Contribution

L’éthique et la responsabilité de l’agent public de Côte d’Ivoire


L’éthique est une matière transversale à tous les domaines. Mais au cœur des débats sur le comportement  des agents dans les administrations publiques africaines et en Côte d’Ivoire en particulier, la notion de l’éthique est de plus en plus récurrente. L’opinion publique manifeste souvent sa désapprobation  d’un certain nombre de faits, de situations, de décisions, de comportements. L’opinion, en effet évoque, même pour des actes légaux, la violation de « son éthique ». Une question fondamentale est : comment expliquer existence de tant de comportements non éthiques dans l’administration ivoirienne ? Et quelles solutions pour réduire les déviations comportementales auxquelles nous assistons toujours ?

Répondre à de telles préoccupations n’est pas toujours aisé dans un monde où parler d’éthique n’est pas un fait coutumier. Aussi, la notion d’éthique même, si certains penseurs cherchent à l’universaliser, demeure plus relative encore au regard des us, coutumes et cultures de chaque pays. Cela se justifie bien par la définition conceptuelle de Denis MAUGENEST, Sj que nous allons emprunter comme postulat, de son ouvrage les cahiers du CERAP intitulé « Gouverner la violence : société civile et société politique »2005 où il écrit : « l’Éthique est l’art de se conduire, de diriger sa conduite au milieu de l’ensemble des mœurs, coutumes et événements divers qui surgissent et troublent la tranquillité habituelle des choses. Elle suppose aussi un jugement sur ce qu’il y a lieu de faire dans des circonstances données de temps et de lieu : que faut-il pour que la gouvernance soit bonne et non mauvaise ? Quelle soit une réussite et non un échec ? Pour quelle atteigne son objectif qui est de permettre à la société de vivre et de prospérer en paix ? Elle suppose une science et un art de la décision particulière qu’il y a lieu de prendre ici et maintenant, dans les circonstances particulières de lieu et de temps qui doivent être appréciés comme il convient. »

Partant de ce qui précède, nous allons dans un premier temps, expliquer qui est l’agent public et sa responsabilité, ensuite mettre en évidence les comportements non-éthiques quotidiens mais qui sont érigés en normes dans certains secteurs de l’administration publique ivoiriennes et en fin proposer des solutions comme aide à la décision.

I-     L’Agent public et sa responsabilité

A-  Qui est l’agent public ?

 Un agent public est un individu qui assume une responsabilité au sein d’une administration publique ou parapublique pour le compte de la communauté. Il est évident qu’il n’est pas possible dans une nation normalement constituée que chaque membre de cette communauté à son niveau  agisse pour son propre compte pour élaborer un document administratif ou de se construire une route, de se bâtir une école ou un hôpital. Ce serait une anarchie. On se croirait dans un monde imaginaire. Pour cela, la population se choisit des représentants à chaque niveau de la collectivité et qui agit en son nom.

Ainsi, par la voie électorale, les élus sont choisis pour représenter et agir au nom de la population. Les agents publics eux aussi sont choisis soit par voie de concours ou de recrutement conformément à la loi en vigueur pour représenter la population dans les services de l’administration dans lesquels ils travaillent. En somme, chaque agent public exerce sa mission par délégation de pouvoir reçu de la population. C’est ce qui fait du service public un service différent de l’entreprise privée. Dans le dernier cas, l’entreprise privée sert les intérêts d’un individu ou un groupe d’individus qui se mettent ensemble pour créer de la richesse pour leur propre compte. A ce niveau, toute personne travaillant dans une entreprise privée reçoit un salaire et rend compte à son employeur. Dans le cas du service public, l’agent reçoit son pouvoir du peuple et agit en son nom pour le bien de la collectivité. Le service public est un service en vue du bien collectif. Du coup, cela pose de problème de la responsabilité de l’agent public. Quelles sont ses responsabilités et devant qui est-il responsable ?

 B-  Quelles sont les responsabilités  d’un agent public ?

 Il est bon de le rappeler, l’agent public exerce son service pour le compte de la population de qui il détient le pouvoir. Autrement dit, l’agent public exerce son pouvoir par la voie de la délégation de pouvoir. Or qui reçoit un pouvoir par délégation n’en est pas le véritable détenteur. Il en use seulement parce que le détenteur légal le lui autorise. Du coup, le délégué est responsable devant le détenteur légal à qui il rend compte.

