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Le FCFA, arguments pour et contre: résumé (Par Dr Ange PONOU)


Pour ou contre le Franc CFA? Les éminences grises d’Afrique et d’ailleurs n’en finissent pas de s’empoigner avec des positions radicales, sans jamais trouver de points de convergence. Retour sur les arguments des partisans et pourfendeurs d’une monnaie qui divise plus que jamais.

Le maintien ou l’abandon du Franc CFA n’a jamais été autant au centre de l’actualité sur le continent et même ailleurs. Le débat cristallise l’attention aussi bien de certains intellectuels et économistes que des responsables politiques.

Au-delà de la passion et de la contradiction que suscite cette monnaie, le débat sur le Franc CFA est un réel sujet d’intérêt, tant il aborde des thèmes d’importance cruciale tels que la souveraineté et à la vie économique et sociale des Etats.

D’un côté, on retrouve les pourfendeurs de cette monnaie tandis que de l’autre se placent les défenseurs. Au-delà de transcender donc des clivages, l’enjeu ici est de mettre en face du lecteur les argumentaires pour le maintien du franc CFA et ceux qui militent pour son abandon, dans une seule contribution.

L’origine du Franc CFA

Créé le 26 décembre 1945, le franc CFA, monnaie commune aux 14 pays africains membres de la zone franc, signifiait au départ « Franc des Colonies Françaises d’Afrique ».

Il prendra par la suite en 1962 la dénomination de « Franc de la Communauté Financière Africaine » pour les Etats membres de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA), et « Franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale » pour les pays membres de l’Union Monétaire de l’Afrique Centrale (UMAC).

Lié initialement au franc français, le franc CFA est désormais arrimé à l’euro dans un système de parité fixe depuis le 1er janvier 1999. Ainsi, pour assurer sa convertibilité, la BCEAO et la BEAC ont ouvert des comptes d’opérations auprès du Trésor français pour y déposer environ 50% de leurs réserves de change.

Contre le Franc CFA

L’abandon du Franc CFA est à nouveau sur toutes les lèvres depuis maintenant plusieurs décennies et les défenseurs de cette thèse ne manquent pas un seul instant pour le signifier à chaque fois que l’occasion leur est donnée. Ainsi, pour eux, le Franc CFA est un instrument de répression monétaire dans la mesure où les français sont représentés et disposent d’un  droit de regard dans le conseil d’administration des deux banques centrales. C’est ce qui fait dire à l’économiste togolais Kako Nubukpo que « l’économie du Franc CFA est restée celle de la sujétion coloniale », car cette monnaie est un frein au développement des pays utilisateurs.

Dans la même veine, le professeur agrégé, Mamadou Koulibaly affirme que « le Franc CFA est une grosse escroquerie ».

Pis, Kako Nubukpo, trouve indécent que la fabrication des billets et pièces du CFA reste, plus d’un demi-siècle après les indépendances, le monopole de la France et des usines de la Banque de France.

Il apparaît donc clairement que parmi les critiques en faveur de l’abandon du franc CFA, le versement d’au moins 50% des réserves de change des banques centrales de la zone franc auprès du Trésor français en contrepartie de la garantie de la parité fixe entre le franc CFA et l’euro, constitue le point le plus clivant. A titre d’exemple, le montant de ces versements en 2015 était estimé à 13 000 milliards FCFA.

Ainsi, l’économiste sénégalais Demba Moussa Dembele trouve que ces dépôts « privent les pays concernés de liquidités » et leur fait perdre in fine une partie de leur « souveraineté ». Et de s’interroger de la manière suivante : « Vous imaginez la banque centrale européenne déposer 50% de ses réserves à Washington ? Cela paraît impensable ».

Kako Nubukpo va plus loin et argue que « c’est une monnaie qui maintient l’insertion primaire des économies de la zone Franc au sein du commerce international, dans la mesure où son utilisation n’a pas permis d’amorcer la transformation sur place de matières premières et encore moins les échanges entre économies de la zone Franc ».

Sur son arrimage à l’euro via un régime de change fixe, l’économiste togolais renchérit et estime que « le Franc CFA apparaît comme une concession faite par les Etats de la zone franc à Paris, du fait de l’incapacité perçue ou réelle des dirigeants de cette zone à piloter une monnaie commune ».

Ainsi, les gouverneurs de la BCEAO et de la BEAC n’ont pas les coudées franches pour faire varier le cours de leur monnaie, la parité avec l’euro les obligeant à calquer leur politique sur celle de la BCE.

C’est cette situation qui fait dire à Demba Moussa Dembélé que « le sort du franc CFA se décide à Paris et à Francfort. Or les priorités pour l’Europe ne sont pas celles des pays africains ».

