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Réponses du Président Guillaume Soro aux questions du Magazine « L’ERE DU TEMPS », Yaoundé – Cameroun


1-Quel est le sentiment qui vous anime au moment où vous foulez le sol camerounais pour la première fois, en votre qualité de Président de l’Assemblée national de Côte d’Ivoire ?

Un sentiment de reconnaissance envers les autorités camerounaises qui m’ont chaleureusement et fraternellement adressé cette invitation. Je pense bien sûr au Président de l’Assemblée Nationale du Cameroun, mon doyen le Très Honorable Cavaye Yéguié Djibril, tout comme bien sûr, au premier rang, le président de la république du Cameroun, Son Excellence Paul Biya, qui célèbrent au plus haut point l’excellente qualité des relations ivoiro-camerounaises de très longue date. Je suis bien sûr également ému de découvrir charnellement ce Cameroun, que je ne connaissais jusqu’ici que par le sport et les arts, par les nombreux frères et amis que j’y possède, et par les livres ou les médias. Le contact réel du pays est irremplaçable. Je me sens vraiment chez moi ici, dans cette terre hautement panafricaine.

2-Votre importante visite au Parlement camerounais intervient après celle effectuée par les ministres ivoiriens de la Défense et de la Communication, il y a un mois. Est-ce la preuve qu’une nouvelle ère se pointe à l’horizon de la coopération entre le Cameroun et la Côte d’Ivoire ?

Il ne s’agit pas tant d’une nouvelle ère que de la continuité inventive d’une coopération bilatérale qui date au moins de 1962, dix ans avant que je ne vienne au monde, voyez-vous. Nous avons aujourd’hui des défis communs à relever : la sécurité, la consolidation de nos Etats de droit, la construction de projets économiques sud-sud hautement performants. Vous voyez-donc la logique et la cohérence des échanges qui doivent se poursuivre et s’intensifier entre nos deux pays, dans l’intérêt bien compris de nos populations et de notre continent. En tant que géants de l’Afrique francophone, le Cameroun et la Côte d’Ivoire ne peuvent pas se payer le luxe de laisser leurs possibilités d’émergence commune à la traîne.

3-Votre passage à l’Assemblée nationale du Cameroun a fait l’objet de réactions négatives de la part d’une certaine opposition camerounaise. Quel commentaire pouvez-vous faire à ce sujet ?

J’ai en fait d’abord été ému par l’attitude chaleureuse et fraternelle de l’écrasante majorité de mes collègues députés Camerounais. Dès l’aéroport de Nsimalen, la centaine de journalistes qui m’attendaient et les youyous de bienvenue ne m’ont guère laissé le choix. La fraternité, la paix et la joie étaient dans tous les cœurs sincères. Au parlement camerounais, j’ai bénéficié d’une standing ovation de 90% des députés quand le groupuscule de l’opposition choisissait de se retirer. Quant à l’attitude de ces députés rebelles de l’opposition, je me suis contenté de souligner qu’elle était la preuve que la démocratie camerounaise n’est pas une fiction. Ils ont le droit de ne pas être d’accord. J’en suis resté serein et imperturbable. L’âge fort avancé de Monsieur John Fru Ndi me retient cependant, par éducation, de critiquer son attitude étrange envers le visiteur de son pays que je suis. Comment peut-on abandonner sa propre maison aux visiteurs ? Or je me souviens que plusieurs fois, Monsieur Fru Ndi a bénéficié de l’hospitalité, de la générosité – voire plus –  de la Côte d’Ivoire, des années 90 aux années 2000, quand son ami Gbagbo était opposant et quand Gbagbo était au pouvoir. Bien que nous ayons souffert dès 2000 des crimes de l’idéologie de l’ivoirité de Gbagbo, nous n’avons jamais, dans l’opposition de l’époque, empêché Fru Ndi d’être reçu par notre bourreau d’alors. Ce qui nous animait, c’était le sens républicain de l’Etat et la conscience de la réciprocité des normes diplomatiques.  Bon, je constate que le sens de l’Etat est inégalement réparti dans tous nos pays. Pis encore, certains ont tendance à avoir la mémoire de plus en plus sélective.

4-Comment se porte la coopération entre les Parlements d’Afrique ?

Dans le cadre de la diplomatie parlementaire que nous développons à l’assemblée nationale ivoirienne, force est de constater que les choses s’améliorent intensément. Les députés ne se confinent plus seulement dans leurs missions classiques de représentation nationale, de votation des lois ou de contrôle de l’action gouvernementale. Ils s’impliquent aussi dans la promotion économique des Etats, dans la prévention et la résolution des conflits internationaux, et dans des échanges de compétences mutuellement bénéfiques entre les parlements. Nos assemblées nationales africaines sont devenues des incubateurs de la synthèse du local et du mondial.

5-Sur quels axes peut porter la coopération entre les Parlements d’Afrique pour lutter contre la secte islamiste Boko Haram ?

Je crois qu’il y a plusieurs angles d’estocade réfléchie contre les obscurantistes de Boko Haram : l’homogénéisation de nos législations sécuritaires, la construction de cadres juridiques pour une mutualisation des moyens interétatiques de lutte contre le terrorisme, l’élaboration de patterns communs d’éducation civique contre l’intolérance, le partage efficace des informations sécuritaires, la mise en coopération de nos forces de sécurité pour la protection maximale de nos populations, l’entraide économique dans des périodes de crises sécuritaires potentiellement internationales, voilà autant d’axes de travail que des commissions parlementaires communes peuvent explorer. J’ai proposé dans ce cadre au Président de l’Assemblée Nationale du Cameroun, mon Doyen Cavaye Yéguié, de prendre l’initiative d’un travail parlementaire commun sur ces questions. Le parlement ivoirien appuiera tout ce qui va dans le sens d’une internationalisation de la lutte antiterroriste, puisque le terrorisme s’internationalise lui-même, par réflexe.

