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Reportage/Après les attaques maliennes : Comment les populations de Ouélli sont contraintes à abandonner plus de 200 plantations sur les bords du Banifing #Conflitfoncierfrontalier


CIV-lepointsur.com (Abidjan, le 6-6-2016) Le village de Ouélli est encore sous le choc des attaques à répétition des Maliens qui s’étendent de plus en plus au-delà du fleuve Banifing, frontière naturelle entre l’Etat de Côte d’Ivoire et son voisin malien. En vue d’être mieux imprégner de la situation sécuritaire qui prévaut dans cette bourgade du département de Kaniasso, nous nous y sommes rendus le jeudi 26 mai 2016.

Les dessous d’une guerre latente

Brève escale à Goueya à environ 11 kilomètres de Ouélli.

Brève escale de l’équipe de reportage à Goueya à environ 11 kilomètres de Ouélli.

Il est 10 heures 15 minutes lorsque le véhicule de reportage atteint le poste des Forces républicaines de Côte d’Ivoire à l’entrée du village de Ouélli. Après avoir obéi au contrôle d’usage, le cap est mis sur le domicile de Doumbia Tébaha, notre relai sur place. Après les échanges de civilités, il nous conduits chez le chef du village où plusieurs chefs de famille déjà prévenus, nous attendaient. Très rapidement, Sougouri Koroma plante le décor en se disant très amer contre les autorités ivoiriennes qui, selon lui, ont abandonné le village dont il est le chef.

« Le Préfet nous interdit de nous rendre dans nos plantations qui sont toutes situées sur les bords du Banfing », explique le vieux chef en mentionnant qu’il est interdit d’aller au-delà de 25 mètres après le cours d’eau en question. Puis, le vieil homme d’ajouter que les paysans maliens avec qui ils sont en conflit, les combattent avec la bénédiction et la protection des soldats de ce pays voisin. Selon lui, ils outrepassent la limite naturelle pour venir exploiter leurs parcelles. « Nous avons déjà perdu deux des nôtres dans le conflit foncier qui nous oppose aux Maliens. Il s’agit de Kourouma Bakary dont l’assassinat est survenu le 16 avril 2016, et un vieil homme de 70 ans assassiné dont le corps a été retrouvé dans un puits », soutient le chef du village de Ouélli.

Depuis la sommation du Préfet du département de Kaniasso de ne pas se rendre dans leurs plantations et champs de vivres, Doumbia Tiébaha indique que 300 familles sont menacées par la famine. Evidemment, selon lui, « si nous ne pouvons pas nous rendre dans nos champs, comment trouver les ressources nécessaires pour subvenir aux besoins alimentaires de nos familles ».

Le laxisme du détachement militaire sur place décrié

Pour Soungalo Koné, l'heure de la négociation est passée, il est temps de prendre ses responsabilités pour réintégrer les 244 plantations abandonnées.

Pour Soungalo Koné, l’heure de la négociation est passée, il est temps de prendre ses responsabilités pour réintégrer les 244 plantations abandonnées.

La situation est d’autant difficile, voire intenable pour les villageois, qu’ils ne comprennent pas le laxisme avéré du détachement des Frci sur place à Ouélli. Qui, selon eux, devaient les aider à intégrer leurs plantations comme le font les militaires maliens qui, toujours selon les populations du village, sont aux côtés des paysans maliens de jour comme de nuit.

Jusqu’à preuve du contraire, ils ne comprennent pas l’attitude des militaires postés dans leur village et qui semblent visiblement désintéressés par les préoccupations des populations de Ouélli. Lasses de compter sur des autorités qui tardent à s’intéresser à la difficile situation qu’elles traversent, les populations de ce village de 6000 habitants ont décidé de prendre leur destin en main.

« Nous serons obligés de nous battre plutôt que de rester là à attendre une mort lente et affreuse par la famine. Nous allons revendiquer nos 244 plantations quel qu’en soit le prix », menace Soungalo Koné très remonté contre l’administration avec en point de mire Boni Kouakou Adolphe, le Préfet qu’il accuse d’être la cause des malheurs que vivent les habitants de Ouélli.

