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[Polémiques Effondrement du pont de Gênes] L’Italie entre indignation et récupération


Par Eric Jozsef, correspondant à Rome — 15 août 2018 à 19:21

L’effondrement partiel d’un pont mardi en Ligurie, qui a tué au moins 38 personnes dont 4 Français, soulève nombre de questions sur la gestion des infrastructures autoroutières dans le pays. Plutôt que de jouer l’apaisement, le gouvernement populiste s’empresse de rejeter la faute sur les précédents gouvernements et Bruxelles.

«Ils devront payer, payer tout et payer cher.» Dans le sillage du très radical ­ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini, le gouvernement italien demande des comptes pour la tra­gédie du viaduc de Gênes qui est vécue comme une «catastrophe ­nationale» dans le pays. Le ton est ferme. Et les prises de position vont crescendo depuis la déclaration du leader de la Ligue, parti d’extrême droite, mardi après-midi, quelques heures seulement après l’annonce de l’écroulement : «C’est le temps des secours, de l’intervention, de la fatigue, de la sueur et de la prière, mais à partir de ce soir doit commencer le temps de l’établissement des responsabilités avec les noms et les prénoms de ceux qui sont coupables de morts inacceptables.»

Depuis cette intervention de Salvini qui a au passage pris le temps de twitter «dans une journée aussi triste, une nouvelle positive : le navire Aquarius ira à Malte […] et non en Italie», les autres ministres du gouvernement ont embrayé, fournissant leur propre interprétation des causes de la catastrophe du pont Morandi. Et livrant même, sans attendre les conclusions de la justice, des coupables à une opinion publique légitimement indignée par les terribles nouvelles en provenance de Gênes. Le ministre des Transports du Mouvement Cinq Etoiles (M5S), Danilo Toninelli, a immédiatement pointé du doigt des problèmes de maintenance du pont. En réponse, la société ­italienne des autoroutes a indiqué que «des travaux de consolidation étaient en cours» et que le viaduc qui s’est écroulé faisait l’objet «d’activités constantes d’observation et de vigilance».

«Pluri-homicide»

Selon le professeur d’ingénierie à la Faculté de Gênes Antonio Brencich, plus qu’un problème de maintenance le pont aurait en fait présenté des soucis structurels en raison de sa «mauvaise conception». Et d’ajouter : «[L’architecte] Morandi s’est trompé dans les calculs de la déformation, avec le temps, des structures en ciment armé.» En 2016, l’universitaire avait, en vain, invité les pouvoirs publics à démonter le pont Morandi et à en reconstruire un neuf.

Pour l’heure, le parquet de Gênes a simplement ouvert une enquête pour «pluri-homicide involontaire sans inculper quiconque». «Les responsables ont un nom et un prénom, et ce sont Autostrade per l’Italia», a néanmoins estimé mercredi matin ­le vice-Premier ministre, Luigi Di Maio. Le leader du M5S en a profité pour remettre en cause la privatisation du système autoroutier italien : «Pendant des années on a dit que faire gérer les autoroutes par des privés était mieux que par l’Etat. Maintenant on a l’un des plus grands concessionnaires européens qui nous dit que ce pont était en sécurité et que rien ne laissait imaginer l’effondrement […]. Il faut retirer les ­concessions et faire payer des amendes. Si un privé n’est pas en mesure de gérer les autoroutes, l’Etat le fera.» Matteo Salvini a immédiatement embrayé : «La révocation des concessions est un minimum.»

Mercredi après-midi, le ministre de l’Intérieur s’est rendu sur les lieux de la catastrophe après la visite plus tôt de Luigi Di Maio et celle mardi du président du Conseil, Giuseppe Conte. Pendant ce temps, sur les ­réseaux sociaux italiens, les militants se déchaînent. Les partisans du nouvel exécutif s’en prennent aux gouvernements précédents accusés de ne pas avoir rendu plus ­sûres les infrastructures, tandis que les électeurs démocrates fustigent une «sinistre récupération poli­tique» des populistes. Et dénoncent le fait qu’au nom de la lutte contre les grands chantiers, le M5S de ­Gênes s’est opposé à la Gronda, une nouvelle bretelle d’autoroute qui devrait représenter une alternative au pont Morandi. Il y a quinze jours, le ministre Danilo Toninelli a d’ailleurs mis la Gronda sur la liste des projets à ­revoir intégralement.

«Anomalies»

En attendant, le président du ­Conseil, Giuseppe Conte, a annoncé un plan extraordinaire de contrôle des infrastructures. Il y a urgence, car l’écroulement du viaduc de ­Gênes a rappelé au pays que ­beaucoup d’infrastructures autoroutières sont vieilles, parfois ­construites dans les années 50-60. «Pas moins de 70 % des 15 000 ponts et galeries du réseau italien ont plus de 40 ans», a ainsi recensé le quotidien La Repubblica, qui rappelle que la plupart d’entre eux, à l’instar du pont Morandi, n’ont pas été ­conçus en fonction de la circulation actuelle, beaucoup plus intense que par le passé, avec notamment le transit de camions plus gros et plus lourds.

Ainsi, au cours des quatre dernières années, pas moins de huit ponts se sont écroulés en Italie. Et toujours selon La Repubblica«plus de 300 ponts ou tunnels présenteraient aujourd’hui de graves anomalies». «Beaucoup d’écoles, d’hôpitaux, de chemins de fer, de fleuves et d’autoroutes ont besoin de manutention», a reconnu mardi le ­ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini. Mais dans le but de porter, comme à son habitude, ­l’attaque contre les institutions de Bruxelles. Le leader d’extrême droite a en effet profité de la ca­tastrophe de Gênes pour laisser entendre que c’est l’austérité européenne qui empêcherait l’Italie de sécuriser ses infrastructures : «Souvent, on nous dit que l’on ne peut pas dépenser d’argent parce qu’il y a les paramètres européens, les limites en termes de déficit, le PIB, la dette, les écarts de taux d’intérêts.» Et d’avertir : «La prochaine loi de finances ­devra mettre au centre la sécurité des Italiens […] et ces paramètres devront être mis au second plan.»

Source: http://www.liberation.fr

 

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