Rentrée scolaire 2016- 2017/ Entretien exclusif avec Kandia Camara sur les sujets qui fâchent #ecoleivoirienne
Du 08 au 09 Septembre 2016, le ministre de l’éducation nationale Kandia Camara a pris part à la journée internationale de l’analphabétisme à l’UNESCO à Paris. Rencontrée lors de cette conférence, Kandia Camara a bien voulu se confier à l’Intelligent d’Abidjan.
Dans cet entretien ouvert et courtois, la ministre, en plus de nous rappeler le contenu de cette journée, nous explique les raisons du passage d’un régime pédagogique de quatre à cinq jours. Son point de vue sur la grogne des Syndicats suite à cette décision et une mise au point quant à l’interdiction des mèches en milieu scolaire jusqu’à la troisième.
Vous venez de prendre part à la journée internationale l’alphabétisation à l’UNESCO à Paris. Alors de quoi il s’est agi exactement ?
Il faut dire que c’est à l’occasion de la célébration du cinquantième anniversaire de la journée internationale de l’alphabétisation organisée par l’UNESCO, que nous nous avons pris part à cette rencontre en tant qu’invitée d’honneur. La Côte d’Ivoire est l’invitée d’honneur de l’UNESCO à cette cérémonie. La cérémonie s’est bien déroulée sur deux jours avec plusieurs activités. Notamment, il nous a été demandé d’animer un panel ; ce que nous avons fait avec nos collègues, la ministre de l’éducation nationale de Cuba, de l’Inde et le ministre de l’éducation nationale du Sénégal. Nous avons saisi cette occasion comme cela nous a été demandé, pour partager nos expériences dans le domaine de l’alphabétisation et de l’éducation non formelle en Côte d’Ivoire. Cette invitation est un grand honneur pour la Côte d’Ivoire. Parce que comme je l’ai dit, ce sont tous les États membres de l’UNESCO qui étaient invités à cette rencontre. Désigner la Côte d’Ivoire comme invité d’honneur démontre une reconnaissance de la communauté internationale vis-à-vis du Président de la république Alassane Ouattara, du premier ministre et du gouvernement pour toutes les actions menées dans le domaine de l’éducation et dans le domaine de l’alphabétisation et de l’éducation non formelle. C’est aussi la confirmation du retour de la Côte d’Ivoire sur la scène internationale.
Un problème récurrent a été posé lors cette rencontre, à savoir celui de la fiabilité des données, des statistiques, des chiffres concernant le taux réel de l’alphabétisation dans le monde et surtout en Afrique. Votre avis sur cette question…
Cela est une réalité pour tous nos États. Effectivement. Même en Côte d’Ivoire, les statistiques varient d’un organisme à un autre, d’une ONG à une autre. Il n’est pas aisé justement de collecter ces statistiques. C’est la raison pour laquelle, l’UNESCO a créé la RAMAA (Recherche actions des Acquis des Apprentissage d’Alphabétisation). L’UNESCO veut se donner les moyens de trouver des mécanismes d’évaluation justement des programmes d’alphabétisation dans les différents États. Evaluation pour les statistiques, évaluation des acquis, évaluation des outils utilisés pour l’alphabétisation et du taux d’analphabètes. Donc en un mot permettre aux États d’avoir des données fiables ensuite faire une bonne programmation des actions à mener pour réduire l’analphabétisme dans ces pays.
Est-ce que vous avez fait des propositions dans ce sens ?
En ce qui concerne la RAMAA, il faut dire que la dernière rencontre de publication de la première évaluation été faite à Abidjan. Donc c’est la Côte d’Ivoire qui a abrité cet évènement. Et cela a commencé avec cinq pays et la Côte d’Ivoire ne faisait pas partie de ces cinq pays. Mais nous avons émis une requête qui a été acceptée par l’UNESCO et donc la Côte d’Ivoire fait partie des douze pays qui vont être dans le programme de la phase 2 de la RAMAA. Et à partir de cela, nous aurons les outils et surtout les experts qui vont accompagner la Côte d’Ivoire dans la recherche de l’évaluation du programme d’alphabétisation en Côte d’Ivoire. Parlant des propositions, nous avons demandé que des experts nationaux soient formés afin que chaque année comme nous le faisons dans le cadre de l’éducation, nous puissions faire des évaluations pour avoir les statistiques année par année, puis de temps en temps faire les évaluations des acquis pour pouvoir mieux présenter nos stratégies, nos politiques pour une meilleure efficacité.
