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Quand les discours haineux et le refus du dialogue des politiques conduisent au chaos


Abidjan, le 8-11-2020 (lepointsur.com) De la crise pré-électorale à celle post-électorale, les discours et les actes des hommes politiques ivoiriens, empreints de violences verbales, provoquent  des affrontements inter-communautaires, la déstabilisation des pouvoirs publics, provoquant ainsi la fragile cohésion sociale

À 78 ans,  Alassane Ouattara a été réélu pour un troisième mandat controversé sur le score sans appel de 3 031 483 des voix, soit 94,27 % au premier tour. Le candidat indépendant Kouadio Konan Bertin (KKB) arrive en seconde position avec 1,99% des voix, soit 64 011 votes. Le scrutin a enregistré un taux de participation de 53,90 %, selon la Commission électorale indépendante.

L’opposition, qui a boycotté le scrutin du samedi 31 octobre 2020, a appelé dimanche à une «transition civile» pour une nouvelle présidentielle «juste» et «à la mobilisation générale des Ivoiriens pour faire barrage à la dictature et à la forfaiture du président sortant».

Selon elle, le pouvoir se dédit sur le référendum qui a conduit à la mise en place de la Constitution de 2016 qui, logiquement, ‘’ne permet pas à Alassane Ouattara de briguer un 3e mandat’’.

Pendant ce temps, le directeur exécutif du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (Rhdp), Adama Bictogo, n’y va pas de main morte pour défendre le fauteuil de son mentor. Il a mis en garde, le dimanche 1er novembre, l’opposition qui ne reconnaît pas l’élection présidentielle contre toute «tentative de déstabilisation». «Le RHDP met en garde M. Affi N’Guessan (le porte-parole de l’opposition) et consorts contre toute tentative de déstabilisation», a-t-il déclaré.

Alors que, derrière ces menaces, la Côte d’Ivoire continue à compter ses morts et ses blessés, elle fait aussi le bilan des pertes et destructions des biens publics et privés dans plusieurs régions.

On dénombre 67 personnes tuées, plusieurs personnes blessées et 211 interpellées à la date du 24 octobre, selon les sources officielles, avant le scrutin.

Un triste point qui s’ajoute aux 3000 morts de 2011, déjà oubliés, alors qu’on n’observe aucun acte pour arrêter la progression de ces chiffres macabres.

Rappelons également que sur les 44 candidatures déposées pour la présidentielle, 40 ont été rejetées, sans que les prétendants n’aient eu accès à un recours effectif, le rejet de leurs dossiers leur ayant été signifié en dernier ressort.

En outre, sur les quatre candidatures validées par le Conseil constitutionnel, Alassane Ouattara du Rhdp, Henri Konan Bédié du Pdci-Rda, l’indépendant Konan Kouakou Bertin (KKB) et Pascal Affi N’Guessan du FPI, seuls Alassane Ouattara et KKB ont mené campagne. Les deux autres, membres de l’opposition ont, quant à eux, appelé à boycotter activement le processus électoral.

Le jour du scrutin non ‘’inclusif, libre et transparent’’, boycotté par l’opposition, le 31 octobre, la tension est montée d’un cran un peu partout à l’intérieur du pays et même dans certaines communes du district d’Abidjan.

Dans ce contexte électoral conflictuel, malgré le déploiement de 3 500 agents des forces de l’ordre sur l’ensemble du territoire national, il y a eu destruction de plusieurs urnes, obstruction de plusieurs voies d’accès par des manifestants empêchant par conséquent les électeurs de rallier les bureaux et centres de vote, ainsi que des incendies d’habitations, des agressions et tueries.

Selon le Programme Indigo, une ONG qui avait déployé des observateurs dans tout le pays, «23% des bureaux de vote sont restés fermés toute la journée». «Un nombre important de villes et de villages ont été le théâtre de confrontations violentes entre populations d’une part et entre populations et forces de l’ordre d’autre part. Ce basculement de la violence sur le terrain communautaire reste sans conteste l’un des principaux facteurs à considérer», a estimé Arsène Konan, coordinateur du programme.

‘’Les fautes lourdes continuent’’, selon l’Olped

Le président du Comité de direction de l’Observatoire de la liberté de la presse, de l’éthique et de la déontologie (Olped), Zio Moussa, a toujours interpellé les journalistes sur leur rôle. Il leur donnait, en août 2020, les résultats de deux monitorings : ceux des journaux imprimés ivoiriens et ceux de la radio qui ont lui ont permis de faire le constat des ‘’fautes lourdes’’ qui continuent.

‘’Ces fautes professionnelles de journalistes activent les braises ardentes d’une violence physique dans un pays qui sort progressivement d’une guerre et encouragent les pyromanes’’

Il a cité, entre autres, les injures, les irrévérences, les incitations à la révolte, à la violence, et parfois même au meurtre. Il en est de même pour l’apologie de la guerre retrouvée dans dix journaux consultés en l’espace d’un mois.

