Point de Vue

Afrique/ Voici comment régénérer et ravigoter la société civile pour qu’elle soit un instrument majeur de contrôle de la démocratie et le substrat de la gouvernance…


PASCAL ROY12pgJe reste préoccupé par l’émergence d’une société civile forte, responsable, dans son acception originelle et qui se donne pour mission de servir de pouvoir social afin de mieux contrôler l’action du pouvoir politique, là où aujourd’hui, malheureusement, on nous sert des comportements démembrés ou déguisés de militants de partis politiques colorés de flirts financiers et matériels obscurs aux odeurs régressives; Ce qui discrédite bon nombre des leaders des organisations de la société civile en Afrique, en les rendant moins audibles. Certes, les miracles sont possibles, mais il ne faut pas rêver platement et se laisser épouser, sans dot et contrat de mariage,  par l’or de la corruption des valeurs.  C’est en cela que je convoque notre confrère  Mouramane Fofana dont les écrits « Rêver le progrès » et « Le grand défi » font, entre autres, l’apologie de l’utopie concrète et l’audace de l’action caractérielle pour réussir ou agir positivement sur les choses et les événements.

Aujourd’hui, notre Afrique, dans l’ensemble de ses États, sonne la cloche retentissante et, parfois même beaucoup plus honorifique, d’une volonté de susciter l’émergence socio-économique et politique du continent. Et selon de nombreux experts, des indices de l’émergence se caractérisent par une croissance économique supérieure à 5% sur le long terme, une population jeune et éduquée avec une croissance démographique notable, une économie diversifiée, non dépendante des exportations de matières premières avec une stabilité politique bien outillée par une société civile dynamique et contributive.

Lorsque les Grecs demandèrent à Solon de leur donner une constitution, celui-ci répondit à la forme interrogative : « pour quel peuple et quelle époque ? ». En effet, une constitution se présenterait comme réponse à une attente. Mais elle répondrait à quelle dynamique sociale dans quelle dynamique historique, à quelle ordonnance du temps pour reprendre les termes d’Anaximandre ? Cette demande légitime d’une constitution faite par les Grecs pour régir leur société peut être également formulée aujourd’hui en Afrique sous une autre forme par une grande couche des populations, se considérant bien longtemps marginalisée et qui revendiquerait un organe pouvant faire entendre ses préoccupations et ses aspirations. Et pour réponse, on pourrait se demander : quel peut être cet organe ou cette structure, capable de prendre la défense de la cause de la couche muette incapable ou effrayée de faire prévaloir ses droits et d’obtenir le minimum social commun dont elle a besoin ? En effet, dans les pays du Nord comme dans ceux du Sud, l’organe habilité à accomplir une telle mission est celui que nous appelons sous le vocable de « société civile ». Cette structure qui, bien que tard, a connu son émergence en Afrique et en particulier en Afrique subsaharienne dans des conditions difficiles, mérite d’être examinée avec beaucoup d’attention. Réfléchir sur l’agir de la société civile en Afrique n’est pas seulement l’apanage des politiciens et des organismes qu’ils soient locaux ou régionaux, nationaux ou internationaux, mais cela implique aussi tous les esprits épris de réflexion, de connaissance, mieux de sagesse au sens philosophique du terme.