Cette rencontre vous a-t-elle servi ?
Beaucoup. Nous avons partagé les expériences des premiers pays qui se sont engagés dans la RAMAA. Nous avons aussi pu écouter les experts de l’UNESCO. Cela nous a été très profitable. Et d’ailleurs, nous avons commencé à réfléchir sur tout ce que nous avons appris.
Vous avez été aussi honorée lors de ces deux journées…
Je dirai que c’est la Côte d’Ivoire qui a été une fois de plus honorée. En 2015, le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki Moon a décidé que soit mis en place un organe appelé Alliance Mondiale pour l’alphabétisation justement pour attirer l’attention de la communauté internationale sur la problématique de l’alphabétisation et de l’éducation non formelle. Il a été demandé à l’UNESCO de gérer la mise en œuvre de cet organe. Et c’est ce qui a été fait hier. La directrice générale de l’UNESCO Irina BOKOVA a officiellement installé cet organe. Mais il faut dire que les élections ont eu lieu et c’est l’Afrique du Sud qui a présenté la candidature de la Côte d’Ivoire au nom de tous les pays africains et la Côte d’Ivoire a été élue Co-Présidente de l’Alliance mondiale pour l’éducation.
Pensez-vous que dans l’atteinte des objectifs de lutte contre l’analphabétisme, les Tics ont leur place ?
Ça c’est une des innovations majeures. Parce qu’il faut savoir que l’alphabétisation, se faisait de façon classique avec des outils qui varient d’un pays à un autre. Nous en Côte d’Ivoire, en plus des kits que nous offrons à nos auditeurs et auditrices, des kits composés de livres, de cahiers et de stylo, il y a aussi des outils comme le pilon, la calebasse et les graines que nous utilisons pour la formation de nos auditeurs et auditrices. Mais nous avons commencé l’expérience avec un opérateur économique mobile pour faire la formation avec les Tics. Aujourd’hui la grande innovation, c’est justement l’utilisation des Tics pour alphabétiser les populations.
Retournons en Côte d’Ivoire pour parler de la rentrée scolaire qui est prévue pour le mardi 13 Septembre 2016. Une autre innovation certainement cette année, c’est le retour des élèves après plusieurs années, le mercredi à l’école. Pourquoi une telle décision madame le ministre ?
Effectivement la rentrée scolaire 2016-2017 est pour le mardi 13 Septembre à partir de 07H 30 dans toutes les écoles et dans tous les collèges et lycées de Côte d’Ivoire, le lundi étant férié à cause de la fête de Tabaski. Il faut dire que lorsque le président de la république nous a fait l’honneur de nous confier ce département ministériel, il a donné comme mission, la réhabilitation du système éducatif, la performance du système éducatif, la bonne formation de nos apprenants et de bons résultats scolaires dans un environnement apaisé. Nous sommes partis dans le cadre de l’étude qui a été fait dans le cadre du RESEN qui est le Rapport du Système éducatif national en 2009. Ce rapport démontre que le système éducatif a été négativement impacté par toutes les crises qu’a connues le pays. Et qu’on avait insuffisance d’infrastructures scolaires, déficit en enseignants, niveau très bas de nos élèves, démotivation du personnel enseignant et personnel d’encadrement, la non implication des parents dans le suivi et l’encadrement de leurs enfants et un environnement insalubre et aussi et aussi de très fortes tensions dues aux nombreuses grèves.
