La compétitivité des entreprises ivoirienne


Comme un couperet, la vingtième édition de l’Index of Economic Freedom vient de paraître. Ce baromètre publié par le Wall street journal et de The heritage Foundation vient de livrer son classement en matière de liberté économique dans le monde.

Et c’est peut être sans surprise, la Côte d’Ivoire y occupe le 115ème rang sur plus 150 pays classés dans le monde. Elle y occupe également par rapport au pays africains, la 16ème position derrière le Ghana la première économie libérale de l’Afrique de l’Ouest et de la CEDEAO. Dans l’UEMOA, le pays vient en 2ème position après le Sénégal.

Avant ce classement 2014 et même ceux d’avant, Il n’était pas rare d’entendre parler des difficultés que rencontrent les entreprises en Côte d’Ivoire. Que dire alors des Petites et Moyennes Entreprises ? Et, l’un des chantres de la bataille pour la compétitivité des entreprises dans notre pays pourrait avoir été l’actuel Ministre chargé de la promotion de ces entreprises indispensables à notre tissu économique.

C’est vrai ; les PME ivoiriennes éprouvent des problèmes de compétitivités pour affronter la concurrence instituée par l’ouverture des marchés. Ce n’est d’ailleurs qu’un euphémisme. Sinon dans les faits, il est indéniable qu’elles croulent sous le poids des difficultés de toutes sortes. Et l’histoire, nous enseigne que la plupart des pays qui ont développé leur secteur privé en gagnant d’importantes parts de marché, ont mis en place des moyens et instruments d’appui aux petites et moyennes entreprises. Ainsi, pour que les PME jouent pleinement leur rôle au sein de l’économie de notre pays, et être compétitives sur leurs différents marchés (intérieur, communautaire et internationaux) dont la concurrence n’est plus à démontrer, des appuis à leur développement doivent être initiés.

Certains auteurs indiquent que l’avantage compétitif, qui doit être mesuré en comparant les concurrents en présence sur les marchés, est fonction de l’efficience et l’efficacité des principaux marchés (produits, travail et capitaux). Ils ajoutent que l’esprit d’entreprise, l’adoption de nouvelles combinaisons productives et l’innovation sont les facteurs qui permettent de générer en permanence des avantages compétitifs et d’élargir les perspectives d’expansion et de profits.

Cet article veut mettre en exergue, et mieux, insister sur les déterminants de la compétitivité des Petites et Moyennes Entreprises en Côte d’Ivoire. Autrement dit, qu’est ce qui rend une Pme compétitive ?

Pour répondre à cette question, il semble pertinent d’expliquer les facteurs qui concourent simultanément à la compétitivité de ces entreprises.

Nous en avons répertorié trois : Les acteurs ou facteurs exogènes, les facteurs ou acteurs endogènes et les facteurs mixtes. Pour ce dernier type, il s’agit de la combinaison des deux premiers facteurs.

Cet article se limitera dans un premier temps aux acteurs exogènes (L’Etat). La suite, dans une prochaine publication abordera la question des facteurs endogènes et mixtes.

Une stratégie de développement des PME est nécessairement spécifique à un pays et à un contexte donné. Chaque pays doit relever des défis, saisir des opportunités et définir des priorités en matière de réforme qui lui sont propres. Les ressources disponibles pour assurer la mise en œuvre de l’action en faveur des PME varient selon le pays, et les résultats obtenus ne peuvent donc être identiques. Au cours des années 80 et de la majeure partie des années 90, les mesures prises par les Etats européens à l’égard des entreprises étaient axées sur la création d’emplois et avaient principalement pour objet de favoriser la création d’entreprises. Par la suite, l’accent a été placé sur la compétitivité internationale, les programmes en faveur de l’expansion des entreprises et le soutien aux entreprises à vocation technologique, et le souci de développer une culture de l’entreprise au sein de la société a commencé à prendre de l’importance. Tel a été le plan d’action de la mise en œuvre des politiques européennes à l’endroit des Pme au cours de ces trente dernières années.

Mais comme indiqué plus haut, les priorités ne sont pas forcément les mêmes dans tous les pays. Les réalités paraissent bien différentes.

Dans le cas de la Côte d’Ivoire nous pouvons identifier pour le compte de l’Etat trois axes prioritares :

Le développement des infrastructures

C’est vrai que la Côte d’Ivoire sait revendiquer un avantage comparatif par rapport à la plupart des pays de la zone communautaire UEMOA, mais il ne faut pas oublier que le manque ou l’insuffisance d’infrastructures est l’un des principaux facteurs néfastes à la compétitivité de l’économie ivoirienne. La compétitivité des PME passe fortement par la disponibilité des infrastructures en qualité et en quantité.

En Côte d’Ivoire, même si des efforts sont faits depuis la fin de la crise politico-militaire, il apparait évident que le manque d’infrastructures limite fortement le développement des entreprises. Or, l’une des composantes de la stratégie de diversification de la croissance repose sur la quantité et la qualité du capital matériel (tangible), particulièrement les infrastructures de base qui constituent le socle essentiel sur lequel se bâtit la compétitivité d’une économie. En effet, l’absence d’infrastructures à caractère économique comme les infrastructures de transport (routes, ponts, chemin de fer, aéroports, ports) ou les infrastructures de production (énergie, réseaux d’adduction d’eau, télécommunication) agissent sur la performance des PME et rend plus difficile leur accès à de nouveaux marchés. De même, le manque d’infrastructures reliant les pays du marché communautaire limite le développement communautaire de ces entreprises.

