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Méagui / Lotissement Cité Kouassi Lenoir : Plusieurs hectares de cacao et d’hévéa détruits #Agriculture


  • Les planteurs crient leur indignation et appellent le chef de l’Etat au secours

Une vue des plants de cacao greffés dans le cadre du  programme du CCC et de la Banque Mondiale appelés à disparaître avec la mise en oeuvre du projet de lotissement. (Ph: Le Point Sur)

Une vue des plants de cacao greffés dans le cadre du programme du CCC et de la Banque Mondiale appelés à disparaître avec la mise en oeuvre du projet de lotissement. (Ph: Le Point Sur)

CIV-lepointsur.com (Abidjan, le 4-6-2016) Des cacaoyers avec leurs cabosses coupés, des planteurs en larmes et des populations partagées entre colère et indignation. Voilà la triste scène qu’il nous a été donné de constater il y a quelques jours dans la zone du Sud-ouest ivoirien. Les faits se passent à Méagui, ville située à une cinquantaine de kilomètres  de Soubré, chef-lieu de la région de la Nawa. A l’origine de cette atmosphère délétère, la réalisation d’un nouveau lotissement dénommé Cité Kouassi Lenoir, du nom de l’ancien préfet du département de Méagui, aujourd’hui à la retraite.

Un lotissement à problème, des accords aux forceps

Méagui, bourgade d’environ 322 000 âmes, s’agrandit.  Mais son extension ne va pas sans créer des problèmes. Même si les autorités préfectorales et municipales feignent d’ignorer les mécontentements que suscite le lotissement en cours, force est de reconnaître qu’il y a problème. Et nous avons pu nous en rendre compte lors de notre séjour dans cette cité.

Les Planteurs (occupants les parcelles concernées) et certains propriétaires terriens s’accordent à dire que ce projet vise purement et simplement à les exproprier leurs plantations pour les premiers, et leur patrimoine foncier  pour les seconds. Pourtant, à en croire le Secrétaire Général de préfecture,  Préfet par intérim de Méagui, Fofana Lenekpho, il n’en est rien dans la mesure où « les lotissements en cours ont été menés dans les règles de l’art ». Si tel est véritablement le cas, alors pourquoi tant de grincements de dents ?

Pour mieux comprendre, nous entrons en contact avec les planteurs qui acceptent de nous rencontrer le lendemain de notre arrivée à Méagui, le vendredi 23 juin 2016. Ceux-ci expliquent que c’est à leur grand étonnement qu’ils ont aperçu en novembre 2013, des personnes équipées de matériels de bornage dans leurs plantations situés à environ 1 kilomètre de la ville, précisément sur le domaine foncier du village de Touadji 2.

Renseignement pris, selon les paysans, il s’agirait d’un projet de lotissement. Ce que confirmera plus tard, courant 2014, Tossa Dia André, 3ème Adjoint au Maire, chargé du domaine. Cependant, marquant leur opposition à la procédure qu’ils trouvent viciée, les planteurs saisissent le Préfet d’alors, Kouassi Lenoir qui convoque une réunion avec toutes les parties.

Mais, aux dires des planteurs, cette réunion va accoucher d’une souris. Ce après quoi, il sera demandé aux occupants des parcelles concernées de se rendre dans leurs plantations le jour convenu pour qu’en présence des agents du ministère de l’agriculture et ceux de la mairie, chaque parcelle soit mesurée et évaluée en vue du dédommagement selon le barème adopté par le ministère de l’agriculture.

Dès lors, les choses vont s’accélérer avec une forte pression des autorités sur certains propriétaires fonciers qui se résignent, à leur corps défendant, à céder leurs  parcelles. Et cela pour éviter de tout perdre puisqu’il leur a été signifié que « personne ne peut arrêter ce lotissement ». C’est finalement en désespoir de cause que les derniers propriétaires terriens jusque-là réfractaires au projet pour des raisons déjà évoquées, apposent leur signature au bas des documents qui leurs sont présentés.Le témoignage de Gnoplou Wohi Edmond du village de Touadji 2 est assez éloquent : « le Préfet nous met la pression ».

