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[Agriculture] « Kouamé Akissi N’da, la reine du manioc » par Vincent Toh Bi


Abidjan, le 22-12-2022 (lepointsur.com) La petite Akissi grandit à Ayamé, au quartier Ndouba Nguessanbo, le quartier où se trouve la Gendarmerie. Son père Kouame Konan est venu comme travailleur des colons et s’y est établi. Il épouse Dame Konan Nzue, qui vend de l’attieke au grand marché d’Aboisso.

À force de travail acharné, elle devient reine du secteur manioc

Akissi fait le CP1 jusqu’au CM2, à l’EPP 3 d’Ayamé. Comme dans toutes les écoles, les instituteurs élèvent rigoureusement les enfants qui leur sont confiés. Elle se rappelle particulièrement l’instituteur Aboudou qui la battait à cause de ses tenues carrelées déchirées sous lesquelles il y avait de gros kodjos, caleçons traditionnels.

A midi, elle vend du coco frais pour avoir de l’argent pour le déjeuner du lendemain à l’école. Les jeudis, elle part au champ aider à entretenir la plantation du père. A la fin des travaux, elle et sa famille coupent du fagot, des légumes et des tubercules et parcourent 9 kilomètres retour pour rejoindre Ayame.

Un jour revenant du champ avec 3 gros ananas sauvages dans la cuvette sur la tête et après avoir parcouru les 18 kilomètres à pied, elle s’évanouit épuisée et tombe au rond-point en face de la mairie. Elle a 12 ans, elle est au CE1.

Akissi croit la marche de 9 kilomètres aller et 9 kilomètres retour une corvée. Mais lorsque son père se voit octroyer plus tard une nouvelle superficie de 12 hectares à 19 kilomètres d’Ayamé, elle réalise que ses premières marches n’étaient qu’un jeu d’enfant.

Ils doivent à présent parcourir 38 kilomètres pour aller et revenir du champ. En raison de la distance, son père installe un campement dans cette nouvelle plantation où ses enfants le rejoignent pendant les congés et vacances scolaires.

A l’école primaire, la petite Akissi étudie à la lumière de la lampe-tempête, quand il y a du pétrole pour l’alimenter.

Elle a peur des Mathématiques. Les Maîtres sont durs et bastonnent les élèves.

Akissi a une très belle écriture, mais cela ne suffit pas pour en faire une bonne élève. Elle échoue à l’Entrée en 6ème. Ses parents l’envoient à Didievi, le village de sa mère, pour tenter une deuxième fois l’Entrée en 6ème. Elle échoue une deuxième fois.

Elle quitte Didievi, profitant du passage d’un camion de livraison de bière de la SOLIBRA. Elle quitte Didievi pour Tiebissou et Tiebissou pour Abidjan.

Elle arrive à Ayamé et commence une nouvelle vie de jeune fille. Elle est pubère. A son âge, de nombreuses jeunes filles sont déjà mariées avec enfants. Elle fréquente les bars pour danser. Souvent, elle se déverse sur Aboisso voisine avec ses copines pour un peu de bombance.

A cette époque, Il y a des stars locales et des stars nationales dont Eba Aka Jerôme, Ndouba Kadio. Leurs sons endiablent les soirées dansantes.

Akissi fait la belle vie et refuse souvent d’aller au champ.

Elle veut faire de l’agriculture, mais en vendant des produits agricoles, pas en parcourant 38 kilomètres à pieds par jour pour labourer.

C’est alors que lui vient l’idée de faire du commerce.Elle emprunte des voitures et va chercher des aubergines et du piment vers Nzianou qu’elle revend sur les marchés à Ayamé. Quand les camions de café passent dans les champs, elle les charge de manioc qu’elle écoule auprès des ménages.

Elle fait ce commerce pendant 2 ans et s’en sort plutôt bien. A 16 ans, un fonctionnaire qui travaille à l’ONTR, qui devient CENATEC, puis plus tard SATMACI, aujourd’hui ANADER, la remarque. Avec sa petite R4 (Renault 4), il la séduit.

Il s’appelle Kouame Kouakou Raphael. Il est responsable et autonome. Il voit les parents d’Akissi suivant les procédures traditionnelles et ils se fiancent.

Le fiancé d’Akissi est ensuite affecté à Lakota, à la SATMACI. Ils y vivent encore 2 ans. Elle vend des beignets devant la porte de la maison. Elle a vite 2 enfants dont elle s’occupe.

