[Changement climatique] La Côte d’Ivoire court vers ‘’l’extrême pauvreté’’ entre 2030 et 2050
-Le gouvernement ivoirien entre stratégie et estimation exhaustive du coût pour sauver le pays
Selon la Banque mondiale, le réchauffement climatique entraînera la Côte d’Ivoire vers l’extrême pauvreté entre 2030 et 2050.
Le 7e rapport de la Banque mondiale sur la situation économique de la Côte d’Ivoire de juillet 2018 montre que le changement climatique pourrait faire basculer le pays dans ‘’l’extrême pauvreté’’ (2 % à 6 % de ménages supplémentaires d’ici 2030), à cause de la hausse des températures, de la variation des précipitations et de la montée des eaux des Océans.
Dans une analyse de l’économiste en chef et le coordinateur des programmes de la Banque mondiale en Côte d’Ivoire, Jacques Morisset, publiée le jeudi 12 juillet 2018, sur la page Facebook de cette institution bancaire, intitulée : ‘’Côte d’Ivoire : pour que demain existe encore’’, l’expert tire la sonnette d’alarme.
« En Côte d’Ivoire, même s’ils ne peuvent prévoir l’avenir avec certitude, les experts s’accordent sur le fait qu’il fera plus chaud, que les pluies seront plus aléatoires, mais plus violentes, avec de nombreuses terres englouties par l’Océan qui ne cesse de gagner du terrain », révèle-t-il.
À l’en croire, l’urgence est aussi visible dans la planification urbaine, notamment autour de l’agglomération d’Abidjan, où, selon lui, 2/3 des activités économiques du pays sont concentrées en raison de sa proximité de l’Océan, du risque d’érosion côtière et des dégâts causés par des pluies de plus en plus violentes.
Le coordinateur des programmes de la Banque mondiale rappelle que la Côte d’Ivoire a déjà perdu plus du quart de ses richesses naturelles au cours des 25 dernières années. Un fort taux de déforestation confirmée par le ministre de la Salubrité, de l’Environnement et du Développement durable en février 2018, lors d’un projet en préparation pour la restauration et la conservation de biodiversité en Côte d’Ivoire.
Le directeur de cabinet dudit ministère, Fofana Brahima, s’en était alarmé sur le site gouvernemental ivoirien qui a relayé l’information : « Présentement, 80% des forêts de la Côte d’Ivoire ont disparu […] De plus de 16,5 millions d’ha à l’indépendance en 1960, le couvert forestier ivoirien est progressivement passé à environ 12 millions d’ha en 1970, puis à 4 millions d’ha en l’an 2000. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’environ 2 millions d’ha de forêt […] Le temps joue contre nous. »
Les cultures de rente et les exportations de bois industriel tropical indexées
Selon le site du Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (Cepici), les cultures du cacao et du café occupent à elles seules plus de 75% des terres consacrées aux cultures de rente avec une prédominance du cacao (56%). Le coton, le palmier à huile, l’anacardier et l’hévéa occupent 23% des superficies. Les autres cultures de rente (cocotier, banane, etc.) n’occupent que 2% des superficies.
Les dernières données disponibles en 2009 indiquent que la production de cacao était assurée par environ 600.000 planteurs exploitant 2.500.000 hectares avec un rendement moyen de l’ordre de 500 à 600 kg/ha. Quant au café, en 2002, la production était de 300.000 tonnes avec environ 440.000 planteurs exploitant 1.300.000 hectares.
Le cacao est la principale source de devises de la Côte d’Ivoire, selon la Banque mondiale: «Le Cacao représente 15% du produit intérieur brut de la première économie francophone d’Afrique de l’Ouest, plus de 50% de ses recettes d’exportation et les deux tiers des emplois directs et indirects.»
À ce sombre tableau de destruction du patrimoine forestier ivoirien s’ajoutent les exportations de bois industriel tropical de la Côte d’Ivoire. Selon la FAO, le pays a exporté, entre 2013 et 2016, plus de 200 000 m3 chaque année; sauf en 2015 où elle a exporté 129 837 m3.
Dr Julius Koffi Yao , géographe et enseignant-chercheur à l’Université Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire, affirmait dans un article d’Africa check publié, le 15 août 2018: « Le bois est la principale ressource forestière et non naturelle de la Côte d’Ivoire; on peut même dire qu’il était, car sur les 18 millions d’hectares en 1960, il reste actuellement moins de 2 millions d’hectares ».
Pire, cette institution bancaire internationale indique que le pays devrait être confronté à l’horizon 2050, à l’effet combiné de la hausse des températures (+2 degrés Celsius), de la variation des précipitations (-9 % en mai et +9 % en octobre) et de la montée des eaux des Océans (30 cm).