Mise en cause, l’autorité administrative qui rejette tout en bloc, nous renvoie vers la mairie. « Le lotissement n’incombe pas à l’administration. C’est la mairie qui en est l’initiateur. D’ailleurs, le plan directeur d’urbanisme de Méagui n’était pas bien fait. Il a même été repris par le Conseil régional de la Nawa et est en cours d’approbation. C’est tout ce que nous pouvons vous dire. Pour les détails adressez-vous à la Mairie ou au géomètre », confie le Préfet par intérim.

De son côté, la Mairie ne manque pas d’arguments pour se défendre. Joint au téléphone pour obtenir un rendez-vous, Tossa Dia André, 3è adjoint au Maire s’énerve dans un premier temps : « Pour le développement, pensez-vous qu’il  est obligé qu’ils (les planteurs occupants la parcelle, Ndrl) soient d’accord ? Eux, ils viennent d’où ? On veut développer la ville de Méagui et ils ne sont pas d’accord alors que chez eux est développé ? », martèle-t-il.

Avant d’ajouter : « Ce n’est pas le maire qui veut faire son champ de riz mais il s’agit de développer notre ville. Et rien ne peut arrêter le développement (…). Nous sommes arrivés à un point où la ville doit se développer. Nous avons déjà fait le plan qui a été approuvé par le ministre de la construction. Nous mettons ce plan en application ». Mais sous notre insistance à comprendre ce qui ne va pas, il accepte de nous recevoir dans les locaux de la mairie dans l’après-midi du vendredi 24 juin 2016. Tout en faisant la genèse de ce lotissement, l’adjoint au maire reconnait qu’ « il y a des gens qui ne sont pas d’accord », mais il s’agirait, selon lui, d’un nombre insignifiant.

Cependant, ajoute-t-il, le bien-fondé de l’opération leur a été expliqué non seulement par la Mairie, mais aussi par les agents de l’Onuci à qui les planteurs ont fait appel. «  C’est un projet de développement. Il s’agit de doter la ville de Méagui d’infrastructures dignes d’une ville. C’est-à-dire un complexe sportif, des locaux pour la préfecture et la sous-préfecture, un commissariat de police et surtout d’un lycée municipal qui fait défaut à la ville, etc.», se veut convainquant l’adjoint au Maire.

Et celui-ci de mentionner que toutes les procédures en la matière ont été respectées. Mieux, toutes les parties (propriétaires terriens, occupants, chefferie villageoise, chef canton et autorités administratives)  ont été associées aux négociations. « Mais, malheureusement, on ne peut pas satisfaire tout le monde. », regrette-t-il, notant qu’ils sont à ce jour 2 ou 3 planteurs qui feraient encore de la résistance.

Quel dédommagement pour les planteurs ?

En réalité, contrairement à ce qu’affirme le conseiller municipal, ils sont plusieurs planteurs, environ 50, qui s’inquiètent du sort qui leur est réservé par les autorités de la ville. «  Une fois loti, les gens achètent les lots. Et au lieu de construire des maisons, ils mettent de l’engrais autour des cacaoyers trouvés sur place pour ensuite récolter les produits pour propres poches. Le planteur perd sa plantation et se retrouve à la rue pendant que d’autres jouissent du fruit de son labeur  », déplore Lassana Compaoré, propriétaire de 13 hectares de cacao.

Pour le dédommagement, Tossa André indique qu’il y a deux modes de dédommagement : le numéraire et la compensation en lots. Selon lui, c’est la deuxième option qui a été retenue bien que les agents du ministère de l’Agriculture aient procéder à l’expertise en vue de l’évaluation des plantations. Mais pour un problème budgétaire au niveau de la mairie  qui ne dispose pas de gros moyens, le dédommagement en lots est la solution préconisée.

Cela revient à concéder « 2 lots au propriétaire terrien, 3 lots à l’occupant de la parcelle, 3 lots au géomètre et 2 lots à la mairie sur les 10 lots obtenus à l’hectare après lotissement ». Une décision qui n’est pas du goût des planteurs qui espèrent un dédommagement plus conséquent et proportionnel au dommage qu’ils subissent.

Grande menace sur la production cacaoyère

Une voie tracée par les agents du lotissement après avoir  coupé les cacaoyers

Une voie tracée par les agents du lotissement après avoir coupé les cacaoyers.