Selon des données disponibles sur le site internet de l’AGEROUTE (Agence de gestion des routes), sur un total d’environ 45 000 kilomètres, le réseau routier n’est couvert (bitumé) qu’à hauteur de 14% soit à peu près 6 500 km de routes (y compris 224 km d’autoroute). Le solde de 86% (environ 38 000 Km) est constitué du réseau en terre dont 15 000 km ne sont pas praticables et plus de 20 000 Km fortement dégradés. Il n’est pas inutile de rappeler que 90% de ce réseau en terre est celui qui devrait conduire aux zones de productions agricoles. Quant au réseau ferroviaire, bien qu’il ait le mérite d’exister reste profondément délabré et en besoin d’entretien et d’extension. C’est une voie considérable et potentielle d’échanges pour les entreprises ivoiriennes dans l’UEMOA.

La conquête des marchés extérieurs est une condition essentielle pour la performance des entreprises et de l’économie. En effet, un appui important à la compétitivité des PME ivoiriennes consiste pour les pouvoirs publics à développer des infrastructures industrielles.

Autrement, c’est ce qui remet en cause la compétitivité, la croissance et le développement des activités des PME.

La politique fiscale et parafiscale

Il est indéniable que pour porter un jugement objectif sur la situation fiscale dans un espace économique, les experts ont tendance à considérer l’indice de pression fiscale. Selon la norme de convergence (2007) de l’UEMOA, l’ensemble des Etats membres de cette Union devrait avoir un taux de pression fiscale inférieur ou égal à 17% du PIB. En Côte d’Ivoire, même si la pression fiscale est confirmée à 17% selon le Ministère du Budget, la question qui pourrait revenir serait l’opportunité d’un tel niveau même s’il est aussi vrai qu’une étude menée par le CIRES en 2009 et publiée en 2010, fait état d’un possible seuil optimal de 21% de pression fiscale. C’est également acquis que le débat est rude. L’on parle même de ne pas tuer la poule aux œufs d’or.

Le secteur de la production agricole notamment de l’hévéaculture peut nous aider a discuter cette question. En analysant ce secteur économique qui a fait couler beaucoup d’encres et de salives ces deux dernières années, l’on arrive à comprendre l’impact de la politique fiscale sur la compétitivité des entreprises.

Il est incontestable que la filière hévéicole ivoirienne a connu un véritable essor au cours de ces dernières années. La production nationale est passée en l’espace de 10 ans de 163 000 tonnes de caoutchouc naturel à bientôt 300 000 tonnes en 2015. Soit une croissance cumulée d’environ 100%. En règle général simple, et sur la base des économies d’échelle, la productivité des entreprises de ce secteur devrait être appréciable. Les éventails de marges devraient s’améliorer ; sur le marché international, les produits devraient être compétitifs.

Mais pendant ce même temps, lorsque les appétits de l’Etat s’aiguisent, il devient fort probable que les profits changeront de caisse. C’est dans cette vision qu’il semble que  les autorités auraient institué et imposé systématiquement une taxe de 5% sur le chiffre d’affaires du secteur (ordonnance n°2011-480 du 28 décembre 2011).  Imposer à 5% un usinier sur son chiffre d’affaires est lourd de conséquence et suppose que les marges soient supérieures à ce taux. Ce qui n’est pas forcément toujours le cas si les cours chutent fortement. Et aucun mécanisme ne semblait à ce moment avoir été anticipé dans cette taxe pour prendre en compte les fluctuations des prix/marges et donc éviter qu’on se retrouve un jour à taxer une entreprise en pure perte. En conséquence, les revenus en ressortent fortement impactés et réduisent drastiquement les possibilités d’investissement/réinvestissement. Même en cas de profit, la baisse potentielle des cours couplée à cette taxe incite à conserver de la trésorerie en cas de retournement de situation plutôt qu’à investir (Recherches et développement, infrastructure techniques) ou emprunter pour se développer. Dès lors, les économies d’échelle évoquées ne se produiront plus et la compétitivité de ces entreprises se trouve gravement menacée.

Bien heureusement sur ce chapitre, la bonne compréhension a finalement prévalu. Le budget rectificatif 2014 a non seulement tenu compte des fluctuations des cours sur le marché mais mieux, a prévu une taxation progressive.

Pour garantir la pérennité de ce secteur en perte de vitesse sur le marché mondial, l’on pourrait plus tôt envisager une annulation pure et simple de cette taxe en vue de favoriser les investissements et réinvestissements dans le secteur.

