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[Ministère de la Construction] Laxisme, corruption, impunité…tous les feux sont au rouge


Abidjan, le 01-3-2022 (lepointsur.com) Nous ne sommes pas sur les ruines d’un champ de bataille. Loin de là. Cependant, des corps humains et des blessés (graves et moins graves) sortent  des immondices de gravats chaque fois qu’un immeuble s’affaisse comme un château de cartes à Abidjan ou à l’intérieur du pays. Retour sur des faits où le laxisme, la corruption et l’impunité font bon ménage.

Un immeuble en construction s’effondrait, emportant sous ses gravats la vie d’un ouvrier innocent, le  dimanche 5 mai 2013, Angré château (Commune de Cocody). Quatre mois plus tard, le samedi 14 septembre 2013, un autre immeuble R+2 non habité à la Riviera palmeraie, s’effondrait, lui aussi. Seulement deux mois après, le lundi 25 novembre 2013, toujours à la Riviera Palmeraie, un autre immeuble R+4 s’écroulait de tout son long sur trois ouvriers, selon certains médias et sur un selon d’autres. Idem à Yamoussoukro, quartier millionnaire, le mercredi 13 juin 2018 où selon diverses sources 20 personnes travaillant sur le chantier d’un immeuble R+3, sont restées prisonnières sous les décombres dont 6 ont trouvé la mort.

Comme si ces pertes en vie humaines et matériels étaient un simple jeu entre le ministère de la Construction et de l’Urbanisme et des propriétaires des immeubles en construction, un autre immeuble en construction à la Rivièra-Anono-village s’est écroulé lui aussi,  le vendredi 12 mars 2021. Un an plus tard, et neuf ans après le drame du 5 mai 2013, dans la nuit du samedi 26 à dimanche 27 février 2002, c’est un autre immeuble R+7 en construction dans la à Treichville, non loin du Palais de la Culture s’est effondré. Le point provisoire livré par les agents des sapeurs-pompiers militaires, rencontrés sur place, fait état de 5 morts et 22 blessés dont certains sont dans un état grave.

 Le ver est dans le fruit

Du ministre de la Construction, Mamadou Sanogo (2013), au ministre Bruno Nabagné Koné (2022) en passant par Claude Isaac De (2018), les immeubles en construction sont de véritables tueurs, mettant à nu le laxisme, la corruption et l’impunité, ces maux qui se confondent avec le ministère de la Construction.

Dans ce milieu où le corrupteur et le corrompu sont sanctionnés par la loi, personne n’ose parler à visage découvert. C’est tout, naturellement, sous le couvert de l’anonymat qu’un propriétaire de plusieurs immeubles nous explique comment il parvient, à ‘’ violer ’’ les règles en ‘’ mouillant ’’ la barbe des chefs d’antenne du ministère de la Construction.

En effet, après l’obtention du permis de construire, le contrôle des constructions, est effectué par les ingénieurs-conseils, dénommés ‘’le contrôleur des constructions’’, qui est commis par le maître d’ouvrage, selon la loi n° 2019-576 du 26 juin 2019. Pour ce faire, il a l’obligation de produire des rapports détaillés, datés, signés et revêtus de son sceau. Ce rapport matérialise la validation ou non des travaux de construction. « Le contrôleur des constructions est responsable des malfaçons et incidents dus au mauvais contrôle de la réalisation des travaux. Toutefois, le maître d’ouvrage demeure le responsable de la stabilité du bâtiment », dispose l’article 37 de loi n° 2019-576 du 26 juin 2019. En outre, le ministère de la Construction est doté d’une plateforme chargée du contrôle et de l’investigation, un travail qu’il mène avec le soutien des collectivités décentralisées. Autant affirmer que toutes les dispositions légales sont prises pour un meilleur suivi de travaux de construction.

 Laxisme et corruption

En effet, cette même loi prévoit les mises en demeure. En son article 26 par exemple, elle dispose ce qui suit : « L’ administration peut procéder de plein droit à la démolition, à la charge du maître d’ouvrage, de toute construction qui s’est poursuivie après notification d’une mise en demeure d’arrêt des travaux ou de démolition ou en violation des prescriptions de mise en conformité», ajoutant, par ailleurs, « Le ministre de tutelle s’appuie sur une plateforme chargée du contrôle et de l’investigation, dans le cadre d’une synergie d’actions avec les collectivités décentralisées.»

Concernant l’immeuble de Treichville qui a arraché la vie à 5 personnes, pourquoi l’administration n’a pas procédé de plein droit à la démolition, à la charge du maître d’ouvrage, de cette construction qui s’est poursuivie après notification d’une mise en demeure d’arrêt des travaux ou de démolition ou en violation des prescriptions de mise en conformité ?

Selon l’une de nos sources, détenteur de plusieurs immeubles à Abidjan, qui a requis l’anonymat, l’homme affirme que le procédé consiste, selon lui, à donner un million FCFA au chef d’antenne de l’Urbanisme et de l’Habitat de la commune quand un tel cas de figure se présente. Par exemple, explique-t-il si l’immeuble doit respecter la norme R+3, si vous pouvez l’augmenter autant de fois que vous voulez, « il suffit de verser la somme d’un million FCFA pour chaque étage et tour est joué ».

Cette révélation du corrupteur masqué est-elle vraie ou fausse ? En tout état de cause, la loi donne plusieurs alternatives au ministère de la Construction de prendre ses responsabilités.

L’impunité, la règle

Voici ce que prévoit la loi en son article 524 : « Sans préjudice de la démolition des constructions et installations et de la saisie de matériels, quiconque poursuit les travaux au mépris de l’arrêt des travaux ordonné par les services compétents est soumis à des amendes administratives selon les modalités suivantes :

-15 000 francs par mètre carré hors œuvre de tous les planchers pour les bâtiments à usage d’habitation ;

– 25 000 francs par mètre carré hors œuvre de tous les planchers pour les bâtiments industriels.

– 20 000 francs par mètre carré hors œuvre de tous les planchers pour les bâtiments à usage de bureau ou de commerce ;

– 25 000 francs par mètre carré hors œuvre de tous les planchers pour les bâtiments industriels. »_

Au ministère de la Construction, on préfère communiquer sur les acquis. « Le nombre de contrôles est en très forte hausse par rapport aux 4/5 années précédentes ; d’environ 2000 par an à plus de 10.000 en 2021. Grâce au renforcement des contrôles, 21 effondrements avant depuis 2018, dont 9 en 2020, deux en 2021. Il n’y avait plus eu d’effondrement depuis avril 2021 », se réjouit le ministère, sans communiquer sur le nombre de personnes arrêtées jugées et condamnées.

En revanche, le ministère accuse certains propriétaires : « Insister sur la cupidité de certains propriétaires qui, malgré les injonctions et les mises en demeure d’arrêt des travaux, poursuivent les travaux. »

En lieu et place des lois à appliquer, on préfère jouer au jeu du chat et de la souris après chaque drame.

Sériba KONE

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