Ces fautes professionnelles de journalistes activent les braises ardentes d’une violence physique dans un pays qui sort progressivement d’une guerre et encouragent les pyromanes. Conséquence, à la moindre étincelle, les populations se déplacent en interne et à l’extérieur.

 Déjà, des milliers de déplacés dans la sous-région

Le HCR, l’agence des nations unies pour les réfugiés, lors de la conférence de presse du 3 novembre 2020 au Palais des Nations, a affirmé qu’en date du 2 novembre, plus de 3200 réfugiés ivoiriens étaient arrivés au Liberia, au Ghana et au Togo.

« Au Liberia, où plus de 2600 réfugiés sont arrivés par plusieurs points d’entrée le long de la frontière commune avec la Côte d’Ivoire, dont quelque 1000 personnes rien qu’au cours de cette dernière journée, les communautés locales accueillent les nouveaux arrivants et partagent leurs ressources limitées et leurs logements », explique, le porte-parole du HCR, Boris Cheshirkov.

Il précise par ailleurs que quelque 600 réfugiés ivoiriens sont également arrivés au Ghana. « Plus de la moitié sont originaires de Niablé, une ville ivoirienne située à moins de cinq kilomètres de la frontière ghanéenne. Ils ont exprimé leur intention de rester près de la frontière pour pouvoir rentrer rapidement une fois la violence calmée. Le lundi 2 novembre, 289 Ivoiriens ont choisi de retourner à Niablé après avoir appris par leur famille que le calme était revenu », indique-t-il.

Le HCR a invité les dirigeants politiques et les leaders d’opinion ivoiriens à s’abstenir d’inciter à la violence, à ne pas recourir à des discours haineux, et à résoudre tout différend de manière pacifique et par le dialogue. Mais, l’appel à la violence continue et les morts endeuillent des familles.

Pas de point exhaustif des morts et blessés

Le point exact de ces nombreuses violences dans le pays est toujours difficile à établir après le scrutin présidentiel, mais l’opposition et le pouvoir évoquent des ‘’morts’’ et des ‘’blessés’’.

Cependant, ces violences ont laissé voir de nombreux actes barbares d’une particulière gravité en Côte d’Ivoire. On peut notamment relever l’empêchement du vote, des meurtres, des coups et blessures volontaires, des incendies volontaires, des destructions d’édifices et de biens, des entraves à la libre circulation des biens et des personnes, l’incitation à la haine et à la violence, la diffusion de nouvelles fausses dans le but de créer des affrontements inter-communautaires…

Samedi 31 octobre, jour du scrutin, selon plusieurs sources concordantes dont deux médicales, le décompte s’ouvrait sur au moins 5 personnes mortes et 34 autres blessées à Gagnoa, dans le sud-ouest, dans des affrontements entre des jeunes à Tehiri.

De source sécuritaire, on compte au moins deux morts, «un à Oumé (260 km au nord-ouest d’Abidjan, également près de Gagnoa) et au moins un à Tiebissou (centre)». Le maire de Tiebissou, Germain N’Dri Koffi a, quant à lui, fait état de «quatre morts et 27 blessés» dans sa commune.

L’épicentre de ces violences, Toumodi, ville située dans le Centre de la Côte d’Ivoire à 189 km de Yamoussoukro, la capitale politique, enregistrait la mort de quatre personnes d’une même famille dans l’incendie de leur habitation lors de violents troubles.

De ‘’la tentative illégale d’arrestation’’ à ‘’la séquestration’’

Au regard du contexte politique et sécuritaire tendu, la Côte d’Ivoire n’a pas organisé une élection présidentielle démocratique et crédible.

Pour maintenir la pression sur le pouvoir en place, les partis et groupements politiques de l’opposition ont annoncé la création du Conseil national de transition (CNT) avec pour président Henri Konan Bédié, au cours d’un point-presse, le lundi 2 novembre.

Réponse du berger à la bergère ? Lors d’une conférence de presse le mardi, c’est le ministre de la Sécurité, Diomandé Vagondo, qui revenait sur les tirs et détonations entendues dans la nuit du lundi au mardi près du domicile de certains leaders de l’opposition, largement relayés par les sites et les réseaux sociaux. Il a affirmé que les forces de l’ordre avaient procédé au maintien de l’ordre par la ‘’dispersion de petits groupes’’.

Dans un communiqué de presse qui suivait, le Garde des Sceaux et ministre de la Justice, Sansan Kambile, condamnait la formation du Conseil national de transition annoncé par l’opposition. « Cette déclaration ainsi que les violences perpétrées suite au boycott actif constituent des actes d’attentat et de complot contre l’autorité de l’Etat et l’intégrité du territoire national. Ces faits sont prévus et punis par la loi pénale », menaçait-il.