A partir de cela, nous avons commencé à traiter toutes ces problématiques. La première décision que nous avons prise, c’est l’apaisement du climat dans nos écoles. Donc nous avons pris la mesure d’interdire les activités politiques et syndicales à nos élèves, surtout compte tenu de leur bas âge. Nous avons créée un environnement propice à l’apprentissage et à l’enseignement. Ce qui a ramené le calme dans nos écoles. Nous avons travaillé à assainir l’environnement physique de nos écoles. Et je voudrais au passage saluer madame la ministre Anne OULOTO qui a décidé de nous accompagner dans la poursuite de ce programme là pour faire en sorte qu’il n’y ait plus de nuisance autour de nos écoles. Nous sommes revenus au port de l’uniforme et ensuite nous avons mené des reformes au niveau des curricula. Nous avons revu les programmes et fait le recadrage avec l’APC qui est l’Approche Par les Compétences avec des experts qui sont venus du Canada, mais avec aussi les enseignants, les inspecteurs. Nous avons élaboré des guides conformes à cette approche que nous avons distribués aux enseignants pour qu’ils aient des supports pédagogiques pour mieux faire leur travail. Ensuite nous avons revu le programme même de nos élèves. Compte tenu du niveau de nos élèves dans certaines matières, nous avons réservé 90% du temps d’apprentissage aux matières les plus importantes au niveau du primaire. C’est-à-dire la lecture et l’écriture, les mathématiques et les sciences. Pour vous dire que justement c’est en dressant tous les problèmes qui se posent à notre système éducatif, que nous essayons d’élaborer des reformes pour corriger cela. Ensuite, il y a eu le RESEN 2 qui a été élaboré en 2015. Mais avant, nous avons demandé au gouvernement de faire en sorte qu’on ait davantage de salles de classe. C’est ainsi que de 2011à 2015, nous avons construit plus de quinze mille (15.000) salles de classe au niveau du primaire ; près de cent soixante-dix (170) collèges ont été ouverts, nous avons recruté plus de trente–huit mille (38000) enseignants, nous avons formé près de cent mille (100.000) enseignants du public et du privé en renforçant leurs capacités parce que nous estimons que pour avoir une éducation de qualité, il faut avoir des enseignants qualifiés. Le RESEN 2 démontre que malgré les efforts fournit, il y a encore des insuffisances. Il faudrait aussi que je dise que le RESEN 1 et 2 sont des rapports élaborés par la Côte d’Ivoire et le pays se soumet aux programme d’analyse des résultats au niveau de l’éducation qu’on appelle RESEN et c’est une évaluation qui est faite par la Conférence des Ministres de l’Education Nationale (CONFEMEN). Le PASEN qui est le Programme d’Analyse du Système Educatif National concerne les pays de la CONFEMEN. En 2012, le rapport du PASEN qui a été présenté par le secrétaire général de la CONFEMEN à Abidjan, a donné pour résultat que la Côte d’Ivoire était dernière de tous les pays qui avaient été évalués. Nous nous sommes encore soumis à une autre évaluation et en 2015, nous avons eu les résultats, la Côte d’Ivoire fait partie des quatre derniers pays qui ont été évalués. Et ces résultats donnés dans les détails, démontrent que 73% des élèves du CEPE en Côte d’Ivoire ont un niveau insuffisant en mathématiques, et 82% des élèves ont un niveau insuffisant en français, en lecture et en écriture. Il fallait tirer les leçons.
Et quand nous faisons une comparaison entre les pays qui arrivent en tête notamment le Sénégal, le Burkina, le Cameroun, nous nous rendons compte que les pays qui ont un régime pédagogique de cinq (5) jours d’au moins trente-quatre (34) semaines dans l’année et près de mille (1000) heures dans l’année, ces pays-là ont des résultats meilleurs. A la suite de cette dernière évaluation, nous avons interrogé les enseignants, nous avons partagé les résultats avec eux, les inspecteurs de l’enseignement préscolaire et primaire et avec les inspecteurs disciplinaires. Les résultats de cette réflexion démontrent que le temps d’apprentissage n’est pas suffisant pour les élèves ivoiriens pour avoir un bon niveau dans les différentes matières. Et la même analyse a été faite par la CONFEMEN. A savoir le temps d’apprentissage est important dans l’atteinte des résultats. Aujourd’hui nous sommes dans le concert des nations. En matière d’enseignement comme dans d’autres secteurs, il y a des normes. Aujourd’hui au plan international, les normes, c’est au moins trente-quatre semaine dans l’année, c’est au moins mille heure dans l’année et c’est cinq jour par semaine d’apprentissage. Donc vous avez le Burkina, le Mali, le Sénégal, le Bénin, le Cameroun ; tous ces pays ont cinq jours. Vous avez aussi la France et plusieurs autres pays. Il y en a même qui ont six jours. Quand vous prenez un régime pédagogique de quatre jours d’apprentissage par semaine, vous n’avez que vingt minutes pour le français, vingt minutes pour les mathématiques… Qu’est-ce qu’un enseignant malgré ses