La société civile est un outil fabuleux, parfois sous-exploité. Elle constitue un espace de liberté salutaire qu’il faut savoir utiliser pour qu’elle réponde à ses objectifs originels, objectifs très souvent dévoyés surtout sous les tropique. À défaut, elle peut se retourner contre ses animateurs et s’avérer plus préjudiciable que profitable pour les citoyens. On appelle société civile, en droit, une société non commerciale soumise au droit civil. En sociologie, les choses sont plus complexes. Dans un pays ou une nation, la société civile est l’ensemble des acteurs, des associations, des organisations, des mouvements, des lobbies, des groupes d’intérêts, des think tanks, etc., plus ou moins formels, qui ont un caractère non gouvernemental et non lucratif. Elle constitue une forme d’auto-organisation de la société en initiatives citoyennes en dehors du cadre étatique ou commercial. Ses objectifs sont fondés sur l’intérêt général ou collectif dans des domaines variés : socio-politique, solidaire, humanitaire, éthique, juridique, environnemental, scientifique, culturel, etc. Pour l’Union européenne par exemple, comme cela se lit dans son Livre Blanc de la gouvernance, la société civile regroupe notamment les organisations syndicales et patronales (les « partenaires sociaux »), les organisations non gouvernementales (ONG), les associations professionnelles, les organisations caritatives, les organisations de base, les organisations qui impliquent les citoyens dans la vie locale et municipale, avec une contribution spécifique des communautés religieuses.

En science politique, la société civile est « L’ensemble des rapports interindividuels, des structures familiales, sociales, économiques, culturelles, religieuses, qui se déploient dans une société donnée, en dehors du cadre et de l’intervention de l’État« , pour citer Jean-Louis Quermonne. En somme, la société civile, c’est ce qui reste d’une société quand l’État se désengage complètement. En prônant le désengagement de l’État, on prônerait un renouveau ou une réactivation de la société civile: imaginons tout ce qui se vit, se pense, se crée et se contracte en dehors des officines gouvernementales, de l’armée, du parlement et des tribunaux. Évidemment, la société civile n’habite pas un lieu précis; elle s’attache plus aux rôles institutionnels qu’aux personnes. Un fonctionnaire entre dans la société civile sitôt qu’il quitte ses bureaux. À monsieur Larry Diamond, professeur de sciences politiques et de sociologie à l’université de Stanford, aux Etats-Unis, d’ajouter: la société civile est « le domaine de la vie sociale organisée qui se fonde sur le volontariat, la spontanéité, une autosuffisance, l’autonomie vis-à-vis de l’Etat, qui est lié par un ordre légal ou un ensemble de règles communes ». En réalité, la société civile et l’État s’entremêlent. Peu d’activités humaines échappent aux règlements ou aux subventions de l’État; les familles, par exemple, jouissent d’exemptions fiscales ou de garderies subventionnées. Néanmoins, même si elles sont parfois difficiles à discriminer, ces deux réalités gagnent à être distinguées. La société civile inclut généralement les individus, les familles, les associations, les organisations bénévoles, tout ce qu’on appelle les corps intermédiaires (intermédiaires entre l’État et l’individu) dans la mesure où ils n’émanent pas de l’État, comme l’Église. Beaucoup d’institutions, à l’origine nées de la société civile, ont été par la suite étatisées, telles les écoles et les collèges, après 1964.

Toutefois, il convient de distinguer la société, comme ensemble des citoyens, de la société civile, constituée d’associations ou d’organisations censées être légitimes pour représenter la volonté des citoyens. La société civile a une perception des questions de société qui lui est propre et qui n’est pas nécessairement représentative de la société dans son ensemble. En outre, depuis les années 1990, la société civile s’est fortement développée en termes d’influence et de capacité d’intervention, notamment dans l’aide au développement international. Comment protéger la société civile? Là où elle s’est dégradée, compromise, bloquée, comment l’aider à se régénérer? Tel est l’effort de cet essai de réflexion : la société civile, c’est aussi la philia, le capital de confiance, choses par rapport auxquelles l’engineering social n’est pas un moyen d’action mais un frein. Au contraire, l’idée de résilience, appliquée aux sociétés et aux communautés, ouvre la voie à une philosophie de l’action: la méthode hippocratique appliquée aux sociétés. Cette méthode consiste à miser sur le pouvoir régénérateur de la nature, et pour cela, à s’efforcer d’abord de ne pas nuire. Oui refuser de nuire, de ruser pour rechercher des postes de fromage ou des portes juteuses d’avenir et croire en l’Homme et aux idéaux de justice sociale quand on décide de prendre les rênes d’une association ou d’être leader d’une organisation de société civile. Le coeur de la société civile est donc constitué par un tissu associatif qui institutionnalise dans le cadre d’espaces publics organisés les discussions qui se proposent de résoudre les problèmes surgis concernant les sujets d’intérêt général, pour parodier Jürgen Habermas.

