[Côte d’Ivoire] Des profils politiques périmés, inachevés et prématurés angoissent la République !
Notre époque reste difficile à suivre. On ne voit partout que des gens essoufflés, qui essaient d’attraper les trains virtuels qui passent, sans même savoir s’ils mènent quelque part. Non seulement la fameuse «confusion des valeurs» jette son brouillard jusque dans nos périmètres intimes, mais il y a comme du mou dans la flèche du temps.
‘’Notre pays regorge des nids de politiciens foireux, médiocres, rebelles aux vertus, adversaires des valeurs, ennemis de l’intérêt général, qui le tirent vers le bas et ils transcendent tous les régimes depuis 1960 et c’est l’une des sources de nos problèmes co-existentiels.’’
La Côte d’Ivoire n’est pas foncièrement anti-démocratique et antipolitique. Il existe dans notre pays des touffes rigides d’herbes politiques qu’il faut désherber avec ténacité et intransigeance. Notre pays regorge des nids de politiciens foireux, médiocres, rebelles aux vertus, adversaires des valeurs, ennemis de l’intérêt général, qui le tirent vers le bas et ils transcendent tous les régimes depuis 1960 et c’est l’une des sources de nos problèmes co-existentiels.
Aujourd’hui, notre malheur vient, principalement, de la fureur des antagonismes de profils politiques périmés, inachevés et prématurés. Là où nous avons besoin de leaders achevés et accomplis. Un être accompli est un être plein de discernement, qui ne se laisse pas piéger par les apparences: il ne se laisse pas tromper et manipuler. Il ne se précipite pas, ne se laisse pas guider par ses émotions. Il est posé, enraciné, car il a su poser ses fondements. Quand ils ne sont pas trop vieux, dépassés, d’une lucidité déconnectée, de neurones asséchés et jouant les prolongations avec le temps, ils sont soit des idéologues bornés et d’une personnalité inachevée malgré les phares du pouvoir, soit englués dans la bouillie de l’orgueil alors qu’à l’épreuve, ça sent l’impréparation ou la préparation prématurée et donnant l’impression, quelquefois, de n’avoir pas d’autre conviction que cette seule quête du pouvoir.
‘’Aujourd’hui, notre malheur vient, principalement, de la fureur des antagonismes de profils politiques périmés, inachevés et prématurés. Là où nous avons besoin de leaders achevés et accomplis.’’
La classe politique, toutes tendances confondues, doit arrêter de malmener le peuple ivoirien
Seydou Badian, écrivain, homme politique malien et auteur de l’hymne national du Mali, a dit un jour : « Un chef qui fait trembler, est comme une grosse pierre qui barre une piste. Les voyageurs l’évitent, la contournent, puis un jour, ils s’aperçoivent que le chemin serait moins long s’il n’y avait pas la pierre ; alors ils reviennent en grand nombre et la déplacent ».
La politique et la démocratie, ce n’est ni le caprice ni l’arbitraire ni la perversité. La politique et la démocratie, c’est le jeu de la loi, de la stratégie, de la responsabilité, de l’intelligence et du réalisme. La politique de notre temps ne saurait être le rendez-vous de l’œcuménisme, ni celui de l’ethnocentrisme, encore moins celui de la vengeance et de la revanche, celui des barbares verbaux et des bagarreurs insensés, celui du mythique « Père Fouettard », celui de l’exclusion et des fausses récompenses. La politique c’est le lieu de la rencontre de la Nation, c’est l’espace des bons possibles. Un peu comme en botanique, il nous faut retravailler les racines de notre Nation. En botanique, la racine est l’organe souterrain d’une plante servant à la fixer au sol et à y puiser l’eau et les éléments nutritifs nécessaires à son développement. Il nous faut pouvoir nous situer à hauteur des enjeux de responsabilité et de sens que la vie en commun nécessite.
‘’Il faut dépoussiérer le nationalisme de son caractère agressif et expansionniste, en le conformant à la modernité de notre temps.’’
