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[Côte d’Ivoire/19 Septembre] Journée de souvenir et de rupture pour bâtir la nation


 Abidjan, 20-09-2024 (lepointsur.com) L’imam Cissé Djiguiba, l’un des Imams les plus érudits du pays, aime répéter, avant le début de ces sermons du vendredi, ce versé du coran : « rappeler car le rappel est utile au croyant ». Je ne connais pas la version arabe (authentique) de ce versé coranique. Mais j’ai fait mienne sa traduction française car elle interpelle la conscience de tous.

“ Le rappel historique est donc important pour un peuple. Il permet d’éviter l’amnésie collective et volontaire, une façon de faire, hélas très propre au peuple Ivoirien. Car en Côte d’Ivoire, on fabrique des évènements nouveaux pour étouffer dans la conscience collective, ceux qui peuvent être le ciment de la cohésion sociale. ’’

Le rappel, car c’est de cela qu’il est question dans cette publication, est un devoir de mémoire, pour ceux qui veulent vivre ensemble. Ceux qui veulent vivre dans cette Côte d’Ivoire, qui est une nation à bâtir. Une nation où il fait bon de vivre ensemble. Où le progrès est pour tous et le bonheur pour chacun (Henri Konan Bédié). Une nation refondée, selon l’expression du président Laurent Gbagbo, sur des bases de justice sociale, d’équité, de vraie fraternité et de partage. Une nation où le respect de la parole donnée est sacrée et, le bon ton, est le ciment de la paix, comme le souhaitait le président Robert Guei.

Le rappel historique est donc important pour un peuple. Il permet d’éviter l’amnésie collective et volontaire, une façon de faire, hélas très propre au peuple Ivoirien. Car en Côte d’Ivoire, on fabrique des évènements nouveaux pour étouffer dans la conscience collective, ceux qui peuvent être le ciment de la cohésion sociale. Et pourtant, les grandes nations, sont celles qui ont su regarder en face leur propre histoire, sans en dénaturer une partie, ni effacer de la mémoire collective, celles qui paraissent douloureuses.

L’Allemagne garde dans ses livres d’histoires, monuments et musés, les traces du IIIe Reich, le règne douloureux des NAZIS, afin que le souvenir de ces moments de folies collectives, ne se perdent pas. L’Israël à des monuments qui rappellent au peuple juif et au monde entier, la Shoah, le génocide de plus de six millions de juifs, par dix ans de nazisme en Europe. Le camp de Auschwitz est toujours présent en Pologne et visité par le monde entier. Symbole de l’Holocauste juif, Le Musée National d’Auschwitz Birkenau est un lieu universel de mémoire et de recueillement. La France se souvient toujours des français morts durant les deux guerres mondiales. Elle continue d’écrire, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale en 1945, sur le régime collaborateur de Vichy. Mais aussi sur les résistants à l’invasion allemande de 1940. Elle commémore chaque année, les massacres des juifs sous le régime de vichy, du général Pétain, de triste mémoire. Le mémorial de Kigali est là pour nous rappeler de génocide des Tutsis au Rwanda. Et plus de deux cent cites mémoriels existent dans ce pays pour garder vivant, dans la conscience collective les horreurs du régime génocidaire de Juvénal Habyarimana de 1994.

“ Ceux qui passent leur temps, à forger de nouvelles histoires nationales, pensant pouvoir reformater les esprits à leur vision falsifiée de la vérité historique, se trompent ! L’amnésie n’est pas collective. ’’

Et c’est parce que ces pays, ont réussi à assumer leur histoire, qu’ils sont arrivés à bâtir des nations prospères que nous envions. Ceux qui passent leur temps, à forger de nouvelles histoires nationales, pensant pouvoir reformater les esprits à leur vision falsifiée de la vérité historique, se trompent ! L’amnésie n’est pas collective. Pas plus que nous ne sommes pas tous atteint par « l’amnésie de la genèse ». Et tout le monde n’a pas la mémoire sélective. Certains se souviennent encore du 19 Septembre 2002.Cette journée dont l’aurore fut précédé d’une nuit sombre qui rappelle une certaine « nuit des longs couteaux en Allemagne en 1934 ».