En définitive, l’agent public travaille pour le compte de la population qui est l’usager du service qu’il assure. Permettez-moi de partir de quelques exemples pour mieux étayer mes propos. Lorsqu’un individu alpha se rend dans une mairie pour ce faire établir un extrait d’acte de naissance, les agents publics de la mairie devraient l’établir sans aucune autre forme de procédure. Sans vouloir anticiper sur les comportements non-éthiques, l’usager est souvent confronté au refus des agents sous prétexte qu’il doive d’abord payer autre chose qu’un simple timbre d’Etat. La question qui vient vite à l’esprit est : quelle est cette société dont les agents travaillent-t-ils contre les intérêts des propriétaires ? Serions dans un cas de conflit d’intérêt ? Un conflit d’intérêt est une situation dans laquelle l’employé voit ses intérêts personnels opposés aux intérêts de la société dans laquelle il travaille et qui l’empêche de discerner avec objectivité la portée de ses décisions en faveur de sa société.

Les agents agissent certainement comme ils le fond pour deux raisons :

1- il n’y a pas de cadre référentiel d’éthique dans nos administrations publiques et donc la voie est ouverte à toute sorte de déviations comportementales.

2- les agents publics ivoiriens ont une représentation idéologique erronée du service public car ils ignorent pour la plupart de qui ils détiennent le pouvoir et ce que signifie « service public ».

Aujourd’hui, nous allons nous limiter à la présentation de quelques cas de comportements non-éthiques sont observés dans les administrations ivoiriennes. Un autre article portera sur l’explication socioculturelle de ces comportements.

II-         Les comportements non-éthiques dans l’administration publique ivoirienne

 Au nombre des quelques comportements non-éthiques que nous voulons relever dans l’administration ivoirienne, sont de deux catégories. Premièrement, les comportements que nous qualifions de comportements évidents. Ce sont les risques éthiques universellement reconnus. Tout le monde au regard de ses faits et gestes peuvent déduire immédiatement que nous sommes dans un cas de comportement non-éthique. Deuxièmement, les comportements que nous appelons les comportements subtils sont des comportements qui sont non-éthiques et qui sont rentrés dans nos mœurs au point où en face de ces cas, l’opinion est tolérante et choquée quand ceux-ci sont dénoncés.

A-  les comportements non-éthiques évidents

Les comportements non-éthiques évidents dans l’administration ivoirienne sont par exemple la corruption et les paiements de facilitation. La corruption c’est le fait d’accepter ou proposer des paiements en espèces ou des services (y compris les cadeaux et invitations) à des usagers en contrepartie de sa prestation de service; ou d’accepter ou proposer en toute connaissance de cause de tels paiements par le biais de tiers. Aujourd’hui, en Côte d’ivoire, ce phénomène fait couler beaucoup d’encre. Rien qu’à regarder le rapport de l’organisation non gouvernemental Transparency international, avec le recul de la Côte d’ivoire pour cette année, pour ce rendre compte de l’évidence de ce risque éthique. Si des chartes d’éthique sont rédigées ça et là dans les administrations publiques, c’est justement à cause de la corruption. Tout le monde le sait bien, elle n’est nullement profitable aux communautés dans laquelle elle est pratiquée et représente un coût pour les entreprises. Les pots-de-vin sont une forme de corruption et sont illégaux dans la plupart des pays particulièrement lorsque  des agents publics sont impliqués.

On peut parler aussi des détournements de denier public ou des actifs de l’administration publique. Un bel exemple s’est illustré dans les services de santé publique lors de la gratuité des sois. Des agents de santé se sont fait prendre pour détournement et vente illégale de médicaments destinés aux soins gratuits. Dans les services de soin de santé, à la maternité par exemple, le comportement de certaines sages-femmes (sans parler de toutes ces braves femmes qui connaissent l’importance de la vie d’autrui et qui s’occupent des femmes en travail) qui crient et injurient les pauvres femmes qui ont juste besoin d’aide pour donner naissances dans les mains de supposées spécialistes de la question d’accouchement.

Des cas de comportements moins évidents mais pas subtils que sont par exemple, le non respect de la diversité. Dans certains recrutements à la fonction publique, on a fait face à des recrutements liés aux partis politiques, aux régions de provenance, aux ethnies etc. Il y a encore en Côte d’Ivoire des corps de métier réservés aux hommes (la gendarmerie) ou des métiers qui sont devenus métiers pour femme (le métier de secrétaire) ou des métiers qui sont sans le savoir entrain de devenir des métiers pour femme (Instituteur).

