[Une semaine après la mort du président Idriss Déby] Le Tchad en ébullition
La transition tchadienne a donc choisi hier, lundi 26 avril, son Premier ministre. Le chef du Conseil militaire de transition, Mahamat Idriss Déby, a nommé Albert Pahimi Padacké à cette fonction. Un choix accueilli diversement. Certains mouvements d’opposition et de la société civile ont annoncé des manifestations ce mardi et de premiers graves incidents ont été signalés. Des morts sont confirmés au Tchad ainsi qu’une vingtaine de blessés.
Des manifestants se sont réunis très tôt ce mardi matin à Ndjamena – notamment dans les 7e et 9e arrondissements malgré l’interdiction de manifester des autorités, rapporte notre correspondante à Ndjamena, Aurélie Bazzara-Kibangula. Des manifestations ont eu lieu aussi dans d’autres villes du pays et à Moundou où un manifestant, un jeune homme de 21 ans, a été tué par balle. Une personne a aussi été tuée par balle à Ndjamena. Selon le procureur, une femme a également été tuée à Ndjamena, a-t-il affirmé à l’AFP. Elle se trouvait dans un bus qui a été attaqué par des manifestants, selon le procureur.
À la mi-journée, des interventions étaient encore en cours, par exemple au quartier Moursal, dans le 6e arrondissement, où des pneus brulaient dans chaque ruelle, et où des tirs raisonnaient encore. Le calme était revenu dans le reste de la capitale alors que les traces des affrontements étaient encore visibles. Il y aurait une vingtaine de blessés par balle selon une source hospitalière. Parmi ces blessés, il y a le rappeur Ray’s Kim. Avec la coordination des actions citoyennes, c’est l’un des initiateurs de ces marches. Il a reçu quelques soins d’urgence à l’hopital et il est reparti pour des raisons de sécurité, signale l’un de ses amis. Les organisations de défense des droits humains dénoncent de nombreuses arrestations.
Répression importante
Les forces de l’ordre, policiers et militaires sont très mobilisés. Des gaz lacrymogènes ont été tirés pour disperser ces groupes de manifestants. Les grands axes sont verrouillés par les forces de l’ordre. La répression est plus forte que pour les précédentes manifestations, selon notre correspondant à Ndjamena, Madjiasra Nako. En plus, des policiers et gendarmes, l’armée est descendue dans la rue tirant à balle réelle. Les forces de l’ordre se sont aussi introduit dans des concessions où certaines personnes ont été brutalisés alors qu’elles ne participaient pas aux manifestations. Ils sont déployés autour des carrefours, des ronds-points et devant les bâtiments officiels. Dans le centre-ville de Ndjamena, c’est le calme qui règne sous l’œil des corps habillés durant la matinée, rapporte notre envoyé spécial à Ndjamena, François Mazet.
En fin de matinée, le président du Conseil Militaire de Transition, Mahamat Idriss Déby a annoncé qu’il s’exprimera à 14h (15h TU). La présidence de la République a déjà diffusé un extrait de son discours. « Chacun d’entre nous doit comprendre que tout acte, toute attitude et tout comportement contraire à l’unité nationale au vivre ensemble et à la paix est une grave préjudice causé à la nation », explique Mahamat Idriss Déby.
Dans la capitale depuis ce matin, les manifestants brandissent des pancartes sur lesquelles on peut lire « Non à une monarchie au Tchad ». Des pneus ont également été brûlés, dégageant une épaisse fumée noire. D’autres crient : « Il faut remettre le pouvoir aux civils » ou encore « Non aux soutiens de la France ! » Il y a un fort sentiment anti-français chez les manifestants. Une station Total a été saccagée. « Ce n’est qu’un avertissement » affirme un manifestant qui dénonce l’ingérence de la France dans les affaires intérieures du Tchad.
C’est surtout dans le 9e arrondissement que l’on a observé la plus forte mobilisation, rapporte notre correspondant à Ndjamena, Madjiasra Nako. Les manifestants ont même réussi à bloquer la route nationale qui va jusqu’au sud du pays. Ce qui a obligé les forces de l’ordre à bloquer la circulation sur certains ronds-points.
Déception de Ndjamenois à la suite de la nomination d’Albert Pahimi
La désignation d’Albert Pahimi Padacké comme chef du gouvernement de transition a été une nouvelle surprise pour les Ndjamenois qui s’attendaient à ce qu’un nouveau visage politique prenne les rênes de l’exécutif. « On fait du neuf avec du vieux », nous lance un commerçant du marché à mil. « Ça nous montre que rien ne va changer », nous dit une vendeuse un peu plus loin.
L’opposition et la société civile ont décidé de faire pression ce mardi sur le Comité militaire de transition et d’exiger sa démission. La coalition d’opposition et de la société civile Wakit Tamma avait appellé à manifester contre la transition actuelle menée par les militaires. Mais il ne s’agissait pas d’une marche à proprement parlé, d’ailleurs le lieu de rendez-vous indiqué aux autorités était vide à l’heure dite.
Abbas Alhassan, un des cadres de la Convention tchadienne pour la défense des droits de l’homme, l’organisation de Mahamat Nour Ibedou, membre de Wakit Tamma, nous expliquait lundi, au micro de nos envoyés spéciaux, François Mazet et Boris Vichith, pourquoi il allait manifester et lançait un appel aux forces de sécurité.
Dans la classe politique, tous s’accordent à dire que le défi d’Albert Pahimi Padacké est de taille : convaincre opposition et société civile de former un gouvernement d’union nationale. Un défi qu’il doit relever en quinze jours, selon la charte de transition.
Source : Rfi