Les raisons cachées de la hausse des tarifs de l’électricité #CIV
Le conseil des ministres du 20 mai 2015 a décidé de réviser à la hausse le tarif de l’électricité à usage domestique. Avant cette décision, le prix du kilowattheure (kWh) était de 36,05 FCFA pour les consommations d’électricité inférieures à 80 kWh, et de 73,99 FCFA pour les consommations au-delà de 80 kWh.
Le gouvernement a motivé sa décision par trois raisons principales. D’abord, la hausse du prix de l’électricité est destinée à sauvegarder « l’équilibre précaire » des comptes de l’opérateur national d’électricité. Le déficit de ces dernières années s’est élevé à près de 200 milliards de FCFA. Le second argument avancé est la nécessité d’effectuer des investissements supplémentaires pour garantir la fourniture de l’électricité, notamment dans le monde rural. Enfin, rappelons que cette hausse des tarifs de l’électricité est une recommandation du FMI à l’Etat ivoirien dans le cadre de l’initiative pays pauvres très endettés (PPTE). Il est bon de rappeler aussi qu’à la suite de ce rapport, le tarif de l’électricité à usage industriel à augmenté de 10% en 2012 et le gouvernement avait trois ans pour appliquer cette hausse à l’ensemble des clients exceptés les clients bénéficiant de tarifs sociaux. Mais, peut-on donner plein crédit aux justifications du gouvernement ivoirien ?
Les bureaux de l’administration publique et les résidences universitaires sont réputés être des lieux de gaspillage d’électricité alors même que l’administration bénéficie de la gratuité
Plusieurs éléments laissent penser que ces déficits ne peuvent pas être seulement dus au tarif trop faible de l’électricité en Côte d’Ivoire. En effet, les pertes et les fraudes sur l’électricité entraînent d’énormes manques à gagner à la compagnie de gestion de l’électricité. En 2011 et en 2012, selon une enquête, de la Compagnie Ivoirienne d’Électricité (CIE), 1/3 des clients contrôlés étaient en situation de fraude. La fraude sur le réseau électrique ivoirien fait perdre plus de 40 milliards de FCFA par an à l’État de Côte d’Ivoire. À ces cas de fraudes, il faut aussi ajouter les réverbères allumés 24H/24 dans certains quartiers d’Abidjan et certaines villes de l’intérieur du pays. Cette situation entraîne un gaspillage d’énergie et des coûts supplémentaires pour les consommateurs. Par exemple, les bureaux de l’administration publique et les résidences universitaires sont réputés être des lieux de gaspillage d’électricité alors même que l’administration bénéficie de la gratuité.
En outre, l’on peut douter de l’un des arguments avancés par le gouvernement pour justifier la hausse du tarif de l’électricité, à savoir la nécessité d’effectuer des investissements pour garantir la fourniture de l’électricité. Car en ce qui concerne l’électrification rurale, il existe déjà une taxe pour contribuer à l’électrification rurale. Il n’y a jamais eu de bilan pour que le contribuable sache combien cette taxe rapporte et comment elle a été utilisée. À cette taxe, il faut en ajouter d’autres comme la taxe rémunératoire de l’enlèvement des ordures ménagères, la redevance RTI et les timbres d’État. Alors le gouvernement pourrait dire que le prix de l’électricité est sous-estimé, mais comment justifier l’intégration de toutes ces taxes alors que les usagers ne sont satisfaits ni de la qualité des services de la RTI ni de la qualité de l’enlèvement des ordures. L’existence de ces taxes n’est pas légitime au regard de la contrepartie fournie au citoyen et donc augmente artificiellement le prix de l’électricité. En ce qui concerne l’investissement pour la production de l’électricité, il existe d’autres outils comme le partenariat public-privé déjà utilisé dans le secteur des infrastructures routières qui peuvent être utilisés à la place de l’augmentation du tarif.
L’absence de concurrence maintient les prix à un niveau qui oblige le gouvernement à subventionner le prix de l’électricité
Par ailleurs, il est important de ne pas perdre de vue les problèmes de gouvernance. Le gouvernement attribue l’équilibre financier précaire au faible niveau de tarification alors que la Côte d’Ivoire a le quatrième tarif le plus élevé de la CEDEAO en ce qui concerne l’électricité à usage domestique. Le gouvernement doit donc se pencher sur la gestion dans le secteur de l’électricité. Selon le rapport du FMI nº12/332, la gouvernance doit être améliorée dans ce secteur. Selon ce même rapport, le gouvernement ivoirien comptait réduire les coûts en prenant des mesures axées sur l’efficacité et en mettant en service de nouvelles centrales hydroélectriques et au gaz. Il n’y aucune raison de faire payer au consommateur les errances du gouvernement dans la gestion de ce secteur.
Quant au monopole étatique, en limitant l’offre d’électricité, il fait automatiquement augmenter le coût de revient. En situation de monopole, il n’y a aucune incitation à améliorer la gestion et à réduire les charges de production. L’absence de concurrents peut entraîner une gestion moins efficiente. Cette absence de concurrence maintient les prix à un niveau qui oblige le gouvernement à subventionner le prix de l’électricité. L’ouverture du marché à la concurrence permettrait d’avoir les vrais prix et permettrait aussi au gouvernement de faire des économies en arrêtant la subvention. Selon le gouvernement, 40% des 1.300.000 abonnés de la CIE bénéficiant de tarifs sociaux ne seraient pas concernés par cette augmentation. Mais il y a lieu de préciser que même s’ils ne sont pas directement touchés par la présente hausse, ils seront indirectement touchés s’il y a une hausse des prix des biens et services. D’aucuns pensent même que cette hausse n’est rien d’autre qu’une manière déguisée du gouvernement pour récupérer avec la main gauche la hausse des salaires des fonctionnaires consécutive au déblocage des salaires.
En somme, lorsqu’une entreprise a des problèmes de trésorerie, la hausse des prix apparait comme l’une des solutions. Mais vu l’importance stratégique de l’électricité dans l’économie et le niveau de pauvreté dans le pays, le gouvernement devrait s’attaquer d’abord aux vraies sources des déficits des comptes des structures de gestion de l’électricité avant d’envisager la hausse du prix de l’électricité. En effet, la lutte contre la fraude sur l’électricité et le gaspillage d’énergie, l’assainissement de la gouvernance, l’ouverture du secteur à la concurrence pour une offre plus abondante et un meilleure rapport qualité-prix, constituent des préalables de toute réforme, pour non seulement résoudre des problèmes de trésorerie, mais surtout faire du secteur de l’électricité un vecteur d’amélioration de la compétitivité et la productivité de l’économie ivoirienne.
Germain Kramo, Chercheur au CIRES, Côte d’Ivoire (Article publié en collaboration avec Libre Afrique)
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