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[Maroc] Un « nouveau modèle de développement » pour libérer le potentiel de croissance


Abidjan, le 07-09-2021 (lepointsur.com) Un « Big Bang » social et fiscal est à l’étude pour doubler le revenu national brut à l’horizon 2035 et ainsi doper l’économie du pays

Les élections législatives ont lieu ce mercredi 8 septembre. Elles décideront du futur gouvernement. Des investissements publics massifs, un écosystème industriel en plein essor, une économie résiliente : sur le papier, le Maroc a tout pour se hisser en tête des pays émergents. Mais les chiffres de la croissance (entre 5,5 % et 5,8 % en 2021) ne sont pas à la hauteur des attentes. La faute en partie aux dysfonctionnements du système éducatif, et au poids des inégalités sociales.

Tanger, la frondeuse ville du Détroit, qui a fasciné des générations d’écrivains, est la vitrine et le symbole des transformations économiques du Maroc. Délaissée et marginalisée par Hassan II, la cité a fait l’objet de toutes les attentions après l’avènement en 1999 de son fils, Mohammed VI. Création d’une zone franche et d’un gigantesque port en eaux profondes sur la Méditerranée (Tanger Med), autoroutes, TGV (le pays est, depuis 2019, le seul d’Afrique à disposer d’un réseau de lignes à grande vitesse) : en un peu plus d’une décennie, la région de Tanger est devenue un hub logistique et industriel de première importance entre l’Europe et l’Afrique.

L’arrivée de Renault a permis également au secteur automobile de prendre son essor. Celle de Peugeot-Citroën, installé à Kenitra, à une cinquantaine de kilomètres au nord de la capitale, Rabat, a confirmé l’attractivité du Royaume. 700 000 véhicules sortent annuellement des usines de montage. 85 % sont exportés. L’aéronautique n’est pas en reste : embryonnaire au début du millénaire, le secteur contribue, pour plus de 1,5 milliard d’euros, aux exportations marocaines, celles à destination de la France étant en constante augmentation (voir tableau ci-dessous). Les principaux constructeurs (Boeing, EADS, Safran) y ont implanté leurs usines.

Confrontée à un choc d’une exceptionnelle intensité avec la crise de la Covid-19 et le confinement drastique qui s’en est suivi – il a été levé seulement à la fin de l’été 2020 -, l’économie s’est rapidement redressée. « Le Royaume du Maroc a démontré une réactivité remarquable face à la crise », souligne d’ailleurs le cabinet Deloitte dans une note de juillet 2021. Le pays, qui compte près de 37 millions d’habitants, affichera une croissance comprise entre 5,5 % et 5,8 % en 2021. La volonté des industriels européens de réduire leur dépendance envers la Chine et de relocaliser leurs productions à la périphérie de l’UE peut offrir de belles opportunités au Royaume chérifien. L’Afrique est un autre débouché prometteur. Depuis deux décennies, il est investi méthodiquement par les grands groupes du pays : Attijariwafabank, présent maintenant dans quinze pays du continent, l’OCP, le géant des phosphates (seize pays), ou encore Maroc Télécom (dix pays), qui vient de réunir ses filiales sous une seule et même marque : Moov Africa.

Paradoxe. Ces succès indéniables, auxquels on peut ajouter ceux obtenus dans le domaine de l’offshoring, ou le tourisme (13 millions de visiteurs en 2019, deux fois et demi plus qu’il y a quinze ans), n’ont pourtant pas eu l’effet escompté en termes de croissance. « En dépit d’un taux d’investissement parmi les plus élevés au monde, de l’ordre de 25 à 28 % du PIB, qui le situe juste après la Chine, le Maroc reste sur une croissance comprise entre 3 et 3,5 % sur la dernière décennie », observe un économiste qui a participé à la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD), instituée par le souverain en décembre 2019. Présidée par l’ambassadeur du Maroc à Paris, Chakib Benmoussa, celle-ci avait pour objet de se pencher sur ce paradoxe : malgré des atouts indiscutables et le volontarisme pro business des autorités, qui ont aligné les plans stratégiques, la fusée Maroc reste (un peu) coincée sur le pas de tir.