Accusé, le Préfet donne sa version des faits

Approché pour avoir sa version des faits, le Secrétaire général de la préfecture assumant l’intérim du Préfet du département de Kaniasso a donné sa position sur la situation qui prévaut dans le village de Ouélli à seulement 2 kilomètres du Mali. Selon Boni Kouakou Adolphe, il n’y a pas de laxisme en tant que tel. « Les populations de Ouélli souhaiteraient que les militaires les accompagnent dans leurs champs, ce qui n’est pas possible », indique l’administrateur en début de l’entretien téléphonique qu’il nous accorde.

L’intégralité des propos de l’administrateur

« Les éléments des Frci sur place sont là pour une mission précise, ils ne sont pas dans le département pour apporter une solution aux questions foncières. Ils sont là plutôt dans le cadre de la lutte contre le djihadisme. Cependant, lorsque la question foncière est survenue à Ouélli, ils y ont été déportés. Regardez, même à Kaniasso qui est le chef-lieu du département, il y a à peine deux forces de l’ordre, comparé au grand nombre déployé dans ce village. Le reproche qu’ils nous font n’est pas correct. Comprenez que ce sont eux-mêmes, avec la complicité de leurs cadres qui ont créé cette situation. Ils ont installé les gens sous prétexte que c’étaient des  »frères ». Débordés aujourd’hui, ils cherchent les autorités et les militaires pour trouver une solution. Voilà le problème auquel nous sommes confrontés ici. Et chaque fois, nous leur demandons d’arrêter, sans succès, ce genre d’installations anarchiques. Je tiens à vous préciser que cela ne se limite pas qu’au village de Ouélli. Plusieurs villages se laissent avoir au charme de la somme de 50. 000 Fcfa, voire du bétail contre un espace cultivable. Ils toujours prêts à se laisser corrompre pour installer des maliens. A l’issue de la rencontre du 03 mai 2016 avec les maliens, nous avons convenu de la date du 30 mai 2016 pour une autre rencontre. Mais, compte tenu du fait qu’il y a un malien qui a été tué, nous attendons la fin des différentes cérémonies pour fixer la date de la prochaine rencontre au cours du mois de juin dans le village de Soukourani ».

La confortable situation des Maliens dénoncée

Sougouri Koroma, le chef du village de Ouélli.

Sougouri Koroma, le chef du village de Ouélli.

S’il y a un fait qui surprend les ressortissants de Ouélli et qu’ils ont du mal à comprendre, c’est bien la trop belle part faite au camp malien à qui il est autorisé de se rendre dans leurs champs pendant que les négociations sont en cours. « Si pendant la période d’hivernage les paysans de notre village ne peuvent pas se rendre dans leurs champs, c’est à quel moment ils pourront faire les semis pour l’année prochaine ? » S’interroge Koné Mamadou, un fils du village de Ouélli que nous avons pu joindre.

« Pour être clair, j’avoue qu’une crise de confiance s’est installée entre le Préfet et les villageois, car ses différentes résolutions sont contre nos populations, mais favorables aux Maliens », poursuit-il. Et de révéler des cas de corruption imputés à l’autorité administrative. Pour preuve, selon lui, dès que des biens de ressortissants maliens, voire des agresseurs maliens sont capturés par des habitants de Ouélli, l’administrateur ferait des mains et des pieds pour qu’ils soient restitués. Mais à contrario, c’est le laxisme.

En guise d’exemple, M. Koné insiste sur le fait que plusieurs centaines de bœufs volés à Ouélli sont aujourd’hui parqués à Fakola sous la surveillance des militaires maliens. « Nous avons donné toutes les références au Préfet et depuis, rien », insiste-t-il. Rappelant que M. Boni aurait récemment intimé l’ordre aux villageois de relâcher des bœufs de ressortissants maliens qu’ils avaient saisis. En tout état de cause, il y a urgence pour que l’Etat intervienne à Ouélli. Dans le cas contraire, sa faillite risque de pousser les habitants de Ouélli à une aventure aux issues incertaines.

Idrissa Konaté, envoyé spécial à Ouélli, à la frontière ivoiro-malienne

 

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