Après l’attaque djihadiste / Récit et leçons immédiates
Ma très chère collette,
Je te lis depuis deux mois et suite au drame du dimanche noir, j’ai cru bon de reprendre le clavier
« … En tout cas, ceux qu’on a vus là, ne sont pas d’ici. Cela ne peut même pas être des gens de Bassam, même… » Voila en substance, ce qui revenait dans l’essentiel des discours auxquels nous avons eu droit auprès des rescapés, et témoins, ayant été sur les plages de Bassam, le dimanche noir. Comme si tous les habitants de cette localité paisible se connaissaient tous, comme si chacun avait dans son fichier, le morphotype du bassamois. Au moment où la peur et l’angoisse s’effacent pour faire place à la reprise, je te livre la chronologie des faits après regroupement des témoignages, confrontés avec ce que nous avons vu sur le terrain.
Nous sommes le dimanche 13 mars 2016, et dans dix minutes, il sera midi à Grand-Bassam. Les premiers « pisteurs de la pâque » gonflent progressivement les « plageurs » autochtones. Pisteurs, parce que ce sont ceux-là qui arrivent d’Abidjan chaque année avant la pâque, pour faire l’état des lieux, avant « les grandes messes » qui ont lieu tous les différents dimanches des congés de pâques. Combien étaient-ils sous ce soleil de plomb 400, 500 ? Si l’on y ajoute ceux qui évitent la zone allant d’Azurety à la nouvelle paillote pour plus de quiétude vers l’ancien hôtel atlantique, on parlera de700 personnes. Et à cette heure-ci, presque tout le monde est dans l’eau, en attendant l’essentiel des troupes baptisées « abobolais », ceux qui se font le plus remarquer à la plage et arrivant vers 14 h 30mn.
Tout à coup, deux coups de feu dans la zone du Warf hôtel. Et au même instant, tous ceux qui étaient au cœur de l’océan chez J.B, ou à Canaan Universal Beach, deux espaces situés de part et d’autre du Warf hôtel sortent et se rapprochent des rives. Tous les regards sont dirigés vers le wharf. Hélas, impossible de voir ce qui se passe réellement à l’intérieur depuis leur position, car contrairement aux deux autres espaces, le Wharf est encadré, par des cocotiers. Automatiquement, c’est le début d’une débandade dans ce premier hôtel.
Il sera 12 heures dans cinq minutes, un long cortège, comprenant le premier secrétaire de l’ambassade des USA (et non l’ambassadeur) venu dans le cadre d’une cérémonie à l’université américaine, le personnel de la dite université, et d’autres invités s’ébranlent en toute vitesse vers le pont de la victoire. Le déjeuner fait en leur honneur à l’hôtel Etoile du Sud a été retardé, car bien avant, le diplomate a cru bon de visiter le musée des costumes. Apparemment, le service de sécurité du diplomate a fait très tôt la différence entre bruit de pétards et celui de kalachnikov. Après leur départ, une forte détonation et cette fois-ci, tout est clair en face : quatre individus armés, habillés en noir, deux portant chacun un sac à dos. « … c’est un braquage sortez de l’eau », lancèrent certains maîtres nageurs et c’est la confusion totale. Plusieurs centaines de personnes à demi-nue, ignorant tout de la cartographie du quartier se lancent en quête de refuges. Le gros des troupes prend la direction du boulevard Treich Lapleine et les connaisseurs escaladent la clôture du collège moderne. Pendant ce temps, et selon des témoins oculaires interrogés, les premiers corps gisent dans une marre de sang, autour des poutres des anciens Wharfs, et dans le prolongement de Canaan Universal Beach. Vingt, trente morts à cet endroit ? Impossible de donner le chiffre exact. Car l’un des hommes en jean a fait un carnage à ce droit. Cependant, un fait très intrigant : comme s’ils n’avaient pas eu gain de cause, ou comme s’ils étaient perdus dans une zone qu’ils voyaient pour la première fois, un conciliabule rapide aboutira à une division du groupe. Deux iront vers l’Etoile du Sud, et les autres prendront la direction de l’embouchure. Ces deux derniers ont clairement été identifiés par les apeurés cachés au premier étage (classe de 3ème) du collège moderne de Grand-Bassam. Ils dépasseront la nouvelle paillote et continueront tout droit jusqu’à la limite avec la maison kétouré non sans avoir renversé tous les restes d’alcool sur les tables du maquis mickey. Puis, reviendront sur leurs pas, ignorant que les forces de l’ordre ivoirienne étaient déjà là. Ceux-ci étaient embusqués exactement derrière les paillotes de J.B. aux encablures entre l’EPP Bassam 1 et le collège moderne. A l’endroit exact ou le mur entre les deux établissements à cédé. Comment ont-ils su que les deux hommes étaient à ce niveau ? Grâce à l’hélico qui a fait la ronde à basse altitude pendant trente minutes sur toute la zone. Si les autorités ivoiriennes ont prétendu que les forces spéciales ivoiriennes étaient dans Bassam 45 mn après les premiers coups de feu, les témoins affirment que leur déluge de feu en direction des djihadistes a commencé deux heures après. Et ce, quand les assaillants revenant sur leurs pas sont arrivés au niveau de l’hôtel La Nouvelle Paillote, lieu où se produira le second carnage. La force de frappe des deux jeunes hommes était d’autant plus violente que les forces en présence seront obligés de battre en retraite pour se refugier derrière la cantine de l’école primaire. Finalement, la troupe se divisera en deux. Un groupe restera sur place, et le second contournera le collège moderne pour accéder à la paillote via l’entrée principale : monument aux morts, commanderie. Et à la suite des échanges, selon tous les témoins interrogés, le bilan de cette zone se présente comme suit : un djihadiste tué, trois loyalistes abattus : un du coté de l’entrée principal, et deux au niveau de la clôture. Qu’est-il advenu du second djihadiste sac au dos ? Mystère.
