Le journaliste Tchè Bi Tchè à propos des erreurs de Ouattara sur le cas Soro #Pouvoir
CIV-lepointsur.com (Abidjan, le 14-6-2017) « C’est une cuisine interne au Rdr. A priori, elle devait rester une affaire privée, loin de la tasse de thé des Ivoiriens. Mais il est clair que cet antagonisme politique porte en lui des germes de grabuge. Et c’est sûr, son onde de choc se propagera au-delà de la case de la rue Lepic. C’est un euphémisme de dire que les relations entre Alassane Ouattara et Guillaume Soro ne sont pas bonnes, en dépit de l’énergie déployée par le second pour faire croire au contraire. Par pure démagogie politique.
Chaque jour qui passe voit le fossé se creuser entre les deux hommes. Les responsabilités sont évidemment partagées. Mais puisqu’il est celui qui avait le pouvoir des décisions, nous nous attablerons sur les erreurs qui ont été celles d’Alassane Ouattara dans ses rapports avec son ex-dauphin constitutionnel. En somme, les fautes politiques du locataire du « tabouret » du Plateau. Les raisons de cette inimité sont plurielle. Mais pour les besoins de notre analyse, nous n’en retiendrons que trois.
Mauvaise gestion du dauphinat
Porté par l’euphorie de la victoire à la Pyrrhus, d’aucuns disent que c’est cette promesse qui a conduit Soro à feinter mal Gbagbo, l’expression est de l’ex-chef rebelle, Alassane Ouattara a nommé Guillaume Soro Premier-ministre, ministre de la Défense. Avait-il vraiment le choix, quand on sait que l’armée paysanne qui a porté Ouattara au pouvoir avait pour colonne vertébrale, les combattants de l’ex-rébellion dont Soro était le chef charismatique ?
Certainement qu’en le faisant, par realpolitik, Ouattara avait un plan B. Dans sa botte secrète, Amadou Gon Coulibaly, fidèle parmi les fidèles. Homme du sérail. Ce qui n’est pas le cas de Soro. Ce dernier a assumé ce rôle important dans l’après guerre. Bon an, mal an, il a réussi à garder ferme le couvercle de la sécurité. Jusqu’au jour où les accords politiques au Rdhp se sont invités au destin de Soro. Contraint d’abandonner la Primature au profit du Pdci, il s’est démené pour arracher le perchoir à Ouattara.
Là où les textes de loi prévoyaient 40 ans révolus, Soro n’était pas qualifié pour être chef du Parlement. Ouattara n’a pas hésité à piétiner la Constitution pour lui donner une échelle pour se hisser au sommet de l’Hémicycle. Faisant de lui, le deuxième personnage de l’Etat. Dauphin putatif, Soro était à une marche de son rêve, le fauteuil présidentiel. Puis, l’eau a coulé sous le pont. Beaucoup d’eau d’ailleurs. L’implication supposée de Soro dans le putsch manqué au Burkina en 2015, le mandat d’amener contre Soro de la juge parisienne, Sabine Kerhis dans l’affaire de séquestration et de maltraitance de Michel Gbagbo, les mutineries à répétition, etc.
L’occasion a été jugée propice par Ouattara pour dérouler son plan B. Celui de propulser son « vrai » homme pour le « job » présidentiel, en la personne d’Amadou Gon Coulibaly. Mais une chose l’inquiète : l’ambition démesurée de son poulain Soro. Pour le neutraliser au profit de Gon, Ouattara a sorti de son chapeau magique le projet d’une Troisième République. La nouvelle Constitution à laquelle elle s’adosse a renversé l’ordre protocolaire.
De dauphin constitutionnel, Guillaume Soro a dû jouer des coudes pour conserver son « petit poste » (l’expression est de lui) de président de l’Assemblée nationale. Tout homme à la place de Soro encaisserait le coup. Pour avoir assumé une rébellion qui a servi d’étendard à Ouattara pour parvenir au pouvoir, Soro pensait être mieux rétribué. Ses sanglots qui prennent parfois la forme de rumeurs d’être derrière les mutineries sont à posteriori l’expression d’un bébé à qui on a arraché brutalement la cuillère de lait. Or, dans nos villages, on dit que lorsqu’un enfant pleure qu’il veut quelque chose, il faut lui donner.
L’édito au vitriol de Jeune Afrique
Au lieu que Ouattara redresse la barre de ses rapports avec Soro, il s’adonne à un baroud, espérant porter le coup fatal à l’image du numéro 4 du régime. A qui il est reproché de gripper la machine devant conduire Gon, le choix de Ouattara, au pouvoir. De grosses ficelles sont vite tirées du côté de Jeune Afrique où le numéro 1 posséderait des actions et où son amitié avec le clan Béchir est solide.