En outre, l’arrimage à l’euro fait subir au Franc CFA les fluctuations de la monnaie européenne, avec des conséquences parfois néfastes pour les exportations des pays de la zone, du moins quand l’euro est fort. (Voir lien article ci dessous)

https://www.sikafinance.com/marches/prevision-a-la-baisse-de-la-croissance-europeenne-quel-impact-pour-le-secteur-agricole-de-la-brvm-_15938

C’est en effet l’argumentaire développé par l’économiste Michel Santi dans une colonne du site d’information français latribune.fr, en date du 14/02/2019, en déclarant que « Le Franc CFA est une aubaine pour les entreprises françaises implantées en Afrique qui peuvent rapatrier leurs bénéfices en Europe sans aucun risque de change, ce qui profite à des multinationales comme Bolloré, Bouygues, Orange ou encore Total… ». Il explique dans les moindres détails que l’arrimage à l’euro est avantageux pour les entreprises françaises dans la mesure où elles ne subissent pas le risque de change susceptible d’affecter leurs marges quand elles rapatrient leur bénéfice.

Un autre aspect de la monnaie commune aux 14 pays concerne l’intégration régionale qu’elle devrait favoriser. Toutefois, pour l’économiste ivoirien Mamadou Koulibaly, le système monétaire mis en place entre ces pays n’a pas produit le résultat escompté. En effet, pour lui, il est inconcevable de mettre ensemble des pays qui ont des systèmes productifs différents et d’instaurer en leur sein un taux de change fixe. Et donc, les pays les plus compétitifs pomperont la richesse de ceux qui ne le sont pas.

Pour le Franc CFA

Malgré cette avalanche de critiques à son encontre, le maintien du franc CFA trouve des partisans au nombre desquels des économistes et des personnages politiques notamment le gouverneur de la BCEAO, Tiémoko Meyliet Koné.

Ainsi, ce dernier réfute les critiques contre le franc CFA et soutient que « la solidarité et la stabilité de cette union ont permis aux économies de la zone de résister aux diverses crises et aux États membres de réaliser de bonnes performances économiques ». Il illustre ces propos avec le cas de la Côte d’ivoire qui a renoué avec une croissance forte après plus d’une décennie de crise.

Aux détracteurs dénonçant un système obsolète n’ayant pas évolué depuis plus de trente ans, le gouverneur clarifie que le taux de centralisation au compte d’opérations du Trésor français est passé de 65% des réserves à 50% depuis 2005.

Et donc pour en revenir à la question de la servitude monétaire, le gouverneur de la BCEAO n’y voit aucun rapport de soumission et précise que « les réserves déposées par les Etats auprès du Trésor français, qui font l’objet de critique, constituent des avoirs rémunérés en contrepartie d’une garantie assurée par la France, celle de la convertibilité illimitée du CFA. Exactement comme si un banquier exigeait un gage avant de se porter garant d’une opération ».

Abondant dans le même sens, Lionel Zinsou, banquier d’affaires franco-béninois et ancien premier ministre du Bénin, fustige l’attitude des anti-Franc CFA et trouve qu’il est faux de dire que les populations veulent l’abandon de cette monnaie. Tentant ainsi de décrédibiliser ceux qui militent pour son abandon.

En outre, répondant à la critique selon laquelle, le franc CFA serait-il un frein au développement des pays utilisateurs, l’économiste Nadim Kalife affirme que le développement « n’est pas l’affaire des banques centrales BCEAO et BEAC, mais relève plutôt de la politique économique des gouvernements ».

De plus, Nadim Kalife demeure convaincu, en dépit de tout ce qui pourrait se dire, que l’un des plus gros avantages de cette monnaie reste sa stabilité. En effet, pour lui, la création de monnaie étant sous contrôle extérieur, il n’y a pas la tentation pour les pays de « faire tourner la planche à billets ».

Il renchérit en affirmant que les pays de la zone franc bénéficient d’une inflation maîtrisée (moins de 3%), quand nombre de leurs voisins se battent avec un niveau d’inflation relativement élevé. Pour preuve, il évoque notamment le cas ghanéen où le Cedi a été dévalué de 750% depuis sa création en 1972, alors que le FCFA n’a été dévalué qu’une seule fois, de 50%, en 1994.

Dans le même ordre d’idée, le Franc CFA est présenté comme un atout en termes d’intégration régionale selon l’économiste congolais Noël Magloire Ndoba, car « il facilite les échanges entre les pays de la zone, au bénéfice des économies nationales et des acteurs économiques »

Enfin, pour Christopher Dembik, économiste chez SaxoBank, le Franc CFA bénéficie d’une crédibilité internationale qui manque aux autres monnaies de la région, du fait de son lien avec l’euro. « C’est donc un gage de sécurité auprès des marchés. Et ces pays ont besoin des marchés financiers pour l’investissement », affirme-t-il.

En définitive, le sujet est très loin d’être épuisé. De part et d’autres on s’ingénie à tordre le cou des arguments opposés quand on n’aborde pas le problème sous des angles totalement différents. Il est bien difficile dans ces conditions de trouver des points de convergence. Le débat sur le Franc CFA a encore de beaux jours devant lui.

Dr Ange PONOU

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