Et pendant ce temps, les deux autres qui ont pris la direction de l’Etoile du Sud continueront leur carnage. Ils abattront plusieurs personnes sur leur parcours. Et l’un des assaillants, tellement excité vida tout le contenu de son arme. Selon plusieurs témoins cachés derrière la maison des artistes. Il aura même le temps de recharger l’arme et foncer sous les paillotes, en titubant. Et de manière volontaire ou non, il sera abattu par son collègue qui semblait être le plus jeune du groupe. Ce dernier prendra seul, sur une plage totalement vide, et avec pour unique bruit le grondement de l’océan la direction de l’Etoile du Sud. Il n’y accédera pas par l’entrée principale, mais par la piscine, et direction le grand apatam qui sert de restaurant. Là, encore il fera couler du sang. Au moment où nous terminons nos enquêtes, les éléments de la police scientifique étaient toujours occupés dans la zone de la taverne, Coral Beach, et jusqu’au-delà de la Madrague. Impossible donc de s’hasarder dans des explications de témoins par procuration. Et c’est finalement après quinze heures de l’après- midi que les jeunes enfermés dans les bâtiments du collège moderne, dans des cours autour de la maison du patrimoine… sortiront de leur cachette. Séance photos de cadavres pour les uns, pleures pour les autres, égarement psychologique pour les plus fragiles.
Quelle analyse suite à toutes ces explications ?
De prime à bord, les assaillants étaient tous étrangers à la ville. Selon tous les témoins, ils avaient un teint noir très brillant, rappelant les noirs de Mauritanie, un « teint peulh fatigué » selon les termes des témoins, ou des negro-arabes. Leur ignorance de la zone était d’autant plus foncière que s’ils la connaissaient, ils auraient décimés des centaines de compagnons du fils du charpentier de Nazareth (touchons de l’iroko) dans la mesure où l’église catholique sacré cœur se trouve à moins de 200 mètres du wharf, et pis, la sortie des fidèles de la messe a coïncidé avec les premiers coups de feu. D’ailleurs certains sont retournés et s’y sont refugiés.
Ensuite, loin de nous l’idée de mettre en doute le chiffre officiel de zéro mort annoncé au départ par deux ministres ??? ivoiriens (zéro qui deviendra brusquement et dans une brusquerie inouïe dix-huit), nous pensons qu’il aurait été légitime et plus juste de se débarrasser de la presse en disant que vue l’espace géographique (plage qui s’étant sur plusieurs kilomètres qu’on ne peut humer en un temps record), et les victimes tuées dans la mer, (donc impossible de récupérer automatiquement, et sur les lieux du crime leurs corps) les chiffres relatifs au nombre de morts seront donnés progressivement. Que non ! On s’est empressé soit par volonté de camouflage, par amateurisme, ou par duperie et l’on a balancé un chiffre. Pourtant, quand on voit le nombre de personnes sur la plage chaque jours depuis le dimanche noir, à la recherche de corps, et après regroupement de témoignages, les victimes seraient plus de cinquante, voir plus.
Que dire aussi de l’attitude des terroristes ? Tout porte à croire qu’ils ont été déroutés par un programme bien ficelé, et qui au final a foiré suite à un nouvel élément d’agenda improvisé. Attendaient-ils un renfort qui maitrisait la zone et qui ne serait pas venu à temps ? Les services de renseignement des vraies cibles auraient-ils été plus efficaces ? Ou bien le temps perdu par les américains au palais du gouverneur aurait emmagasiné chez eux, des tonnes de nervosités ? En toute franchise, ils étaient nerveux. D’autant plus nerveux qu’on les aurait comparés à un élève de terminal qui a été premier toute l’année, a préparé son examen dans de très bonnes conditions, et qui échoue au baccalauréat à un point près. On avait l’impression que c’est un échec qu’ils déchargeaient sur nous dixit une dame.
Enfin combien étaient-ils, ces fous de dieu ? Tous les témoins parlent de quatre personnes identifiées formellement comme tireurs. L’un a été abattu suite aux violents combats de la nouvelle paillote, et l’autre a été descendu par son collègue à Canaan Universal Beach. D’ailleurs, ce sont les deux images de terroristes que nous avons vues dans tous les téléphones portables et sur des dizaines de pages web. Alors à chacun de se poser sa petite question à ce niveau.
Bien sûr qu’il pourrait avoir des failles dans l’ensemble des témoignages recueillis sur le terrain. Cependant, une chose est certaine, le pire a été évité de justesse. Car si la cible supposée réelle avait été touchée, si l’attaque avait eu lieu à 15 heures, heure à laquelle l’on compte plus de 750, voir 1200 personnes sur la plage de Grand-Bassam à cette période de l’année, nous serions face à un carnage. Cependant, pouvions-nous amoindrir le nombre de morts ? Le site de Grand-Bassam en sa qualité de cité touristique a-t-il été protégé comme il se devait ? N’a-t-on pas l’impression que la Côte d’Ivoire sécurisée n’existe aussi qu’à travers Abidjan ? Nous répondrons à ces questions la semaine prochaine.
Omar Samson