« Le pays coche pratiquement toutes les cases de la bonne gouvernance économique, poursuit notre source. Un équilibre macroéconomique exemplaire, un taux de change stable, un secteur financier robuste, des infrastructures de classe mondiale, des filières exportatrices performantes, un cadre des affaires qui a été grandement réformé, puisqu’en dix ans, le ranking du pays s’est amélioré de 75 places au classement Doing Business ». Le poids du secteur agricole, qui représente 13 % du PIB mais emploie un tiers de la population active, et qui demeure soumis aux variations saisonnières, n’explique pas tout. Économistes et sociologues attribuent aussi la non-accélération de la croissance à deux facteurs qui se recoupent : le poids des inégalités – la fameuse « polarisation sociale », notion développée par Youssef Saâdani – et la faiblesse du capital humain, qui trouve son origine dans les dysfonctionnements du système éducatif.

C’est l’autre paradoxe marocain. Le pays s’enorgueillit, à juste raison, de son élite, brillante et sophistiquée, formée dans les meilleures universités françaises ou américaines. Mais la base ne suit pas. La massification de l’enseignement, opérée au début des années 2000, s’est accompagnée d’un décrochage en termes de niveau. Les performances des élèves marocains aux tests PISA en mathématiques les classent au 75e rang, sur 79, alors que les élèves turcs par exemple, se situent au même niveau que les Français. La conséquence qui en découle est une pénurie de compétences, notamment au niveau des cadres moyens, qui renchérit le niveau des salaires et bride le potentiel de croissance de l’économie.

Une autre barrière, plus subtile, identifiée par le rapport de la Commission sur le nouveau modèle de développement, est la faiblesse de la « dynamique entrepreneuriale ». Le Maroc compte environ 5 000 entreprises exportatrices, un chiffre stable depuis deux décennies, alors que la Turquie, qui a enregistré une croissance moyenne deux fois plus élevée que le Maroc, en compte 45 000, un chiffre qui a doublé en dix ans. Les meilleurs talents sont aspirés par la haute administration et les grandes entreprises, où ils s’épanouissent, et se détournent de l’initiative privée…

« Big Bang ». La CSMD a rendu ses conclusions au roi Mohammed VI le 25 mai dernier. Ses travaux ont le mérite de poser un diagnostic sans concession et de proposer un ensemble de solutions auxquelles l’ensemble des partis en lice pour les élections législatives du 8 septembre ont souscrit. Elles prévoient notamment une réforme fiscale et des transferts massifs, de l’ordre de 4 % du PIB en année pleine, vers les secteurs de l’enseignement et de la santé. Un « Big Bang » social et fiscal assorti de réformes visant à libérer l’économie pour briser les goulets d’étranglement de la croissance. Ambitieux, les auteurs du rapport estiment que leurs recommandations, si elles sont mises en œuvre, pourraient permettre de doubler le revenu national à l’horizon 2035.

Le Royaume du Maroc s’apprête à voter ce mercredi 8 Septembre lors d’élections générales qui regroupent pour la première fois les scrutins législatifs, régionaux, et locaux.

Ces troisièmes élections depuis le « printemps arabe » et la réforme constitutionnelle de 2011 qui a redistribué les pouvoirs entre le Palais Royal et l’exécutif se tiennent malgré les contraintes liées à la pandémie et revêtent une importance particulière alors que les rapports de force dans la région sont en train d’évoluer de manière substantielle, notamment entre le Maroc et l’Algérie.

Depuis un mois, le monde a les yeux rivés sur l’Afghanistan, vivant au rythme de la reprise en main du pays par les talibans et du désengagement américain, emblématique d’un changement de doctrine radical de l’oncle Sam. Pourtant, aux portes de l’Europe, se déroule une reconfiguration géopolitique essentielle, dont l’un des moments importants sera l’élection générale qui se déroulera au Maroc le 8 septembre prochain, alors même que le Maghreb connaît de grands changements.

