/SEPMBPE du 19 février 2019, a maille à atteindre ses objectifs dans un milieu gangrené par la corruption.

Pourtant, sa mission consiste, entre autres, à confisquer les matériels et produits saisis dans le cadre de la répression des infractions à la loi N°2014-138 du 24 mars 2014 portant code minier, et aussi à procéder à la fermeture des sites d’orpaillage clandestin, à interpeler les auteurs et à procéder à la vente aux enchères des équipements saisis. Le ministère des Mines et de la Géologie a encore du pain sur la planche, quant à la procédure judiciaire dans les zones d’orpaillage illicite où les trafics de ce genre sont monnaie courante.

Sériba Koné

Encadré

La charrue avant les bœufs

Si l’on s’en tient à la nouvelle loi du Code de procédure pénale qui stipule que le procureur a un pouvoir direct sur la brigade, et qu’il peut suspendre une vente aux enchères, le ministère des Mines et de la Géologie devrait porter plainte contre les orpailleurs illicites. Ici, le procureur est le passage obligé dans la procédure de vente aux enchères.

En cause. Les agents de la brigade, selon la loi, dépendent du ministère de la Justice dans le cadre de leur procédure. Cependant, sur le théâtre des opérations, ils dépendent du ministère de la Défense. Après le théâtre des opérations dans les départements de Bouaflé, Katiola et Dabakala, les saisis sont sous l’autorité du procureur de la République de Bouaké. « Le procureur peut arrêter une vente aux enchères, si cela porte sur le produit d’une infraction. C’est-à-dire, la matrice de l’infraction peut enfanter un certain nombre de biens, qui ont servi à la commission de l’infraction. C’est son droit. Il a agi par ‘’la courtoisie administrative’’ », renchérit notre expert.

Force est de reconnaître que la spécificité de pouvoir gêne le ministre, qui a un rang administratif supérieur au procureur, parce qu’il a été induit en erreur. Il s’est opposé à la vente, mais en réalité, le procureur est dans ses droits parce qu’on ne peut pas vendre le corps du délit (les machines), sans l’autorisation du procureur. Le principe, selon loi, ‘’ces machines sont à détruire, mais le procureur peut demander au Tribunal l’autorisation de les vendre pour utiliser l’argent et équiper la brigade de mieux faire son travail’’.

Sériba K.

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