L’extrême pauvreté aux portes de la Côte d’Ivoire
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), enfonce le clou et révèle que le changement climatique pourrait faire basculer la Côte d’ivoire dans l’extrême pauvreté 2 % à 6 % de ménages supplémentaires d’ici 2030. « Ces pertes se répartissent entre le secteur agricole, le capital humain et les infrastructures », précisent les experts. Ce qui, selon eux, correspondrait à près d’un million de personnes supplémentaires dans une situation d’extrême pauvreté (personnes vivant avec moins de 1,90 dollar par jour) et qui s’ajouteront aux 6 millions de pauvres aujourd’hui (Ndlr : 2018). « Cela correspondrait à une perte équivalente de 380 à 770 milliards FCFA de son PIB », justifie le GIEC.
Un coût approximativement 10 fois plus cher que la réhabilitation d’une route
Pis, le coût des dommages liés au changement climatique sur la zone côtière n’a pas été estimé de façon exhaustive, selon le rapport. Pourtant, la Côte d’Ivoire est avec le Nigéria, la Mauritanie et le Sénégal, l’un des pays d’Afrique de l’Ouest, qui possède l’une des plus longues côtes, avec un littoral de 566 km. « Les plaines côtières recensent près de 7,5 millions d’habitants, soit 30 % de la population ivoirienne et abritent près de 80 % des activités économiques du pays », révèle le rapport de la Banque mondiale. Néanmoins, souligne le rapport, une étude sur le cas de la zone de Port-Bouët (avec une population de 0,4 million d’habitants) a estimé le coût de l’érosion et de la submersion marine pour la seule année de 2015 à 1,4 milliard FCFA. « Par exemple, l’expérience a montré qu’il coûte approximativement 10 fois plus cher de réhabiliter une route mal conçue par rapport aux risques climatiques que d’incorporer ce risque pendant sa construction », indique le document.
L’avenir n’étant pas ce qui va nous arriver, mais ce que nous allons faire, selon le philosophe français du 20e siècle, Henri Bergson, la Côte d’Ivoire doit proposer une stratégie d’adaptation au danger climatique qui la menace.
L’économie ‘’verte’’ comme l’une des solutions
Les experts de la Banque mondiale conseillent à la Côte d’Ivoire d’ouvrir la voie à une autre économie, celle qui est communément appelée ‘’verte’’:« Comme la majorité des pays africains, la Côte d’Ivoire est une victime plutôt qu’une cause du changement climatique de la planète. Son économie est aussi l’une des plus vulnérables – 146e sur 166 pays- à cause de sa position géographique et de sa dépendance à l’agriculture. »
Outre cette proposition, le coordonnateur du Programme national de gestion de l’environnement côtier (Pngec) au ministère de la Salubrité, de l’Environnement et du Développement durable (Minsedd), Prof. Eric M. Valère Djagoua, soutient que dans certaines de ces missions, le ministère, avec ses services techniques, travaille à la protection durable de l’environnement et à la gestion durable des ressources naturelles et la capacité d’adaptation et d’atténuation des effets du changement climatique. « Dans la zone côtière, nous mettons d’abord l’accent sur la sensibilisation envers la population pour qu’elle adopte une bonne pratique, ensuite des études de plus en plus poussées sont faites pour évaluer la vulnérabilité de la population et des écosystèmes face aux changements climatiques et leur permettre d’être résilients », indique-t-il.
Par ailleurs, le spécialiste en environnements marin et côtier et télédétection-SIG- révèle que le projet d’investissement pour la résilience des zones côtières (WACA-RESIP) qui est mis en œuvre à Grand-Lahou évaluera les aspects sociaux et économiques en initiant les activités génératrices de revenus (AGR) pour lutter contre la pauvreté.
En revanche, l’expert estime que l’extrême pauvreté que va causer le changement climatique peut être évitée entre 2030 et 2050 en Côte d’Ivoire : « Cela peut être évité si les stratégies et plans d’action élaborés dans les domaines les plus sensibles aux effets de changements climatiques tels que la zone côtière, l’agriculture sont mises en œuvre afin d’assurer la résilience des populations et lutter contre la pauvreté. »
S’exprimant lors de la remise de ce rapport de la Banque mondiale sur la Côte d’Ivoire, en juillet 2018, consacré au changement climatique, le ministre de l’Economie et des Finances, Adama Koné, a souligné que le pays est engagé dans une politique d’atténuation des effets du phénomène sur son développement.
« Les engagements de la Côte d’Ivoire visent d’abord à atténuer ses émissions de gaz à effets de serre de 28% d’ici 2030, ensuite à augmenter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique avec un objectif de 16% à l’horizon 2030 et, enfin, à réduire la déforestation et la dégradation des forêts », a confié Adama Koné.
Selon lui, le défi climatique étant une question de survie pour le pays, le gouvernement ivoirien a élaboré ‘’une stratégie’’ pour mobiliser ‘’tous les moyens nécessaires’’ afin d’assurer sa transition énergétique, développer de façon durable son agriculture et intégrer ses déchets dans l’économie circulaire.
À 12 ans de 2030, début de cette extrême pauvreté, et à 22 ans de 2050, pic de cette crise humanitaire qui s’annonce, le gouvernement ivoirien est entre stratégie et estimation exhaustive du coût.
Sériba Koné
kone.seriba67@gmail.com
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