Le Maroc est en effet considéré par de nombreux analystes comme le pays ayant su résister le mieux à la pandémie, se classant en tête du podium africain en matière de vaccination – plus de 60% de sa population cible à date a reçu au moins une dose – et ayant réussi à mobiliser lors des deux années écoulées des moyens considérables pour sa reprise économique, tout en déployant un filet de sécurité géant pour les populations les plus fragiles. Sur le plan industriel, le Royaume Chérifien, qui a misé depuis le milieu des années 2000 sur la production automobile notamment, a vu ses exportations bondir et devrait franchir le cap symbolique des 10 milliards de dollars de valeur à l’horizon 2023 avec près de 700 000 mille véhicules produits par an. Comme le note le géant américain Deloitte dans son dernier rapport consacré au Maroc, sorti en Août 2021 : « Le Royaume a pu réorganiser le tissu productif pour faire barrage aux vagues de contaminations, tout en déployant des mesures importantes destinées à servir d’amortisseur économique au choc social important induit par les mesures de confinement. Le pays a également capitalisé sur cette crise afin d’engager des réformes fondamentales, telle la généralisation de la protection sociale, lancée au printemps 2021 ainsi que la digitalisation progressive des services publics ».

Mais c’est sur plan diplomatique que les années 2020 et 2021 ont certainement connu le plus d’évolutions, contribuant à une hausse des tensions avec l’Algérie voisine, qui a conduit cette dernière à rompre de manière unilatérale ses relations diplomatiques avec le Maroc le 24 août dernier.

Aux origines de cette décision, plusieurs facteurs à prendre en compte. En premier lieu, la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental en décembre 2020. Considéré comme l’un des conflits de basse intensité les plus anciens au monde, le différend sur le Sahara Occidental oppose le Maroc, qui administre ce territoire en grande majorité désertique au sud du Royaume, et le Front Polisario, soutenu politiquement, financièrement et militairement par l’Algérie. Reconnu que par une dizaine de pays, le Front Polisario  revendique l’organisation d’un référendum d’autodétermination au Sahara Occidental, là où le Maroc propose une large autonomie pour ce territoire depuis 2007. En second lieu, la reprise des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël, un pays où vivent près de 700 000 juifs originaires du Royaume Chérifien, a accentué les tensions entre les deux pays. Plus récemment, une initiative du représentant du Maroc aux Nations Unies, visant à soutenir le mouvement autonomiste en Kabylie a fait office de « Casus Belli » pour l’Algérie, conduisant cette dernière à rompre ses relations avec son voisin, avec lequel les frontières terrestres sont fermées depuis le milieu des années 90, malgré les nombreux appels de Rabat à les rouvrir.

Au-delà de ces éléments, le scrutin organisé par le Maroc le 8 Septembre, pour lequel ont été déployé près de 4500 observateurs nationaux et étrangers, illustre une différence fondamentale de trajectoire pour les deux frères ennemis du Maghreb. D’un côté, un Maroc offensif sur le plan diplomatique, industriel et économique, qui se rêve en futur « dragon » africain, mais qui souffre encore de polarisation sociale et de fortes disparités de revenus. De l’autre, une puissance pétrolière et gazière dument affectée par la chute du prix du baril depuis 2014 et dont le contexte politique est encore fragile suite aux mouvements de révolte du « Hirak » qui ont conduit à la chute de l’ancien Président Abdelaziz Bouteflika début 2019. Comme le note la spécialiste du Maghreb et chercheuse allemande Isabelle Werenfels dans un entretien au journal Le Monde « Ces dernières années, c’est le Maroc qui a marqué des points. Non seulement, le royaume a remporté d’importants succès économiques, politiques, diplomatiques (diplomatie religieuse, régularisation de migrants subsahariens, participation à la COP 22, etc.), en Afrique subsaharienne et sur la scène internationale. Mais il a aussi très bien su les vendre. »

Dans ce contexte, la tenue du scrutin marocain en temps et heure malgré le contexte épidémique, ainsi que la probable mise en place d’un gouvernement de large coalition quel que soit le parti politique arrivé en tête de ces dernières, constitue sans doute un signal de l’installation durable du Maroc comme le pays disposant des atouts les plus importants pour être le socle de la stabilité et de la sécurité dans une région encore tourmentée.

Médard KOFFI

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