Vieux concept de la philosophie politique occidentale, la notion de société civile connaît une immense popularité depuis près de trois décennies. Ce succès s’est accompagné de multiples critiques touchant à son caractère nébuleux – comme à la charge idéologique qui l’accompagne. Son utilité scientifique pour l’analyse des changements politiques et sociaux en dehors de la sphère occidentale est mise en question. Enveloppe vide se remplissant de sens particuliers selon les acteurs et les contextes sociaux et culturels rencontrés, les nouvelles sociétés civiles non occidentales doivent avant tout être étudiées comme des projets, des réalités en gestation, à la jonction de dynamiques propres aux sociétés locales où elles apparaissent et de dynamiques extérieures à ces sociétés qui privilégient certains acteurs (notamment les organisations non gouvernementales), une acception particulière du concept (dans une perspective proche d’un tiers-secteur) et fournissent également une partie conséquente des ressources nécessaires à la vitalité de ces projets. Pourtant, cette approche dite « par projet » est encore relativement peu développée. Il y a de la nécessité à promouvoir cette lecture des sociétés civiles non occidentales, en soulignant l’importance d’une approche empirique plus complexe se dégageant de biais quantitativistes et associatifs présents au sein d’une large part des travaux conduits jusqu’ici sur ce sujet par Gautier Pirotte notamment.

PASCAL ROY SORO1Nombreux sont les concepts fondamentaux de l’analyse du mécanisme politique en Afrique qui font aujourd’hui l’objet de réévaluations, voire de révisions « déchirantes », depuis que la vague de démocratisation inattendue du début des années 90 est retombée. Il en est ainsi du concept de société civile. Celle-ci n’existerait pas en Afrique noire, où elle ne serait qu’une idéologie, un slogan qu’il conviendrait de déconstruire afin de ne pas créer de confusion, ni entretenir l’illusion de systèmes politiques très proches de ceux des sociétés occidentales. Pourtant, en analysant des mouvements de protestation qui s’expriment ça et là dans certains pays africains, on peut soutenir que la société civile n’est pas un leurre. Elle existe, d’abord et avant tout parce qu’elle a conscience de son existence, de son rôle, des risques encourus par ses militants et dirigeants, qui les assument au nom d’un certain nombre de valeurs, bien que ce type d’acteurs téméraires dans les vertus soient de plus en plus rares au sein de la société civile africaine.En Afrique subsaharienne, les différentes organisations de la société civile mènent des activités de plaidoyer selon leur domaine d’intervention. Certaines sont très avancées et d’autres viennent de commencer. Leurs domaines d’intervention concernent l’éducation, la santé, la bonne gouvernance, les droits humains, l’environnement, la lutte contre la pauvreté, la lutte contre la corruption et le détournement des deniers publics. Dans la plupart de nos pays africains, la société civile doit faire face elle-même à trois types de problèmes à savoir le manque de financement, la convoitise du pouvoir et l’éloignement de la base. L’autonomie reste un grand défi pour la société civile en Afrique. Les problèmes financiers constituent l’un des grands défis auxquels se trouvent confrontées les organisations de la société civile. Ces organisations n’ont pas de ressources financières stables. Elles comptent sur des donateurs qui ne peuvent malheureusement pas leur venir tout le temps en aide. Pour continuer leurs activités, elles sont prêtes à accepter les offres du gouvernement et de certains politiciens en particulier, avec pour conséquence l’aliénation de leur liberté et la perte de leur efficacité.

