Le putsch met le Burkina Faso face à ses déchirures #coup d’Etat
Abidjan, le 18-9-15 (lepointsur.com)-Pendant toute une nuit, une fiction rassurante a circulé au sujet du Burkina Faso : les militaires du RSP, le régiment de sécurité présidentielle chargé de la protection de l’ancien président Blaise Compaoré, renversé par la rue en octobre dernier après vingt-sept ans de pouvoir, n’avaient arrêté les responsables des autorités de transition que pour répondre à des préoccupations « corporatistes », par peur de voir leur unité dissoute.
Quelques heures plus tôt, peut-être cette crainte a-t-elle joué au sein de cette unité qui avait constitué la garde prétorienne de Blaise Compaoré, demeurée ultra-fidèle à son chef en exil, réfugié en Côte d’Ivoire, puis au Maroc, et qui serait de retour à Abidjan, pays voisin du Burkina Faso. Le RSP résistait ces jours derniers à une ultime tentative de démantèlement, certes, mais à présent, le risque s’est déplacé.
Dans la pire tradition des coups d’état en treillis, un militaire est venu lire à la télévision une déclaration soigneusement embrouillée, dont on retiendra que le président des autorités de transitions, Michel Kafando (qui n’est évidemment pas présent aux côtés du militaire) aurait « démissionné », tandis qu’un Comité national de la démocratie serait formé. On imagine sa composition, qui risque de rassembler de nombreux uniformes.
Gilbert Diendéré, nouvel homme fort
Comme l’avait annoncé Mobutu lors de son coup d’Etat de 1965 à Kinshasa (Congo démocratique) : « Ceci n’est pas un coup d’Etat. » Il avait fini par quitter le pouvoir, chassé par une rébellion. Son propre pays ne s’en est toujours pas complètement remis. Au Burkina Faso, c’est sans doute une ligne rouge de cette nature qui vient d’être franchie. Sauf si les militaires décident de revenir d’eux-mêmes dans leur caserne – ce qui s’est rarement vu –, deux hypothèses majeures se profilent à présent.
Premier scénario, les éléments fidèles à Blaise Compaoré s’emparent du pouvoir – et c’est d’ailleurs un de ses proches, Gilbert Diendéré, qui vient d’être désigné nouvel homme fort du pays –, pour tenter une « restauration » de l’ex-président, sous une forme ou une autre. Il y a tout à parier dans ce cas qu’ils auront à cœur de faire payer l’humiliation subie en octobre, lorsqu’un soulèvement l’avait chassé du pouvoir. Or ce n’est pas une chose que la partie du Burkina Faso qui était descendue dans la rue avec le sentiment de faire éclater une chape de plomb risque de prendre à la légère. Moins d’un an après ces manifestations, il y a tout lieu de redouter des affrontements.
Inversement, dans un second scénario, si ce projet devait tourner court, il y a de grandes chances que le pays soit déchiré : le parti de l’ex-président conserve des soutiens réels au sein de la population. En cas de déclenchement de violences, des heurts pourraient survenir dans de nombreux points du Burkina Faso.
Zoom arrière, retour à l’automne 1987. Blaise Compaoré, tout jeune président du Burkina Faso – il a 37 ans – est en fonction depuis seulement quatre jours. Dans un entretien au quotidien La Croix, publié le 4 novembre de cette année-là, le capitaine en tenue camouflage de parachutiste donne les raisons de son putsch et de l’assassinat, le 15 octobre, de son ancien mentor et compagnon de révolution panafricaniste et anti-impérialiste, Thomas Sankara. « Il n’était plus suivi par les organisations étudiantes » ; l’armée était « divisée » ; il ne tenait plus compte de « l’intérêt de l’immense majorité ».
Vingt-sept ans plus tard, Blaise Compaoré, 63 ans, a commis, dans un autre contexte, les mêmes erreurs. Lâché par les militaires et conspué par la rue à cause de sa volonté de se maintenir au pouvoir ad vitam æternam, le président a été contraint à la démission vendredi 31 octobre.
Les mises en garde, y compris dans son propre camp, s’étaient pourtant multipliées pour le dissuader d’entreprendre cette manœuvre qui allait lui être fatale. Après avoir longtemps entretenu le suspense – par calcul politique pour les uns, par « hésitation », selon un diplomate occidental –, Blaise Compaoré avait décidé, malgré cela, à la mi-octobre, de faire passer à la hussarde une réforme constitutionnelle qui lui aurait permis de briguer en 2015 un nouveau mandat présidentiel, le cinquième depuis 1987.