Ce sont environ 500 hectares de cacao en grande partie et aussi d’hévéa allant sur une distance de 3 km de la ville qui sont en train d’être détruits dans le cadre de ce lotissement. « On est parti d’un arrêté pris par le préfet d’alors qui stipule que le cercle de 3 kilomètres aux alentours de la ville est considéré comme un domaine de développement», souligne le préfet par intérim.

Ceci étant, si plus de 500 hectares de cacao doivent être détruits, il va s’en dire qu’il y aura indéniablement une baisse de la production. Ce faisant, il n’est pas à exclure que cette zone de forte production qui est à juste titre appelée ‘’la nouvelle boucle du cacao’’, perde son rang. Et corrélativement la production nationale pourrait connaitre une baisse considérable.

Aussi, les conséquences dommageables de ce lotissement sont-elles multiformes. En plus de la baisse de la production, ce lotissement s’attaque à la phase expérimentale d’un programme de rajeunissement des plantations de cacao dans le sud-ouest initié par leConseil café-cacao avec le soutien de la Banque mondiale.

Pendant que nous étions en entretien avec les planteurs dans le campement de Doyen-Broukro à 3 km de Méagui, où des personnes du 3è âge, leurs femmes et leurs enfants réunis faisait le deuil à l’annonce de la destruction de leurs plantations, nous apprenions par un des leurs que le géomètre et ses collaborateurs étaient sur les lieux pour poursuivre leur travail de tracer des layons.

Rapidement, nous nous déportons  dans les plantations pour constater de plus près. Et grande fut notre surprise, munis de machettes et d’autres objets tranchants, des personnes commis à cette tâche coupaient des plants de cacao sans ménagement. Zongo Issouf, géomètre-topographe et chef d’équipe n’a pas la langue de bois : « nous n’avons pas d’autres choix que de couper. C’est ainsi que ça se passe partout. Même la ville de Méagui était le champ de quelqu’un », lâche-t-il avant de se disculper. « Nous ne sommes que des exécutants. C’est la mairie qui fait le lotissement et nous avons un contrat avec elle. », conclut-il en montrant le plan du lotissement.

A quelques mètres de là, M. Yao, propriétaire de 32 hectares de cacao nous montre des plants de cacao greffés. « Ce cacaoyer et tous ceux que vous voyez sur cette espace ont été greffés et en 6 mois seulement, ils produisent jusqu’à 30 cabosses par plant. C’est le Conseil café-cacao et la banque mondiale qui ont initié ce programme pour le rajeunissement de nos plantations et l’accroissement de la production. Mais, ils sont en train de les  détruire », explique-t-il la mort dans l’âme.

Plusieurs familles livrées à la misère

Ce lotissement, il faut l’avouer, est lourd de conséquences collatérales pour les planteurs et leurs familles. Comment  et avec quoi vont pouvoir vivre des pères de famille qui ont consacré pour la plupart plus de trente années de leur vie(ils sont pour la plupart depuis les années 80) à la culture cacao dans ces plantations et qui n’ont que ça comme source de revenu ? Tel est le cri du cœur de Lassana Compaoré.

« C’est avec nos champs que nous subvenons à tous nos besoins y compris la scolarisation de nos enfants », relève-t-il. Et ce planteur de toucher du doigtla menace qui plane sur leur tête comme une épée de Damoclès « Des opérateurs économiques nous ont donné de l’engrain et des produits phytosanitaires à crédit que nous devons rembourser après la récolte. Aujourd’hui, les gens sont en train de couper nos plantations pour planter des bornes. Comment allons-nous pouvoir rembourser nos dettes. En plus de la misère, c’est la prison qui nous guette », se lamente-t-il

Devant cette situation, et impuissant face aux autorités déterminées à aller au bout de leur projet, peu importe les conséquences pour les planteurs, ceux-ci implorent l’aide du chef de l’Etat, Alassane Ouattara. « Nous demandons l’aide du Président de la République. Parce que si on nous arrache nos plantations, nous allons nous retrouver dans les rues avec nos familles», lancent-ils en guise de S.O.S.

Vivement que les autorités compétentes jettent un regard sur ce qui se passe à Méagui car le feu couve et les risques d’un débordement sont réels. Et cela, parce que les planteurs n’entendent pas rester les bras croisés devant la destruction de leur gagne-pain.

Sébastien Laba, correspondant régional

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