Il y a aussi le cas de la passation des marchés publics. La sélection des fournisseurs sur la base d’appel d’offres ouverts et concurrentiels n’est pas souvent encouragé.

Nous ne saurons clore ce chapitre sans faire un tour d’horizon dans le domaine de la fiscalité. A ce niveau, l’on sait aujourd’hui comment la mobilisation des ressources fiscales se fait. Des déclarations mal faites ou pas du tout faites parce que les contrôleurs ne jouent pas le rôle qui est le leur. Les entreprises fraudent au vu et au su de tous. Mais permettez-moi de dire un mot sur les impôts et les taxes. Ce sont des ressources que les contribuables et tous les citoyens, par le biais des achats effectués en montant TTC, mettent à la disposition de l’Etat pour son fonctionnement et ses investissements. Alors, ne pas déclarer ou même ne pas bien le faire est un vol qui ne dit pas son nom. Cette somme non déclarée profite aux entreprises qui n’ont rien fait pour en disposer.

         Les cas de comportements cités ne sont que des exemples pour permettre au lecteur de se faire lui-même une idée de ce dont nous voulons parler et encourager la réflexion. Nous allons également relever quelques exemples de comportements non-éthiques subtils.

B-  les comportements non-éthiques subtils

Dans l’administration publique ivoirienne, il y a des cas de déviations comportementales qui lorsqu’elles sont exprimées ne choquent pas le profane. Il est plutôt choqué que lorsque ces déviations sont dénoncées.

Le premier cas qui nous vient à l’esprit est le détournement de dernier public par un élu. Lorsqu’un élu a train de vie qui dépasse de loin celui du commun des mortels, personne ne s’en pleins au contraire, il est adulé et tout le mode voudrait même être ou vivre comme lui. C’est seulement lorsque ce dernier est rattrapé par la justice, que ses partisans politiques  ou les gens de sa région crient au complot.

Il ya aussi l’usage du pouvoir des agents de la police. Un policier, dans le cadre de sa mission, peut abuser de son pouvoir et personne ne réagira. Il est celui du coté de qui se trouve la loi. Ce que le profane ignore c’est que la loi donne des restrictions à l’agent de la police.

Il y a également l’usage des actifs des administrations publiques : les véhicules de services, le téléphone, les bâtiments publics, l’électricité, l’eau, le temps de travail. Tout est gaspillé ou mal utilisé. Il y a même une expression dit : « c’est l’Etat qui paie ».

Tous ces comportements dans l’administration publique ont un coût. Si l’Etat, au lieu de construire de nouvelles routes, utilise le denier public pour régler des factures d’électricité ou d’eau à coût de milliards parce que des agents malveillants ont préféré laisser les lampes allumées quand il n’était pas nécessaire ou encore laisser couler l’eau parce que c’est l’Etat qui paie ; si au lieu de construire des nouvelles infrastructures, l’Etat passe son temps à réparer celles qui ont été détruites au cours des dernières grèves ou manifestations de mécontentement de syndicats ; nous constatons tous qu’aucun développement n’est possible dans un tel environnement où trop de risques éthiques qui coûtent à l’Etat. Face à cette situation, quelles solutions envisagées pour une amélioration de l’environnement de l’action publique au plan comportemental ?

III-       Une contribution à la décision

Les solutions que nous proposons ici sont de trois ordres mais intimement liées. Ainsi, une administration qui n’a pas de référentiel d’éthique, ouvre la voie à toute sortes de dévires. C’est pourquoi, il faut dans un premier temps élaborer une charte d’éthique et un code de déontologie ensuite, procéder à la divulgation par la formation des agents et enfin, évaluer périodiquement les comportements des agents pour corriger les insuffisances éventuelles.

A-  L’élaboration de cadre de référentiels d’éthique dans les administrations

L’élaboration d’un cadre de référentiel d’éthique est l’élaboration d’un certains nombre de principes éthiques sous la forme d’une charte d’éthique et un code de déontologie comme document de référence.