Après 2 ans à Lakota, la famille est réaffectée à Sassandra.

En femme et mère débrouillarde et soucieuse de participer à la vie financière de sa famille, elle voit une opportunité dans la pêche très active à Sassandra à cette époque. Elle vend du bois sec aux commerçantes pour fumer et sécher le poisson.

Elle réussit à épargner 35.000 frs après quelques mois de ce commerce. Son cousin, Loukou Kouadio, également planteur dans la zone lui fait don de 13.000 frs. Elle dispose d’un peu d’argent.

De passage à Ayamé un jour, elle aperçoit une commerçante Ghanéenne qui vend des friperies (des soutien-gorges). Elle en prend avec la dame et retourne à Sassandra. Elle les liquide en quelques jours à double prix. Deux semaines plus tard, elle retourne à Ayamé et en rachète encore. Puis une troisième fois.

Elle fait un bénéfice de 150.000 frs en quelques semaines, une importante somme à cette époque.

Elle élargit le rayon de son commerce et voyage sur Noé où elle achète des soupières, 3 à 1.000 frs. Elle les revend à 1.000 frs chacune à Sassandra et tout part en une semaine. Elle retourne à Noé et passe de nouvelles commandes.

Elle vend ses soupières portées dans une grande cuvette portée sur sa tête en sillonnant les foyers et les rues de Sassandra. Elle passe de cour en cour.

Ses allers-retours sur Noe deviennent fréquents.

En 1995, elle ouvre un magasin au marché de Sassandra. Elle y vend soupières, marmites, cuillères. Tous les fonctionnaires la connaissent et s’approvisionnent chez elles.

Avec sa désormais large surface financière, elle commence un « commerce international ». Elle voyage dans la sous-région Ouest-Africaine.

Sa destination est Lagos au Nigéria où elle fait le commerce de grandes cuvettes pour les repas de grandes fêtes et cérémonies. Elle y achète également des pagnes traditionnels de cérémonies.

A l’escale de Cotonou, elle complète sa cargaison avec des chaussures usagées qu’elle revend aussi.

Ces voyages rapportent de l’argent certes, mais ils deviennent physiquement difficiles.

Entre-temps elle s’est mariée depuis plusieurs années et est devenue Kouamé Akissi N’da.

Par ailleurs, elle a de ce mariage 7 enfants qu’elle doit éduquer. Elle ne peut plus suivre ce commerce.

Son commerce avait grossi, certains clients s’approvisionnaient à crédit et ne remboursent pas. Tout cela devient difficile.

En 2004, son mari part à la retraite après plus de 20 ans à son poste à Sassandra. Il y était devenu aussi Chef des Baoulés de la localité. En 2006, il est rappelé par les autorités traditionnelles pour devenir Chef de son village à Bendresso, dans la Commune de Toumodi.

Il rentre la même année et est intronisé Chef. Il devient Nanan Kouamé Kouakou Raphaël.

Les coutumes Akan sont très protocolaires et rigoristes. Il n’est pas vu d’un bon œil qu’une femme de Chef fasse du commerce comme une roturière. Elle abandonne le commerce. Mais elle n’est pas femme à rester oisive. Il lui faut s’occuper, apporter une bonne qualité de vie à sa famille et pourvoir à l’éducation des enfants, en complémentarité des efforts de son époux.

Elle retrouve sa sève originelle abandonnée 3 décennies à cause des contingences de la vie familiale : l’agriculture. Elle avait fait des stages probants, enfant, dans le champ de son père.

Elle retourne à la terre, laboure un demi-hectare de terre sur lequel elle fait du manioc. Elle fait aussi du maraîcher.

Son époux est aussi un amoureux de la terre. Il a une retenue d’eau où il fait de la pisciculture.

Akissi, elle, se limite au manioc qui offre des débouchés.

Elle accroît ses superficies. Elle passe à un hectare, puis plusieurs autres. Elle se spécialise en manioc. En 2014, lors d’une réunion du FIRCA (Fonds Interprofessionnel de Recherche et de Conseil Agricoles) à Toumodi, elle expose les difficultés rencontrées dans sa filière.

Deux semaines après, elle est invitée à une mission à Accra. Elle y découvre des appareils fabriqués au Ghana pour faciliter la culture du manioc. Il y a même des appareils pour déterrer le manioc. Elle passe 9 jours pendant lesquels elle constate les avancées et la professionnalisation de la filière manioc au Ghana. La recherche, la mécanisation, la production, la transformation et la commercialisation sont un ensemble intégré dans ce pays.