Et hop, la mécanique intellectuellement commandée part au galop : « Si Guillaume Soro devait un jour songer à sa reconversion professionnelle, nul doute que s’ouvrirait à lui une voie toute tracée : armurier ! », Cingle-t-on dans un édito au vitriol. « Tel Janus, Guillaume Kigbafori Soro a deux visages. Le premier est celui d’un enfant de chœur. Ses interviews, comme chacune de ses « réflexions » publiées sur Facebook, Twitter, YouTube, Instagram, son site et sa web TV, n’auraient pas détonné dans la bouche d’un dalaï-lama qui aurait décidé de s’installer sur les bords de la lagune Ébrié. Paix, réconciliation, amour du prochain, partage, miséricorde et humilité.
Il n’a que ces mots à la bouche. Et, bien entendu, fidélité, comprendre au chef de l’État, Alassane Ouattara. L’autre visage, à en croire ses détracteurs, mais aussi ceux qui le connaissent bien, est pour le moins sombre et sent le soufre. Soro ne serait mû que par un seul objectif : parvenir à ses fins. Par tous les moyens. Un homme brillant, d’un certain point de vue, froid et méthodique, qui se nourrit habilement du conflit. Un fin stratège aussi. Autrement dit un Machiavel en terre d’Éburnie », donne le clan Béchir un tour de vis au versant supposé cynique de Soro.
Le coup est violent et ne manque pas faire tituber le clan Soro. Mais vite, l’enjeu étant de taille, Soro et les siens reprennent les esprits et lancent une petite bombe à fragmentation dans le jardin de Ouattara, avec comme force motrice, « L’alliance du 3 avril ». C’est le branle-bas au Rdr.
La portée des auditions de Soul To Soul
Car, si ce projet murit, le schisme chez les pseudos Républicains est inévitable. Ouattara sait que sa barque prend l’eau de toutes parts et n’est pas à l’abri de houles politiques. Il sort de sa réserve et confie via un proche : « Alassane Ouattara pense que 2020 est trop tôt pour lui, et que son tour n’est pas encore venu. En 2025, peut-être ». Pas sûr d’attendrir son poulain à l’appétit gargantuesque du pouvoir.
La présidence de la République apparait pour lui comme un refuge pour échapper à la menace réelle de la justice internationale pour les graves crimes de l’ex-rébellion, surtout à l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Sur cette question de responsabilité des crimes de l’ex-rébellion, Soro s’agace et ne manque aucune occasion pour rappeler qu’il est un « homme de mission ». Entendez par là que le seul chef, celui qui a signé l’ordonnance de création des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci), le 17 mars 2011, se nomme Alassane Ouattara. C’est l’une des raisons pour lesquelles Soro suivait de très près les auditions de son directeur de protocole, Kamaraté Souleymane, alias Soul To Soul, dans l’affaire de la cache d’armes découverte dans sa résidence à Bouaké. « On doit aller, le patron nous attend pour le débriefing », avait confié à notre reporter un proche de Soro, au terme d’une audience à la Brigade de Recherche de la Gendarmerie. Certes, Soro a pris la décision de mettre son collaborateur à la disposition des enquêteurs. Mais il est loisible d’affirmer que cela s’est fait contre son gré.
« J’ai été ministre de La Défense, de telles questions relèvent du secret défense, vous comprendrez que je m’interdise tout commentaire (…) En revanche, en ce qui concerne l’enquête, j’ai vigoureusement recommandé à mon collaborateur de se mettre à la disposition des enquêteurs. Je lui ai demandé de dire sur l’honneur et sa conscience ce qu’il sait pour contribuer à aider les enquêteurs à conclure ce dossier », a-t-il commenté l’affaire le 18 mai dernier au Parlement.
L’expression « Secret-défense » a échappé à un grand nombre. C’était une manière pour Soro de relier la cache d’armes au régime Ouattara. Selon le confrère Jeune Afrique, c’est ce qu’il aurait dit à Ouattara lors de leur rencontre du 16 mai 2017. Les armes, rapporte le journal, ont été stockées là lors de la crise postélectorale. Une façon de dire à Ouattara qu’il se fera hara-kiri s’il continuait les poursuites contre Soul To Soul. Message reçu cinq sur cinq. Après quelques mises en scène, les auditions ont été suspendues. Mais les dégâts au niveau psychique de Soro sont énormes. Il s’est peut-être dit que si Ouattara s’attaque à l’un de ses lieutenants, c’est qu’il n’hésitera pas à le « balancer » à la justice internationale. Dès lors, il ne lui reste plus qu’un seul abri, l’ultime planche de salut, le palais présidentiel, au Plateau.
C’est tout le sens de la création de son mouvement politique. Sans ou avec l’accord du Rdr, Soro se lancera dans la course présidentielle de 2020. Instinct de survie oblige. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le feuilleton Soro-Ouattara est loin de prendre fin. Qui vivra verra ! »