 La crédibilité d’une charte est fonction des engagements quantifiables qui y sont pris. Il convient donc avant tout de s’interroger sur ses objectifs : pourquoi une charte? Quels domaines de l’organisation doivent être concernés par l’éthique? Quels principes veut-on formaliser? Le respect des citoyens? Le respect des collègues? La responsabilité sociale des agents? Il s’agit ensuite de s’engager à des résultats concrets.

Pour qu’une charte reflète fidèlement les valeurs et l’identité des agents d’une administration donnée, elle ne doit pas émaner uniquement des consultants et des supérieurs hiérarchiques. Ceux-ci doivent jouer un rôle moteur dans le projet. Le document final doit être le fruit d’un brainstorming entre tous les acteurs de l’administration et un conseiller en Ethique. Ce travail commun de réflexion devrait permettre ainsi à chaque niveau de la hiérarchie de s’approprier vraiment les principes de la charte. Cela faciliterait la mise sur pied d’un comité d’éthique et de favoriser sa pérennité.

Aussi, le vocabulaire employé dans la charte et le code de déontologie doit être clair et simple et adapté à tous les niveaux  des agents de l’administration pour permettre une plus grande adhésion des acteurs. De même, il faudra éviter les formulations juridiques complexes, rassurantes pour la hiérarchie mais souvent incompréhensibles pour les agents sur le terrain.

B-  la divulgation des principes par la formation de l’agent public

Après l’élaboration de la charte d’éthique, il faut procéder forcement à la divulgation par la formation et non par un simple affichage. Cette formation se justifie par la conception de Paul Ricœur sur le principe d’éthique dite « réaliste » (« Real Ethics ») contrairement à l’éthique dite « normative » (« business ethics »).

L’éthique « réaliste » peut se résumer en trois points : positive, personnelle, pratique (l’éthique normative pouvant être définie par opposition).

L’éthique « réaliste » est :

–    positive car elle vise ce qu’il convient de faire et s’énonce sous forme de recommandations positives ;

–    personnelle parce que le principe et la finalité c’est l’être humain. L’idée qu’une institution peut être qualifiée d’éthique est erronée car seuls les individus sont capables d’un réel discernement et engagement éthique ;

–  pratique car elle débouche sur une sagesse pratique, une ressource vitale pouvant être pratiquée au quotidien par des professionnels. En tant que telle, elle vise un « vivre-ensemble » de qualité qui poursuit des objectifs tels que rechercher le bien commun…

C-  Le suivi et l’évaluation

L’évaluation est une démarche éthique essentielle. Les critères qu’elle retient et la manière de les appliquer révèlent des principes et des valeurs au cœur de la relation partenariale entre les acteurs de la société. Elle  indique les notions de succès et d’échec, de bon et de mauvais, de bien et de mal. Elle est une appréciation sur un travail accompli ou en cours, en vue de mesurer les écarts existant entre des objectifs visés et ceux réellement atteints. C’est une phase dans le processus d’action (et non la fin de l’action) qui permet de centrer les interventions afin d’accomplir ce qui avait été décidé. Dans cette perspective, l’évaluation repose sur la définition claire d’objectifs et d’indicateurs permettant de mesurer avec quelle précision ces objectifs sont atteints.

Ici, il est question d’observer deux indicateurs :

1-   l’effectivité du fonctionnement des comités d’éthique. les indicateurs portent sur le nombre de réunions, le fonctionnement, les agents ont-ils recours au comité en cas de risque éthique ou déontologique ? Y a-t’il eu des formations des autres membres ?

2-   le comportement, l’aptitude et la pratique des individus directement formés. Il s’agit de vérifier, un délai après la formation,   les indicateurs suivants :

–       Le comportement : l’éthique et la déontologie sont des principes de comportement donc toute personne ayant reçu une formation dans ce sens devrait  avoir   son comportement influencé;

–       L’Aptitude : ici l’aptitude fait référence à l’ensemble des connaissances acquises et le niveau de cette connaissance; est-elle partielle, basique, approfondie, excellente?;

–       La pratique : il s’agit de voir  comment est-ce que les agents publics appliquent les principes éthiques et déontologiques dans l’exercice de leurs missions.

L’objectif  à terme, est de corriger les erreurs et mesurer le taux de réussite de la mise en place du référentiel.

ZIGOLI GAHIE Clément

Conseiller en Ethique et Déontologie

de l’Action Publique

Enseignant vacataire à l’Université

Nangui-Abrogoua 

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