Il nous faut éviter l’attitude des « patriotes suspects » développée par Shoshana Fine, docteure associée au CERI et Thomas Lindemann, professeur de science politique à l’Université de Versailles Saint-Quentin. Je suis un patriote et un mondialiste. Une figure intellectuelle de marque de la diaspora ivoirienne et africaine ne peut être nationaliste. Il faut dépoussiérer le nationalisme de son caractère agressif et expansionniste, en le conformant à la modernité de notre temps. Être patriote, c’est aimer son pays sans en vouloir aux autres ; c’est vouloir un pays fort, ouvert dans l’Afrique et dans le monde, un pays fort qui sait se donner des lois exemplaires et modernes sur la nationalité, le foncier et qui favorisent l’intégration respectueuse de l’étranger, en préservant la dignité absolue, les intérêts imprescriptibles et le bonheur légitime des nationaux.
Nous devons manifester clairement le désir de prendre de la hauteur en amorçant une réflexion de fond sur l’avenir du pays, hors des querelles partisanes et des envolées de dépit. Les profils politiques prématurés ont encore des chances de pouvoir jouer un rôle d’État en Côte d’Ivoire s’ils savent réorganiser leurs cartes et surtout en trouver de nouvelles et de meilleures. Il revient aux conseillers et équipes des profils politiques potentiels mais inachevés, de poursuivre le boulot en le corsant. Ils peuvent arriver au pouvoir mais pour y réussir et s’y maintenir, il va falloir qu’ils « s’achèvent ». Les profils politiques périmés ont déjà contribué à écrire une certaine histoire de la Côte d’Ivoire qui se dépasse, au sens hégélien du terme. Il leur revient d’en tirer les conséquences courageuses. Soit ils optent pour une « sortie de mémoire » (ancrage dans l’histoire), soit ils s’écroulent dans le vent de la décadence. Le temps de notre temps n’est plus leur temps.
‘’Les profils politiques périmés ont déjà contribué à écrire une certaine histoire de la Côte d’Ivoire qui se dépasse, au sens hégélien du terme. Il leur revient d’en tirer les conséquences courageuses.’’
En Côte d’Ivoire, 2020 sera moins la victoire d’un parti politique sur un autre que la rencontre du pays avec son plus parfait contemporain ; celui ou celle qui aura compris les grondements profonds de son génie de la diversité. On ne peut plus gouverner un peuple contre son histoire. Une période de l’histoire de notre pays est en train de s’achever et l’ancienne classe politique doit le comprendre ; car elle n’a pas su mesurer l’inversion des paradigmes. Le profil de gouvernants, considérant les électeurs comme des administrés et incapables de comprendre les intérêts profonds du pays, est démodé, suranné et forclos. Les grands partis ont besoin de retrouver des idées, des hommes porteurs de valeurs pour formuler de nouveaux projets ambitieux. Il nous faut éviter que la politique devienne une occupation d’amateurs et de chercheurs d’horizons, la loge des conservatismes totémiques et de la novlangue fétichiste. Disons non à la dégradation de la politique, à la dénaturation de ses visées et à l’évanouissement de son essence ! Notre pays souffre d’un déficit de pédagogie de la politique et de la démocratie.
‘’Le profil de gouvernants, considérant les électeurs comme des administrés et incapables de comprendre les intérêts profonds du pays, est démodé, suranné et forclos.’’
Nul ne devient l’homme de son pays s’il n’est l’homme de son temps. Être de son temps, c’est être pour son époque une occasion de prendre conscience d’elle-même. Shakespeare, Sartre, Truffaut… furent de leur temps. Et nous autres, que faisons-nous ?
J’appelle à une refondation intellectuelle et morale qui procède d’une nouvelle méthode de l’action politique. Gouverner, ce n’est pas suivre la mode d’un jour, mais remplir un devoir d’engagement au nom d’une préparation. Gouverner, c’est agir pour faire triompher l’action. Gouverner, enfin, c’est tenir une conduite qui repose sur la valeur personnelle, l’éducation et l’exemple.
Docteur Pascal ROY
Juriste, Philosophe et Diplômé de Sciences politiques
Enseignant-Chercheur des Universités
Chercheur-Associé à l’Institut Catholique de Paris
Membre-Associé à la Société Française de Philosophie
Ecrivain et Chroniqueur
www.docteurpascalroy.com
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