‘’La ‘’parodie d’élection’’ dénoncée par l’opposition s’est transformée en un état de siège à la résidence de Bédié où l’opposition devait tenir un point-presse’’

Avant d’annoncer que le procureur de la République et le Tribunal de première instance d’Abidjan avaient été saisis « afin que soient traduits devant les tribunaux les auteurs et les complices de ces infractions ».

Pour les autorités ivoiriennes, cette annonce ainsi que les violences perpétrées suite au boycott actif constituent.

La ‘’parodie d’élection’’ dénoncée par l’opposition s’est transformée en un état de siège à la résidence de Bédié où l’opposition devait tenir un point-presse.

La suite de la journée fut animée par des ballets de cargos militaires du Groupe de sécurité de la présidence de la République (Gspr) et de plusieurs unités de la police avec des jets de gaz lacrymogène et des tirs de sommation aux alentours de la résidence du président du CNT.

Plusieurs personnalités, proches collaborateurs et parents du président du CNT, ont été interpellés dont le Prof. Maurice Kakou Guikahué, député à l’Assemblée nationale.

Pour faire preuve de fermeté face aux déclarations et comportements de l’opposition, le gouvernement a déployé la police devant les domiciles de plusieurs leaders de l’opposition.

Dans un communiqué du 4 novembre, le collectif des avocats de Henri Konan Bedié et des leaders de l’opposition politique ivoirienne ont dénoncé ‘’la tentative illégale d’arrestation’’ des membres du CNT et le blocus imposé aux résidences de Henri Konan Bedié, de Pascal Affi N’Guessan, d’Assoa Adou, d’Abdallah Toikeusse Mabri et de Hubert Oulaye. Il s’agit d’actes qui ‘’ne rentrent dans aucun cadre législatif et règlementaire applicable en Côte d’Ivoire, et qui doivent être qualifiés de séquestration’’.

Le pouvoir exerce une véritable pression pour dissimuler les arrestations, les interpellations et les poursuites.

La pression du pouvoir cache de loin des arrestations, des interpellations et des poursuites.

La pression judiciaire

Lors d’une conférence de presse le 6 novembre, le procureur de la République, Adou Richard a indiqué qu’à l’analyse, tous les actes perpétrés et commandités par les partis et groupements de l’opposition ‘’avaient pour finalité d’attenter à l’autorité de l’État afin de parvenir au renversement des institutions de la République’’. « Ces actes sont constitutifs d’attentat et de complot contre l’autorité de l’État et l’intégrité du territoire national », a-t-il martelé.

Plusieurs personnes dont l’artiste DJ Volcano sont déjà détenues. « Il reste entendu que les procédures déjà ouvertes dans le cadre d’infractions qui ont un lien de connexité avec la présente procédure seront jointes à celle-ci », renchérit-il.

Par ailleurs, dans le cadre de l’enquête ouverte, plusieurs personnes ont été interpellées dont Maurice Kakou Guikahué, le 3 novembre 2020, au domicile de Henri Konan Bédié. Parmi eux, neuf ont été libérés.

Cependant, le procureur de la République indique que Abdallah Albert Toikeusse Mabri qui a participé à ‘’cette conjuration’’ est parvenu‘’à prendre la fuite et est activement recherchées’’.

À l’en croire, l’enquête ouverte permettra d’interpeler toutes les personnes ayant participé à quelque degré que ce soit à ‘’cette entreprise criminelle’’.

« Cette enquête va s’étendre sur l’ensemble des localités où ces faits d’une particulière gravité ont été commis pour en appréhender les auteurs et les complices », prévient-il.

Une traque qui a fini par aboutir à l’arrestation du porte-parole de l’opposition, Pascal Affi N’guessan, dans la nuit du 6 au 7 novembre à Akoupé.  Depuis cette information, les conseils de Pascal Affi N’guessan affirment, dans un communiqué, avoir mené des recherches dans les différents services de l’État tels que la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) à Cocody, la Préfecture de Police à Abobo, la Brigade de Recherches de la Gendarmerie et la Police Judiciaire au Plateau, sans obtention de résultat du lieu où serait détenu leur client.

Une situation que dénonce le collectif d’avocats pour qui, par ailleurs, « Si l’information de l’arrestation de Monsieur Pascal Affi N’guessan était avérée, et son lieu de détention inconnu, il est clair que l’État de droit n’est plus de mise en Côte d’Ivoire et qu’il a fait place à l’État barbare. Ce qui serait inacceptable. »

L’opposition est intimidée et bâillonnée par le pouvoir. Le ton des discours, tant de l’opposition que du pouvoir, reste inchangé. La peur gagne les populations dans un pays qui recolle difficilement les morceaux d’une paix précaire, éclatée, en lambeaux depuis des mois.

Sériba Koné

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