6-Après avoir été ministre d’Etat, Premier Ministre, aujourd’hui Président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, quelle est votre réelle ambition pour votre pays ?

J’ai pour principe de ne pas être un homme d’ambition, mais plutôt un homme de mission. Je servirai mon pays là où le destin me portera et autant que mes facultés et possibilités me le permettront. Comme vous le savez, je suis résolument engagé pour la réélection du président Alassane Ouattara à la tête de l’Etat de Côte d’Ivoire en 2015. Un tel engagement, en ce qu’il a d’espérance investie,  ne me laisse même pas le loisir de supputer sur mon propre sort.

7-Quel est l’état des lieux du processus de réconciliation en cours dans votre pays ?

Nous sommes en marche vers l’accomplissement du triptyque inimitié-adversité-amitié. Toute l’équation de la réconciliation ivoirienne va consister à transformer l’ennemi en adversaire, puis l’adversaire en ami, comme je l’ai dit dès mon arrivée à l’aéroport de Nsimalen. La réconciliation est un processus patient et profond. On ne la force pas, on ne la brusque pas. On doit chaque jour, la parfaire davantage. Cela étant, vous avez constaté que la Côte d’Ivoire de 2014 n’est pas du tout celle d’avril 2011. Le pays respire à plein poumons l’air de la liberté et de la démocratie pluraliste. La paix est dans les comportements. Les prisonniers de l’opposition radicale ont quasiment tous été libérés, les comptes bancaires débloqués, les réparations légitimes effectuées. On note même l’apparition du mot « pardon », fort rarissime dans le vocabulaire habituel de l’opposition radicale. Mais la justice, qui est l’autre condition d’une vraie réconciliation, doit aussi suivre son cours, afin que les victimes de tous bords ne se sentent ni méprisées, ni marchandées avec cynisme.  Tout cela demande du temps et de la détermination politique.

8-Que dites-vous à propos d’une certaine opinion qui pense que la Côte d’Ivoire ne pourra connaitre une véritable réconciliation nationale, en l’absence d’une amnistie générale ?

Je ne crois pas qu’on puisse obtenir la paix en niant les souffrances, en égalisant les auteurs de la crise postélectorale et leurs victimes. Je ne crois pas que la confusion des responsabilités puisse apaiser mon pays. Mais je sais que là où la justice sera préalablement passée, le pardon pourra utilement suivre. En inversant le processus, on risque d’enfoncer un nouveau couteau dans la plaie presque cicatrisée   des souffrances du passé. En demandant lors des Accords Interafricains de Prétoria II (2005) aux institutions internationales de venir arbitrer les élections générales ivoiriennes 2010-2011, nous avons pris sur nous la responsabilité d’être sanctionnés par ces mêmes arbitres si nous ne respections pas la règle. Faisons preuve d’esprit de conséquence.

9-En 2005, vous avez écrit un livre dans lequel vous exprimiez de votre combat politique. Aujourd’hui, avec un certain recul, si on vous demandait justement, pourquoi étiez-vous devenu rebelle ?

Les raisons que j’ai énoncées dans mon livre de 2005 que vous évoquez sont toujours valables. J’ai dit et je répète toujours que je me suis rebellé quand le régime Gbagbo, sur la base de la mise en œuvre criminelle de l’idéologie discriminatoire de l’ivoirité, menaçait la Côte d’Ivoire de basculer dans une infernale rwandisation. Je me suis rebellé avec mes camarades pour sauver mon pays du génocide. Hier encore, j’ai dit devant le parlement du Cameroun que je me suis rebellé comme vos héros historiques de la résistance anticoloniale, contre la même injustice, sauf qu’en Côte d’Ivoire, nos colons étaient nos propres frères. Je suis et demeure rebelle à toute injustice, quelle que soit la couleur de la peau de celui qui la perpètre. La rébellion chez moi, est donc adossée à la claire conscience de la noblesse de la Cause que l’on sert. Il y a des dominations qui, malheureusement, ne peuvent cesser que si une contre-violence supérieure, mais maîtrisée et bien orientée les désarme. Tel fut pour nous l’obstacle constitué par le régime ivoiritaire de Laurent Gbagbo. La force s’est mise au service du droit en Côte d’Ivoire.

10-Selon vous, quels sont les principales entraves à une vraie émergence de l’Afrique ?
Je ne saurais faire ici dans l’exhaustivité. Je citerais toutefois pêle-mêle, le fatalisme historique, un certain attentisme, l’esprit de jérémiades, un certain anticolonialisme de parade, l’insuffisance des coopérations sud-sud, la haine du mérite et de l’intelligence que favorisent les cultes de la jouissance et de l’argent facile. Nous ne pourrons émerger qu’à partir du dépassement de nos propres idées-fixes vers l’ouverture au dialogue, à la réflexion, à la solidarité et à la créativité. L’émergence n’est pas qu’un slogan. Elle doit reformer nos manières d’être, de penser et de faire, pour faire advenir un monde conforme à nos attentes de dignité, de liberté, de justice et de bien-être partagés.

Abraham NDJANA MODO Journaliste, Yaoundé Cameroun
SOURCE: guillaumesoro.ci

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