compétences peut enseigner en vingt minutes ? Surtout à des enfants du primaire ? Et c’est pour cette raison que tout en respectant le régime journalier c’est-à-dire six heure du lundi au vendredi habituel, le gouvernement a décidé d’occuper la demi-journée du mercredi pour faire en sorte que nous ayons du temps suffisant pour enseigner les matières, du temps suffisant pour l’apprentissage avec l’avantage que dorénavant , nous aurons une plage pour le soutien pédagogique pour les enfants qui ont des difficultés. Sans oublier que quand un enseignant s’absentait pour une raison ou une autre, il n’avait aucune possibilité de rattraper ses heures ou ses cours d’absence parce que le temps d’apprentissage était très court. En plus de cela, cette mesure n’est pas nouvelle. Tout le sait qu’en Côte d’Ivoire jusqu’à 1992, le régime pédagogique était de cinq jours. Par le passé quand on avait un régime pédagogique de cinq jours, on avait cour le samedi, on n’avait pas cour le jeudi. Mais quand au niveau du gouvernement, on a décidé de faire du samedi un jour non ouvrable, on aurait dû rattraper cela avec un autre jour qu’on devait occuper. Nous voulons être conformes avec tous les pays du monde avec cinq jours dans la semaine. Nous sommes encore en deçà de la norme internationale mais nous nous rapprochons de plus en plus. Depuis quelques années déjà, nous avons des activités qui se sont rajoutées aux matières enseignées par le passé. Depuis 2013, nous enseignons les Tics à l’école. Cette année nous avons introduit l’entreprenariat à l’école avec et nous avons développés les activités comme le théâtre, la peinture, la photographie, le cinéma, le chant, la danse. Et nous voulons encore développer le sport. Nous enseignons aujourd’hui l’éducation financière à nos élèves. Le président de la république veut des ivoiriens nouveaux et nous nous sentons interpellés.
Depuis l’annonce de cette nouvelle mesure, les syndicats sont mécontents du fait qu’ils n’auraient pas été avisés avant. C’est vrai ?
Je vous remercie pour cette question. Je voudrais préciser que la première rencontre avec les syndicats a eu lieu au mois d’Avril 2016 et cette réunion a été présidée par le directeur de cabinet du ministère de l’éducation nationale. A cette réunion, l’information a été donnée à tous les participants y compris les syndicats au sujet du retour à un régime pédagogique de cinq jours avec l’occupation de la demi-journée du mercredi. Ensuite, il y a eu une réunion à mon cabinet avec les syndicats, les associations de parents d’élèves, les religieux et les chefs traditionnels. Au séminaire de rentrée qui a eu lieu à Yamoussoukro le 31 Août, le 1er, 2 et 3 Septembre, l’information a encore été donnée et les syndicats y étaient. Et moi-même le mardi 07 Septembre dernier, à mon cabinet, j’ai rencontré au moins quarante syndicats avec les représentants des associations de parents d’élèves, les guides religieux et les chefs traditionnels. A cette réunion, toutes les informations ont été données surtout les raisons profondes pour lesquelles, nous apportons cette réforme.
Dans ce cas-là, comment pouvez-vous expliquer leur plainte ?
Je suis moi-même surprise. Je suis surprise d’entendre que les syndicats n’ont pas été informés. Maintenant, vous savez au niveau du ministère de l’éducation national, il y a une situation qui prévaut et que nous déplorons, c’est la création de syndicats à tout moment et à tout bout de champs. Au jour d’aujourd’hui, nous avons soixante-seize (76) syndicats. Il y a à peine quelques jours, il y a une nouvelle organisation qui vient d’être créée. En tout cas, je peux vous dire qu’il y a au moins quarante syndicats qui sont très représentatifs, les plus connus qui ont été à ces réunions. Donc je suis surprise d’entendre que les syndicats avec lesquels nous travaillons tous les jours n’ont pas été informés.
Pour finir, est-ce que l’interdiction des mèches au niveau des jeunes filles à l’école rentre dans le cadre de vos objectifs ?
Absolument. Vous savez nous sommes avant tout, éducateur. Un enseignant est d’abord un éducateur. Et c’est cette éducation complète que nous voulons donner à nos enfants. Ce que nous avons remarqué à notre prise de fonction, c’est que certaines jeunes filles étaient coiffées avec des mèches souvent extravagantes, de couleur et surtout que nos élèves sont de plus en plus jeunes. Nous avons voulu que nos élèves de la classe de CP1 jusqu’à la classe de 3ème, aient les cheveux courts, bien peignés, c’est plus propre. Surtout nous voulons que nos enfants passent plus de temps à leurs études qu’à entretenir des cheveux et surtout que cela revient cher aux familles. Et donc après consultation de certaines familles, nous avons pris cette décision et heureusement, elle est saluée par les parents d’élèves. Cette décision est toujours de mise.
Source l’Intelligent d’Abidjan (Korona Sékongo à Paris, Publié 13/09/2016)
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