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« Sur TikTok, l’utilisateur donne les rênes à l’algorithme »


Quelles sont les raisons de l’énorme succès d’audience de TikTok, la plateforme chinoise de vidéos courtes qui concurrence les géants américains ? Océane Herrero, journaliste à Politico Europe et auteure du livre Le Système TikTok (éditions du Rocher), a enquêté sur ses pratiques et les polémiques qui les entourent.

 RFI : Vous écrivez que la recette du succès économique de TikTok, c’est son fil de vidéos ultra-personnalisé. En quoi est-il original ?

Océane Herrero : Le fil particulier à TikTok, c’est ce fil de vidéos qui s’affichent en continu et qui sont sélectionnées non pas par l’utilisateur sur la base de ses abonnements (ce que font les autres plateformes) mais sur un algorithme qui va choisir lui-même les vidéos qui vont être proposées à l’utilisateur en fonction des intérêts qu’elle perçoit. Il peut être influencé par les « likes », les comptes que l’on suit, mais aussi principalement par le temps que l’on passe sur les vidéos. L’utilisateur donne les rênes à l’algorithme pour lui proposer ce qu’il va visionner.

Vous dites que Facebook et Instagram connaissent notre vie extérieure. Et TikTok, notre vie intérieure…

Oui, c’est le sentiment de l’une des utilisatrices que j’ai interrogées et qui avait une relation assez particulière avec cette application. Elle a l’impression d’avoir vraiment trouvé sa communauté, ou plutôt que TikTok a trouvé pour elle sa communauté.

TikTok a le vent en poupe, mais ses résultats financiers sont encore très opaques. On en est réduit aux estimations. Qu’en sait-on ?

ByteDance, maison mère de TikTok, n’est pas cotée en Bourse donc elle n’a pas l’obligation de publier ses résultats. On sait que les résultats publicitaires sont en forte croissance.TikTok atteindra 15,2 milliards de dollars de revenus publicitaires mondiaux en 2023, selon Warc Media. Mais TikTok dépense également beaucoup d’argent pour son développement. De ce que l’on sait, l’entreprise n’est pas encore bénéficiaire.

Dans votre livre, vous revenez sur l’histoire de ce succès économique. Pour l’anecdote, ce n’est pas la première plateforme à s’être lancée dans le concept de la vidéo en plein écran. L’une des pionnières était française…

En effet, elle s’appelait Mindie. Elle a été créée par trois étudiants qui avaient décidé de se lancer dans une application de vidéos courtes, en plein écran, adaptée à l’iPhone. À l’époque, c’était novateur de prendre tout l’écran. Il y a eu également Vine, mais qui a disparu après son rachat par Twitter. Mindie a ensuite inspiré Musical.ly, qui a ensuite été racheté par ByteDance, ce qui a donné TikTok.

De fil en aiguille, ce sont donc les Chinois qui ont récupéré l’idée…

C’est ça, et ils l’ont mise en œuvre, parce qu’il fallait aussi cette capacité à faire monter en puissance cette application, à la rendre mondiale et à lui donner le succès qu’elle a aujourd’hui.

L’idée a prospéré dans les années 2010 avec Zhang Yimin, fondateur de ByteDance devenu multimilliardaire. Qui est-il ?

Il a fait des études d’informatique et il a été passionné assez rapidement par les entrepreneurs américains de la tech. Il a décidé de marcher dans leur pas avec une certitude : dans l’univers des plateformes du futur, en tout cas à son époque, ce ne seraient plus les utilisateurs qui cherchent le contenu, mais ce serait le contenu qui trouverait les utilisateurs. Il a lancé un agrégateur d’actualités, Toutiao, qui a eu beaucoup de succès en Chine avant de basculer vers la vidéo courte avec l’application Douyin qui est actuellement l’équivalent de TikTok pour les utilisateurs chinois.

Vous parlez d’une forte culture du secret dans cette entreprise. Tout se passe en Chine et tout se décide en Chine…

TikTok est basé dans plusieurs pays en Europe. Ils sont par exemple implantés en Irlande, comme beaucoup d’entreprises de la tech. Ils ont aussi des quartiers à Singapour. Mais ce que j’ai appris en parlant avec des salariés, notamment européens et américains, c’est qu’il y a des échanges très réguliers sur des points de décision importants avec les salariés de ByteDance qui sont en Chine. C’est une entreprise globale, mais les décisions sont prises en Chine.

Cette volonté de s’exporter au-delà des frontières de la Chine inquiète les pays occidentaux qui accusent TikTok de piller des données personnelles. Est-ce que ça préoccupe TikTok ?

En tout cas, ils ont décidé de prendre des décisions pour rassurer les pays occidentaux. En Europe, ils ont annoncé qu’ils allaient stocker en local les données des utilisateurs. C’est exactement le même projet qui est en cours aux États-Unis avec le Project Texas. Sa survie sur ces marchés est questionnée. On le voit particulièrement aux États-Unis où le gouvernement Biden fait pression et envisage même une interdiction globale sur le pays.

Donald Trump lui aussi a tenté le coup, il s’est plutôt cassé les dents…

C’était juste avant l’élection de 2020. Il a échoué parce que la Chine a rapidement montré les dents en renforçant les règles d’exportations pour les entreprises comme TikTok qui utilisent les technologies d’intelligence artificielle. La plateforme chinoise n’a donc pas pu être revendue à une entreprise américaine comme Donald Trump l’aurait voulu.

Autre question qui interpelle au niveau international : la rémunération des producteurs de contenus. Par exemple, au Sénégal, le Restic (Rassemblement des entreprises du secteur des technologies de l’information et de la communication) a décidé de porter plainte contre TikTok, en partie pour cette raison…

C’est une question qui est assez fondamentale et qui vient de plus en plus dans les débats des créateurs, puisqu’ils fournissent finalement les contenus proposés par la plateforme, ce qui lui permet ensuite de proposer des revenus publicitaires. Plusieurs applications se sont lancées également dans la vidéo courte : YouTube, Instagram, Facebook. Il y a donc une forme de concurrence entre ces entreprises qui doivent garder avec elles les créateurs de contenu. Et donc, sur certains marchés comme la France ou les États-Unis, TikTok augmente la rémunération des créateurs de contenus. Ce n’est pas encore le cas en Afrique.

Une économie de la création s’est créée autour de TikTok et d’autres plateformes. Mais est-ce que le gâteau est assez grand ? Beaucoup de jeunes investissent de leur temps pour essayer d’y gagner de l’argent…

Il y a plusieurs moyens par lesquels les créateurs de contenus peuvent se financer. Il y a les financements offerts par les plateformes, mais qui constituent une petite part, en l’occurrence pour les créateurs de vidéos courtes. Il y a les contenus sponsorisés où des marques vont proposer des produits aux créateurs qui vont les promouvoir contre rémunération. Ça, c’est la principale manne financière de ces créateurs. Aujourd’hui, ce que l’on observe, c’est qu’énormément d’entreprises déportent leurs dépenses de publicité vers les plateformes parce que c’est là que les utilisateurs sont aujourd’hui, en tout cas les jeunes. Après, il faut rester réaliste, il y a une part assez mineure des créateurs de contenus qui vivent vraiment de cette activité et qui gagnent un revenu substantiel sans avoir une activité professionnelle.

RFI

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