Au retour de son séjour Ghanéen, elle reçoit du FIRCA et de l’ANADER, 5 hectares de boutures de manioc d’une qualité particulière. Ils l’aident à faire le labour avec les tracteurs dans son champ. Les boutures sont expérimentales et sont également distribuées à 50 autres planteurs dans le pays, afin d’en faire des tests de productivité.

Sur les 50 planteurs, elle est la seule qui réussit à faire croître cette nouvelle variété de manioc. On lui donne les boutures séchées des autres planteurs et elle les fait pousser.

C’est à coups de sacrifices, qu’elle y parvient. Elle marche 4 kilomètres tous les jours pour aller à son champ à Bendresso.

Enfant à 12 ans, elle marchait 18 kilomètres pour aller et revenir du champ, puis 38 kilomètres. Maintenant, elle doit marcher 8 kilomètres aller-retour. Théoriquement, ce n’est pas grand-chose. Mais elle 56 ans en 2014. On mesure le sacrifice, malgré sa qualité de femme de Chef.

Ses efforts paient. Elle se spécialise en production de boutures de manioc achetées auprès d’elle par différentes agences et redistribuées à d’autres planteurs et d’autres communautés.

Elle devient pépiniériste et se fait élire Présidente des pépiniéristes de manioc (APEMACI-Association des Pépiniériste de Manioc de Côte d’Ivoire). Ils pratiquent 11 variétés de manioc et sont accompagnés par le FIRCA et l’ANADER.

Akissi décide de ne pas se limiter à la production et se lance dans la transformation. Elle s’inspire des exemples Ghanéens, Nigérians et autres.

Elle transforme tomate, gombo, gnangnan, kplala, ail, piment, manioc, (attiéké, placali, feuilles) et fait du toffee.

Sa fille part en formation au centre Shangaï au Bénin, à Porto Novo pendant 45 jours pour apprendre les techniques nécessaires et toute la famille s’investit dans les différents secteurs de l’agriculture.

Ses produits se vendent à Abidjan et sur commandes à l’intérieur du pays.

Pour arriver à ses fins, elle travaille sur de plus larges surfaces. Elle a au total 18 hectares de boutures et de vivriers.

À force de travail acharné, elle devient reine du secteur manioc et déplore que les nombreuses femmes qui vivent de cette occupation à travers des coopératives dynamiques du pays ne reçoivent pas suffisamment d’aides.

Pour accompagner et encadrer le travail de ces femmes, elle crée avec ses amies la Coopérative Etranou (Société Coopérative Etranou, SOCEBE) dont elle est la Présidente depuis 2016. Elles ont un champ commun.

Kouamé Akissi Nda forme beaucoup de personnes qui viennent s’inspirer de son champ. Elle reçoit des Etudiants de l’INPHB (Institut National Polytechnique Houphouët-Boigny).

Pour l’achat de boutures, les clients viennent de partout.

Elle participe à de nombreux séminaires en Côte d’Ivoire et voyage deux fois au Maroc.

Elle participe aux salons agricoles, le SARA, au Maroc, au Congo.

Tous ses enfants l’ont suivie et sont dans l’agriculture comme elle.

A 64 ans, Akissi Nda Kouame n’a pas fini ses défis. Elle a des projets d’avenir : achever l’unité de transformation de manioc en construction depuis deux ans par l’Union Européenne. Elle veut poursuivre la transformation et s’exporter sur le marché mondial à cause de la spécificité de ses produits.

A défaut de matériels propres à elle, elle transforme actuellement ses produits à l’INHPB.

Elle commercialise les produits naturels transformés par ses soins : tomate, gombo, gnangnan, kplala, ail, piment, manioc (attiéké déshydraté, placali, tapioca, feuilles) et fait du toffee agrémenté aux saveurs de gingembre. (Contact +2250758820578 si vous voulez en commander)

Son rêve est d’arriver à élever le niveau de transformation des produits du manioc et du vivrier. Elle a besoin de financement pour acquérir ses propres appareils : déshydrateurs, séchoirs, broyeuses, fourgonnettes pour le ramassage des produits, stérilisateurs.

Jeune, Kouamé Akissi Nda te dit : attache-toi à la terre et ne baisse jamais les bras.

(LE PROFIL COMPLET DE KOUAME AKISSI N’DA sera disponible le 27 Décembre 2022)

Vincent Toh Bi

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