Peut-être parce que des sondages lui étaient défavorables, Blaise Compaoré avait opté pour la voie parlementaire plutôt que le référendum, négligeant ainsi les aspirations démocratiques de la population et de la jeunesse en particulier, au profit de petits arrangements entre partis. Le calcul, assez grossier pour un homme que l’on disait fin politique, a échoué.
Manipulateur ordinaire de Constitution
L’ancien putschiste avait pourtant, en 1991, quitté son uniforme et introduit le multipartisme dans son pays. Il tolérait une presse d’opposition insolente mais marquée par le souvenir de la mort, en 1998, de Norbert Zongo, directeur d’un journal dérangeant, assassiné alors qu’il enquêtait sur un meurtre impliquant le frère du président. Blaise Compaoré – déjà réélu deux fois au terme de scrutins boycottés par les principaux opposants – avait aussi instauré, en 2000, le quinquennat et limité à deux le nombre de mandats.
Las, en 2014, le président offrait subitement le visage d’un manipulateur ordinaire de Constitution, comme l’on en rencontre dans d’autres pays africains qui n’affichent pas les prétentions démocratiques du « pays des hommes intègres ». « Ces derniers temps, il n’écoutait plus, enfermé dans sa bulle, lâché par une partie des cadres de sa formation mais poussé par ses proches, notamment son frère cadet François, qui ne voulaient pas perdre leurs positions ou s’imaginaient lui succéder », avance un diplomate occidental.
« Peut-être aussi que la communauté internationale n’a pas été assez ferme », avance Augustin Loada, président du Centre pour la gouvernance démocratique. Certes les Etats-Unis et l’ancienne puissance coloniale française avaient conseillé publiquement au président de respecter son engagement démocratique. François Hollande lui avait même promis un « job ». En cas de départ, « vous pourriez alors compter sur la France pour vous soutenir, si vous souhaitez mettre votre expérience et vos talents au service de la communauté internationale », écrivait récemment le président français.
Mais nul doute que Paris et Washington se seraient finalement accommodés de cette énième pirouette de Blaise Compaoré si elle lui avait permis de passer l’obstacle référendaire ou parlementaire. Car au fil des ans, ce président d’un pays pauvre et enclavé de 16 millions d’habitants dont l’économie repose sur la culture du coton et les transferts d’argent de sa nombreuse diaspora, était devenu « l’enfant chéri des institutions financières internationales pour la rigueur de sa gestion des affaires publiques », selon un diplomate français.
« Passion pour la diplomatie »
Surtout, le taiseux Blaise Compaoré, d’ethnie mossi (la plus nombreuse du pays), s’était montré un habile médiateur dans bien des crises régionales. Certes, Paris et Ouagadougou n’étaient pas exactement sur la même longueur d’ondes au sujet du dossier du nord du Mali, secoué depuis trois ans par une nouvelle poussée indépendantiste touareg et des assauts djihadistes. Mais simultanément, le Burkina avait ouvert ses frontières aux armées française et américaine engagées dans la lutte antiterroriste au Sahel.
Togo, Mauritanie, Guinée, Côte d’Ivoire, Mauritanie, Darfour… Le « beau Blaise » avait multiplié les missions de bons offices sur le continent noir. « C’est quelqu’un sur qui ces puissances peuvent compter pour déléguer des médiations et qui a obtenu quelques résultats », expliquait, en 2013, Rinaldo Depagne, analyste de l’Afrique de l’Ouest pour le centre de réflexion International Crisis Group (ICG).
Il y eut avant cela d’autres ingérences moins pacifiques, comme dans les monstrueuses guerres civiles au Liberia et en Sierra Leone des années 1990, puis en Côte d’Ivoire en 2002. Il y eut aussi son amitié avec Mouammar Kadhafi ; son rôle dans des trafics d’armes et de diamants avec les rébellions angolaise et sierra-léonaise.
Vendredi 31 octobre, en route vers Yamoussoukro, la capitale ivoirienne et première étape de son exil, l’ancien capitaine parachutiste a dû contourner la garnison de Pô, d’où il était parti avec ses hommes en 1983 pour prendre le pouvoir avec Thomas Sankara.
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