Le pouvoir, voilà ce que visent certains membres de la société civile. Cet état de choses remet en cause sa neutralité et divise ses membres à cause des intérêts divergents. Par exemple en RDC, la course au pouvoir a motivé la lutte parmi les différents groupes pendant le processus de sélection des représentants au dialogue inter-congolais de Sun City en Afrique du Sud. Par ailleurs, n’a-t-on pas vu des membres de la société civile entrer au gouvernement pour y occuper des postes ministériels ? La société civile devient alors un véritable tremplin pour avoir accès au pouvoir politique. Cela étant, la conception de la société civile comme un moyen pour conquérir le pouvoir est un autre élément qui la fragilise et limite sa marge de manoeuvre pour susciter des changements politiques. Une autre critique contre la société civile est son éloignement vis-à-vis de la base. Cette séparation a pour origine la convoitise du pouvoir. À cause de leur duplicité, ce que certains membres non moins influents de la société civile défendent n’est rien d’autre que leur propre compréhension de la situation qui, bien souvent, ne reflète en rien les véritables besoins des peuples dont ils prétendent défendre les intérêts. Séparés de la base, les représentants de la société civile finissent par constituer une classe d’élites qui manquent de vision pour le bien-être des populations, à part la quête inavouée de leurs propres intérêts. C’est justement cet élitisme que doivent éviter les leaders de la société civile en Afrique, car ils y tendent dangereusement. Le résultat de cet état de choses est que la recherche du bien commun devient un concept abstrait, vidé de tout impact sur la vie des gens.

Dans notre Afrique, beaucoup plus celle toute noire, la société civile est apparue à la suite de la crise de l’Etat-Providence et elle est investie de multiples connotations positives, s’apparentant alors, selon François Rangeon, à un mythe politique. Avant d’être un concept ou une idée, la société civile évoque d’abord un ensemble de valeurs positives : l’autonomie, la responsabilité, la prise en charge par les individus eux-mêmes de leurs problèmes. Par sa dimension collective, elle doit se donner les moyens moraux d’échapper aux dangers de l’individualisme et inciter à la solidarité. Par sa dimension civile, elle évoque l’émancipation de la tutelle étatique, mais aussi des valeurs plus affectives telles que l’intimité, la familiarité. Cependant, elle n’est pas encore au sommet de sa mission car beaucoup sont les défis qui lui restent à relever : les défis de la paix et de la pédagogie de la démocratie, le défi des droits de l’homme. Ce sont des défis qui demandent la conjugaison des efforts. L’Etat ne doit pas démissionner. Il doit prendre ses responsabilités. À ceux-ci, s’ajoutent le défi du pillage, de la pauvreté et les défis de la cohérence politique. Ce n’est pas une raison suffisante pour que nous soyons sceptiques sur l’aboutissement de la totalité de ses actions, car le chemin emprunté par notre société civile africaine pour atteindre son objectif, c’est-à-dire faire entendre la voix des marginalisés, est un chemin long mais prometteur.

La solidarité, qui est l’une des caractéristiques d’une société civile vivante, suppose une inspiration. On ne parviendra jamais à l’établir ou la rétablir de façon authentique et durable uniquement avec les procédés des motivologues ou des planificateurs. Par opposition aux théories éthiques anglo-américaines, «l’éthique narrative de la sollicitude fait valoir l’importance de cultiver notre imagination morale, notre habileté à voir les autres de façon juste et bienveillante», disait Sheila Manson. Dans le cadre de cette réflexion, il m’importe d’inciter à développer le rôle de la société civile à vocation de développement et comme une force incontournable dans la création et la transformation des nations; En cela, ses acteurs principaux doivent s’armer contre l’aliénation de la liberté et l’appât dévoyant du pouvoir malgré les difficultés du terrain. Faire de la société civile un grand espace de liberté, de valeurs, d’actions et de cogitations florissantes afin de veiller sur la bonne gouvernance des peuples.

Docteur Pascal ROY

PhilosopheJuristePolitisteCoach politiqueAnalyste des Institutions, expert des droits de l’Homme et des situations de crisesMédiateur dans les OrganisationsEnseignant à l’UniversitéConsultant en RHÉcrivain

 

 

 

 

 

 

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