Burundi : situation incertaine après l’annonce d’un coup d’État
L’ex-chef du service des renseignements a annoncé la destitution de Nkurunziza. La présidence affirme que le coup d’État « a échoué ».
Après des semaines de contestation populaire, un général burundais a annoncé mercredi la destitution du président Pierre Nkurunziza, en déplacement à l’étranger lors de cette tentative de coup d’État dont l’issue restait incertaine dans la soirée. Selon la présidence burundaise, le coup d’État, mené par un groupe de militaires « mutins », a été « déjoué », mais le général putschiste Godefroid Niyombare a assuré avoir le soutien de « beaucoup » d’officiers supérieurs de l’armée et de la police. Il était impossible de savoir dans l’immédiat qui contrôlait le pays, secoué depuis le 26 avril par un mouvement de contestation à la candidature de M. Nkurunziza à la présidentielle du 26 juin. « Je pense qu’il y a quelques cafouillages, je pense que demain va s’éclaircir », a déclaré le général Niyombare sur la chaîne d’information France 24, assurant que pour l’armée « il n’y avait pas d’autre choix ».
Les manifestations contre un troisième mandat du chef de l’État, au pouvoir depuis dix ans, ont été marquées par de nombreuses violences, qui ont fait une vingtaine de morts. Dans la capitale Bujumbura, de nombreux manifestants ont laissé éclater leur joie, fraternisant avec les militaires et grimpant sur des blindés. Des groupes de manifestants chantaient, branches d’arbre à la main en signe de paix, criant « Victoire, on a gagné ! » Devant la principale radio privée, la RPA, qui a recommencé à émettre après avoir été fermée le 27 avril par les autorités, un manifestant exultait : « Ça fait 10 ans qu’on parle de la corruption, des tueries, de la malversation c’est un moment très fort pour les Burundais ».
Tractations en cours
Un haut gradé loyaliste a affirmé à l’AFP que des « tractations » étaient en cours entre loyalistes et putschistes. Les deux camps sont « d’accord pour ne pas verser le sang des Burundais », a-t-il assuré. Ces négociations se poursuivaient mercredi soir. « Dans les deux camps, on est décidé à trouver un compromis avant l’aube pour pouvoir l’annoncer à la population pour éviter la confusion et que les choses ne dégénèrent demain », a souligné un officier.
En fin d’après-midi, la présidence tanzanienne avait affirmé que le président Nkurunziza avait quitté la capitale économique tanzanienne Dar es Salaam pour Bujumbura. Mais un retour semblait difficile : en début de soirée, l’aéroport international de la capitale burundaise était fermé. Peu auparavant, le général Niyombare avait ordonné la fermeture des frontières terrestres et de l’aéroport. Toute la soirée, des rumeurs ont circulé sur la localisation du chef de l’État burundais. Des responsables ougandais ont refusé de confirmer ou de démentir une possible arrivée du président Nkurunziza en Ouganda. Une source au sein de l’opposition burundaise, présent à Dar es Salaam, a de son côté affirmé avoir vu revenir à leur hôtel les membres de sa délégation, qui lui auraient expliqué ne pas avoir pu atterrir en Ouganda.
L’ONU exhorte « au calme et à la retenue »
Pierre Nkurunziza avait atterri dans la matinée à Dar es Salaam pour un sommet extraordinaire des chefs d’État de la Communauté est-africaine (Burundi, Kenya, Ouganda, Rwanda, Tanzanie). Ses homologues de la région, qui ont discuté sans lui de la situation dans son pays, ont condamné le coup d’État en cours et demandé le report des législatives prévues le 26 mai et de la présidentielle du 26 juin, estimant que « les conditions n’étaient pas propices à des élections. Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a exhorté « au calme et à la retenue », et la Maison Blanche a appelé toutes les parties à « déposer les armes ».
Du côté de la présidence burundaise, le principal conseiller en communication de M. Nkurunziza, Willy Nyamitwe, a affirmé que les militaires putschistes étaient « recherchés » pour être « traduits en justice ». Les locaux de la radio-télévision sont restés sous contrôle des loyalistes, qui ont fait face dans la journée à des milliers de manifestants. Selon la Croix-Rouge burundaise, des affrontements entre manifestants et policiers ayant eu lieu avant l’annonce du coup d’État ont fait 3 morts, 2 civils et 1 policier, et 66 blessés.
Ancien compagnon d’armes
La tentative de coup d’État est menée par un compagnon d’armes du chef de l’État au sein de l’ex-rébellion hutu, le Cndd-FDD, devenu le parti au pouvoir depuis la fin de la longue guerre civile (1993-2006) entre la majorité hutu et la minorité tutsi, longtemps dominante dans l’armée. « Le président Pierre Nkurunziza est destitué de ses fonctions, le gouvernement est dissous », a annoncé mercredi après-midi sur une radio privée le général Godefroid Niyombare, un Hutu. Plus tard, il a accusé le chef de l’État d’avoir présenté sa candidature « au mépris du peuple burundais ». Le général Niyombare avait été limogé de la tête des services de renseignement en février par le président après lui avoir déconseillé de briguer un troisième mandat, jugé inconstitutionnel par ses adversaires.
L’officier putschiste a annoncé la mise en place d’un « comité pour le rétablissement de la concorde nationale, temporaire », chargé de rétablir « l’unité nationale » et de reprendre le « processus électoral dans un climat serein et équitable ». Il a dit prendre la tête du comité. Personnalité aujourd’hui respectée et considéré comme un homme de dialogue, le général Nyombare était devenu après la guerre civile chef d’état-major adjoint, puis chef d’état-major de l’armée. Nommé en décembre 2014 à la tête du Service national de renseignements (SNR), il avait été limogé trois mois plus tard.
Les opposants à un troisième mandat du président, issus pour la plupart des rangs de l’opposition et de la société civile, avaient porté mercredi matin la contestation au coeur de Bujumbura, sanctuarisé par la police depuis le début des manifestations. Plusieurs centaines de personnes, dont beaucoup de femmes, ont réussi pour la première fois à se rassembler sur la symbolique place de l’Indépendance, au centre de la capitale. L’impasse politique des dernières semaines a suscité une inquiétude sans cesse grandissante, alors que l’histoire récente du Burundi est jalonnée de massacres ethniques, dans une Afrique des Grands lacs toujours très instable.