Souvenons-nous donc !  Pour la première fois, je vais relater la matinée du 19 Septembre 2002, telle que je l’ai vécu au quartier Ebrié sis dans la commune d’Adjamé. Un quartier, très proche du camp de la gendarmerie d’Agban, où j’habitais en 2002.Un souvenir, qui m’a fait prendre en horreur, la guerre et tout son champ symbolique. Il m’a fait prendre en grippe, tous les hommes politiques qui fabriquent des artifices aussi bien juridiques que politiques, pour réduire au silence leurs opposants.

En effet, le mercredi18 Septembre 2002, après minuit, j’ai entendu des tirs d’armes à feu déchirés le silence de la nuit. J’ai pensé que c’était comme on avait l’habitude de l’entendre depuis le 24 décembre 1999. Je me suis dit que c’était des militaires qui traquaient des bandits dans notre commune. Parce que Adjamé était connu pour ces scènes d’échanges de tirs entre bandits et gendarmes ou policiers, dignes des films d’Hollywood. Mais cette fois-ci, ces tirs n’étaient pas comme d’habitudes. Avant, lorsque de mon quartier, on entendait des coups de feu, ils étaient sporadiques et ne duraient pas. La rapidité des tirs et leur fin brusque, nous assurait que les corps habillés avaient pris le dessus sur les malfrats. Mais cette nuit-là, ils n’étaient pas comme d’habitude. Les coups de feu étaient très nourris et ininterrompus.

“ Comme par miracle, la balle est entrée dans la bouche de notre camarade et est sortie de l’autre côté de sa bouche, sous sa mâchoire, laissant un grand orifice à l’arrière de sa mâchoire inférieure. Plus tard, il sera soigné. Il en gardera longtemps des séquelles. ’’

On les entendait dans le lointain, comme s’ils venaient de la commune de cocody, une commune voisine d’Adjamé. Mais aussi, on avait l’impression que les tirs venaient du camp de la gendarmerie d’Agban, car parfois, les bruits nourris des armes semblaient très proches de notre maison qui était à moins de 200m dudit camp. De mon quartier, on met à peine 10 min pour arriver à l’entrée sud du camp, l’entrée principale dit « poste sud ». Cette nuit-là donc, les habitants du quartier Ebrié sont restés éveillés dans leurs maisons et accrochés au son des armes lourdes qui déversaient un déluge de feu sur le camp de gendarmerie d’Agban. Moi, j’ai un peu dormi, parce que je me disais que de toutes les façons, ces tirs allaient s’arrêter. Et le lendemain, on passera à autre chose, les gendarmes ayant pris le dessus.

Lorsque le jour se lève, nous sommes le Jeudi 19 Septembre. Il est à peine 6h00 du matin. Curieux que je suis avec d’autres jeunes de mon quartier, nous décidons d’aller voir ce qui se passe devant le camp de gendarmerie d’Agban. Nous quittons notre quartier, et nous nous rendons au quartier chicane, qui fait face au camp d’Agban. Une partie de ce quartier débouche sur un escarpement de terre qui borde une voie qui mène à mon quartier. Cette portion de terre qui se présente en hauteur est séparée de la route par des barbelés. De cette hauteur, on pouvait voir tout ce qui se déroulait en contre bas, face au camp des gendarmes. On apercevait même des véhicules civils rouler à vive allure, sortir de l’arrière du camp, pour prendre la voie menant à l’autoroute du nord.

Nous sommes une dizaine de jeunes arrêtés sur cette hauteur de terre. De là où nous sommes, nous voyons une personne, couché dans les herbes qui font face au camp. Ces herbes accueillaient un parc à mouton, très connu dans la commune. Cet homme, que nous regardions faire des mouvements, comme s’il avait dormi là, et qu’il s’apprêtait à lever le camp, avait une grosse arme à feu en main et beaucoup de munition mis en bandoulière sur son coup. Il n’était pas menaçant pour nous. Soudain, comme si on lui avait dit que sa position serait attaquée d’un instant à l’autre, il ramasse toutes ces munitions et se met à partir avec empressement en direction des bâtiments de la croix bleue, qui sont à l’entrée du quartier du Williamsville. Dans sa fuite, il tir des rafales dans notre direction. Au même moment, un véhicule blindé des gendarmes de couleur bleu nuit, portant sur le part brise avant des grilles, sort en trombe du côté opposé à la position du bonhomme, et se met à tirer dans le sens de l’homme que nous n’apercevons plus. Car, avant l’arrivée du véhicule de gendarme, on le voyait escalader la façade d’un mur de la croix bleu. En un laps de temps, l’homme qui avait beaucoup de munitions enroulés en forme de chaine sur ces épaules et son coup, son arme en bandoulière, venait de disparaitre dans les ruelles de Williamsme ville.