Ceci étant, pour la question de la fiscalité des PME en Côte d’Ivoire, il conviendrait, dans la droite ligne de la catégorisation fiscale des entreprises instituée par le décret de janvier 2012 portant définition de la PME, de mettre en place un comité de concertation secteur public-secteur privé (PME à travers les organisations professionnelles du secteur). Ce Comité connaîtra des vrais problèmes fiscaux rencontrés par ces entreprises et proposera des voies de solutions adaptées à leurs besoins. Cette organisation est essentielle. Elle aura à tout point de vue le mérite de ne parler que des PME et non des intérêts des multinationales et des grands groupes. En la matière, sans préjugés, la Confédération de Générale des Petites et Moyennes entreprises de Côte d’Ivoire et le Mouvement de PME-PMI de Côte d’Ivoire pourraient valablement être des interlocuteurs sérieux et rigoureux.

L’appui institutionnel pour l’obtention des financements

Il est certes important de régler les problèmes fiscaux et d’infrastructures. Mais lorsqu’on ne touche pas la question du financement de ces entreprises, la boucle ne saurait se fermer sur les obligations de l’Etat. L’on pourrait valablement dire que l’Etat n’est pas concerné en premier ressort par la question ou la politique de financement des entreprises. Mais à la réalité, il faut reconnaître que les agents économiques réagissent très souvent aux incitations et excitations des pouvoirs publics.

Le récent rapport 2013 du Secrétariat Général de l’OCDE (Organisation pour le Commerce et le Développement Economique) sur le financement des PME fait est éloquent à ce sujet. Ce rapport fait état des engagements pris par les pouvoirs publics face aux difficultés de financement des PME. On y découvre qu’à l’exception de l’Irlande et de la Nouvelle Zélande, tous les pays de l’OCDE ont eu un programme de garantie d’emprunts qui a pu être ajusté en fonction des besoins du moment. C’est par exemple le cas des ajustements sur les montants des fonds de garantie et des entreprises éligibles à ces facilités.

En côte d’Ivoire, ce problème de financement a été pendant longtemps diagnostiqué. Sauf que les remèdes semblent ne pas être à la mesure du mal.

Le graphique ci-dessous illustre la part des crédits bancaires de juin 2013, décembre 2013 et juin 2014 octroyés aux différentes catégories d’agents économiques.

Source : Rapport semestriel 2014, APBEF-CI

 statis

L’analyse de ces graphiques appelle des commentaires objectifs et non complaisants.

C’est vrai que les entreprises s’approprient plus de 77% des affectations des ressources des banques. Mais la part des PME dans ce labyrinthe est savamment restée sous silence. Toutefois, on y apprend que plus de 90% des prêts aux entreprises sont à court et moyen termes contre à peine 10% de financement à long terme et/ou des prêts en souffrance. Cette situation nous montre bien que les entreprises ne sauraient valablement compter sur les banques pour financer leurs compétitivités sur les marchés s’il est acquis que l’avantage concurrentiel (compétitif) d’une entreprise est en partie due à sa capacité à innover et à proposer des produits de meilleurs qualités à des prix d’équilibre (qualité/prix).

Dans ce cas, il y a un exemple qui nous apparait éloquent. C’est le programme des logements sociaux lancé depuis plus d’un an. Les entreprises locales peinent véritablement à prendre leurs souffles de départ au moment où leurs homologues marocaines arrivées en retard ont dépassé le seuil de présentation des maisons témoins. Pour avoir participé au forum ivoiro-marocain et avoir eu le privilège de travailler sur un dossier d’investissement marocain en Côte d’Ivoire, on peut dire sans se tromper que ces entreprises ont su structurer leurs financements avec des institutions marocaines commises à cette tâche. C’est le cas de l’Agence marocaine de développement des investissements et de la Banque Marocaine du Commerce Extérieur. Cette dernière institution apporte de solides garanties aux besoins de financement des entreprises marocaines à l’exportation. La Côte d’Ivoire en manque cruellement.

Pour permettre aux entreprises ivoiriennes d’aller sur des marchés communautaires et internationaux à forte croissance mais également à forte concurrence, l’Etat doit irrémédiablement songer à la mise en place d’instruments de soutien à moyen et long terme. Ces instruments passent par les cofinancements de l’Etat, des augmentations de prêts directs, des taux d’intérêts réduits ou bonifiés. Récemment la Russie et la Turquie ont lancé ces mécanismes. Ils marchent très bien. Et nous apercevons l’arrivée massive d’entreprises Turques sur le marché ivoirien.

C’est le lieu d’encourager le lancement officiel, il y a un mois,  de la réactivation du Groupe National de Travail sur la Compétitivité des Entreprises en Côte d’Ivoire (GTNC). L’occasion nous sera donné de discuter de ses attributions et des attentes des entreprises en ses travaux.

Nous l’avons indiqué en introduction; le prochain article portera sur les déterminants endogènes de la compétitivité des entreprises. Il nous semble pertinent d’évoquer dans ce chapitre les mécanismes de gouvernance des PME. Nous aborderons également l’intérêt et l’impact de la recherche et développement (R&D) et de l’innovation pour une entreprise qui se veut compétitive.

OUATTARA Navaga,

Président du Réseau d’Appui aux Jeunes Entreprises pour la Solidarité

Expert-Consultant, APEX-CI, FARE-PME

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