“ Tant que nous ivoiriens, aurons une mémoire sélective pour nous contenter de demi-vérités et de demi-mensonges ; tant que nous passerons notre temps dans les forgeries politiques pour flagorner les tenants du pouvoir, parce qu’ils nous nourrissent au Prytanée ; tant que la classe politique ivoirienne refusera d’assumer notre passé, nos erreurs et nos mensonges, rien de grand ne pourra se bâtir durablement dans ce pays. ’’

Les gendarmes qui avaient libérés la devanture du camp Agban, contrôlaient maintenant tous les véhicules. On les voyait sortir d’un taxi, des vigiles reconnaissables par leurs tenues jaunes et noir, conduits en direction de leur camp. Quant au petit groupe de jeunes curieux que nous étions, on n’était pas encore sorti de nos émotions quand l’un d’entre nous (aujourd’hui décédé) s’écria : « une balle m’a touché » ! Paniqué, on n’a pas le temps de voir qui c’était. Tout le monde prend ses jambes à son coup et nous retournons dans notre quartier, affolés par les cris de notre camarade. Une fois arrivé au quartier, on s’informe sur son sort. Il y a eu plus de peur que de mal. Comme par miracle, la balle est entrée dans la bouche de notre camarade et est sortie de l’autre côté de sa bouche, sous sa mâchoire, laissant un grand orifice à l’arrière de sa mâchoire inferieure. Plus tard, il sera soigné. Il en gardera longtemps des séquelles.

Au quartier, chacun rentre chez lui et on s’accroche aux médias pour connaitre la suite des évènements. Avant d’écouter les medias, j’appelle une amie qui habite avec ces parents au camp de gendarmerie d’Agban pour prendre de ces nouvelles. Elle n’est pas joignable. Plus tard, elle me raconte ce que sa famille a vécu. Durant toute la nuit du 18 au 19 septembre 2002, son père, un vieux gendarme qui était à quelques mois de la retraite, avait reçu l’ordre de son supérieur de se mettre en tenu de guerre pour attendre les ordres de combats. Son père, avait, pour la première fois, depuis plus de 25 ans qu’il était gendarme, porté son uniforme treillis de combat, avait chargé sa kalachnikov, et s’était couché, à même le sol, dans sa chambre, au bord de son lit, pour attendre, durant toute la nuit, les ordres. Il avait demandé à toute sa famille d’en faire de même. Cette lui-là, me dit-elle, personne ne dormi sur son lit. Sa mère ne faisait que pleurer, demandant à son époux de ne pas sortir, pour aller au combat, si son chef le lui demandait. Mais, voici la réponse de son père qu’elle me rapporta : « mon père répondit à ma mère, que c’était pour ces moments comme ça que l’Etat le payait. Il n’allait pas se dérober à son devoir et qu’il était prêt pour le combat ». Bien entendu, jusqu’au matin du 19 Septembre 2002, son père ne reçut pas d’ordre pour le combat. Elle me raconta que son père justifia cet absence d’ordre de leur hiérarchie, parce qu’elle ne savait pas qui les attaquait et d’où venaient cette attaque. Bref, la famille de mon amie sortie saine et sauve de ce cauchemar. Il n’en sera pas de même pour toutes les familles.

“ Le 19 Septembre de chaque année, doit donc être pour la Côte d’Ivoire, une journée de souvenir et de remise en cause de tous, afin que nous apprenions à rompre avec les pratiques anciennes sources de conflits. Surtout dans le champ de la gouvernance politique. ’’

La veille, lorsque mes camarades de quartier et moi, regardions le spectacle, j’avais reconnu, en partance vers le pont d’Agban, dans cette matinée brumeuse, un journaliste de l’AFP. La suite des évènements, me permis de comprendre que ce journaliste, était un véritable investigateur qui était à la recherche des informations fiables.

C’est aux environs de 11H30min que la suite des évènements que nous vivions avec amusement se révèlent tragiques. À la RTI1, on annonce que le Général de brigade Robert Guei, ex chef de l’Etat pendant la transition de 2000 est mort, assassiné. Son épouse et sa garde rapprochée sont aussi vaporisés. Mon frère qui était ce jour-là sur un chantier de forage de pompe hydraulique villageoise à Lakota, me raconta, des jours après, que l’annonce de la mort du président Robert Guei, souleva des cris de joie dans ce village de Lakota, acquis au FPI. Tout le village sautait et dansait de joie. C’était une sorte d’hystérie collective, tellement leur joie était grande. Certains habitants venaient le narguer et lui dire, le Yacouba (ethnie du général Guei) qui forait des puits dans leur village afin qu’ils aient de l’eau potable à boire : « (dixit mon frère) ton frère là (ils faisaient allusion au président Guei), il n’a pas dit qu’il est garçon, c’est bien fait pour lui. Maintenant, notre pouvoir est tranquille. Celui qui voulait emmerder Gbagbo est parti ». Mais mon frère, avec stoïcisme, leur avait répondu : « Geui est mort. Mais vous pensez que c’est fini ? C’est ce qui arrive après lui qui sera grave ».

Au moment de ces faits, raconte mon grand frère, les medias n’avaient pas encore annoncé la mort du ministre de l’intérieur Emile Boga Doudou. Ce n’est que quelques heures plus tard, que la mort du ministre de l’intérieur du président Laurent Gbagbo, est annoncée. Quand cette information tombe, c’est l’effroi dans le village, me dit mon frère. Et lui, pour accroitre leur désarroi, ajoutait : « ce n’est pas fini. Ce n’est que le début. Beaucoup d’autre vont mourir ».

Depuis cette horrible matinée du 19 Septembre 2002, où pour la première fois dans l’histoire de Côte d’Ivoire, un ancien chef d’Etat a été assassiné, notre pays n’a cessé de vivre dans le sang et la barbarie. Notre pays tressaute entre barbarie et démocratie. Nous devons donc nous souvenir de cette effroyable nuit, pour éviter à notre pays, des effrois sans fin. Tant que nous ivoiriens, aurons une mémoire sélective pour nous contenter de demi-vérités et de demi-mensonges ; tant que nous passerons notre temps dans les forgeries politiques pour flagorner les tenants du pouvoir, parce qu’ils nous nourrissent au Prytanée ; tant que la classe politique ivoirienne refusera d’assumer notre passé, nos erreurs et nos mensonges, rien de grand ne pourra se bâtir durablement dans ce pays. Car, c’est le souvenir et la rupture d’avec les pratiques qui ont engendré le chaos et rendus notre vie collective ténébreuse, que nous pourrons bâtir une nation, ou il fera bon de vivre ensemble.

Malheureusement, ce drame n’a pas encore servi de leçon à la classe dirigeante ivoirienne. Car, les emprisonnements arbitraires des opposants, le musellement de certains partis politiques supposés alliés, l’exil forcé d’adversaires politiques et l’ostracisation de leaders politiques, sont hélas, des pratiques de la classe dirigeante ivoirienne qui… ’’

Le 19 Septembre de chaque année, doit donc être pour la Côte d’Ivoire, une journée de souvenir et de remise en cause de tous, afin que nous apprenions à rompre avec les pratiques anciennes sources de conflits. Surtout dans le champ de la gouvernance politique. C’est pourquoi, nous ne cessons de plaider pour la construction d’espaces mémoriels dans tout le pays dont un en la mémoire de l’ex Chef d’Etat, Robert Guei. Une stèle érigée sur le site où sont corps fut découvert, pourrai symboliser cette « nuit des longs couteux à l’ivoirienne » que nous ne devons jamais oublier. Vingt deux ans (22 ans) après cette triste journée, on peut tous constater que la classe politique n’a pas encore compris que les ivoiriens ne veulent plus de la barbarie, comme forme de gouvernement dans ce pays. Malheureusement, ce drame n’a pas encore servi de leçon à la classe dirigeante ivoirienne. Car, les emprisonnements arbitraires des opposants, le musellement de certains partis politiques supposés alliés, l’exil forcé d’adversaires politiques et l’ostracisation de leaders politiques, sont hélas, des pratiques de la classe dirigeante ivoirienne qui sont encore de retour, malgré les conséquences que furent 1999 et 2002.  Reste à espérer qu’une nouvelle Elite consciente et porteuse de valeurs morales fortes, émerge de ces miasmes morbides, pour le bonheur de l’ivoirien et le salut de la République.

GOUESSE DIOMANDE

Secrétaire Général National de la LND-mg

(La Ligue National pour la Démocratie-Mouvement Gueiste)

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