Interview/Séraphin Moundounga, ex-ministre gabonais de la Justice : « je ne suis ni pour le pouvoir, ni pour l’opposition.. »
Après une fuite rocambolesque qui l’a fait quitter le Gabon pour le Cameroun, puis la France début septembre, Séraphin Moundounga, ministre de la Justice gabonaise jusqu’au 5 septembre dernier, réclame un retour rapide à la paix. Au Point Afrique, il explique tout, y compris son intention de lancer une action judiciaire d’envergure contre le pouvoir.
Le Point Afrique : avez-vous des nouvelles du pays ?
Séraphin Moundounga : Oui, nous en avons et elles sont terribles. En ce moment avec mon ONG UNITÉ que j’ai lancée récemment pour accompagner les parents et familles de victimes, nous sommes en train de rechercher toutes les personnes disparues, recherchées, mortes ou assassinées, car sachez qu‘il y a eu plus de morts que ce qu’annonce le camp au pouvoir. Nous allons les retrouver et si nous atteignons le seuil critique de plaintes des familles alors nous allons déposer des dossiers auprès de la Cour pénale internationale (CPI) pour pouvoir enquêter et obtenir des réponses sur le plan national et international.
Vous n’y allez pas un peu fort ? La CPI… tout de suite.
Non, madame, avec le nombre de morts que nous commençons tout juste à dénombrer et toutes les familles qui nous contactent, tout cela nous fait penser que nous allons vers un nombre de victimes encore plus grand, malheureusement. Et, vous savez, moi je prends mes responsabilités, nous avons la lourde tâche de les aider et ce jusqu’au bout. Vous ne mesurez pas combien la répression a été violente, la brutalité policière s’est manifestée sans fioriture. Il faut commencer ce travail de recensement dès à présent afin de formuler des preuves concrètes pour aller vers les tribunaux internationaux.
Pourquoi faites-vous tout cela ?
Comme vous le savez, j’ai été victime de plusieurs tentatives dont une d’assassinat et plusieurs enlèvements. La première tentative a eu lieu le 30 août juste après la publication de ma première déclaration dans laquelle j’appelle le président Ali Bongo à entendre raison pour le recomptage des voix. Le pouvoir l’a très mal pris et donc j’ai eu la visite des agents des forces de sécurité en tenue militaire qui sont venus à mon domicile. La deuxième fois, j’étais déjà en partance pour un troisième lieu secret. Et à la troisième tentative, ils n’ont rien volé, ce qui signifie que ce n’est pas le matériel qui les intéresse. Et pour effacer les preuves de leur passage, ils ont brûlé et saccagé les bandes de vidéosurveillance mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que ces images sont stockées à l’extérieur du Gabon. Et nous allons nous en servir dans le cadre d’une plainte qui sera déposée par ma personne.
Vous craignez pour votre vie ?
Je suis responsable. Et j’ai pris fait et cause pour le peuple gabonais. Je ne pense pas qu’il y ait un seul Gabonais qui soutienne la fraude, s’il savait. Je ne pense pas qu’il y ait un seul Gabonais qui puisse croire qu’une élection qui se déroule sur support papier peut faire l’objet d’une fraude informatique par un hacker. Quand je pense que nous n’avons pas su gérer l’héritage politique que nous a transmis le président Omar Bongo, je crois que ma seule mission désormais est de faire en sorte que la sécurité des Gabonais soit assurée de nouveau.
Des fraudes, il y en a eu dans chaque camp…, non ?
Oui, je le sais. D’ailleurs je ne suis ni pour le pouvoir, ni pour l’opposition. Je ne rejoins aucun camp.
Pourquoi insister sur les fraudes dénoncées par le camp du pouvoir ?
Au Gabon, dans l’état actuel des choses, l’élection présidentielle ne peut pas faire l’objet d’un piratage à moins que le piratage ait eu lieu au moment de la confection des listes électorales. En effet, comment pirater des résultats qui sont recensés manuellement ? Le dépouillement est manuel, les résultats sont consignés dans des procès-verbaux manuels, en autant d’exemplaires qu’il y a de candidats, et pour lequel chaque représentant de candidats reçoit le procès-verbal qui est sur support papier, sur le lieu même du bureau de vote en public et donc en présence des électeurs et des observateurs de tous les camps possibles, lorsque le bureau de vote en dispose.
Pourtant M. Mamadi Diané a été congédié par le président Alassane Ouattara.
Ils n’ont aucune preuve, c’est juste de la subversion. Mais la réaction du président Ouattara est tout à fait normale. Dés l’instant qu’un Ivoirien qui se trouve être l’un de ses conseillers se retrouve mêlé à une affaire de cet ordre, eh bien il prend les premières mesures pour éviter tout amalgame. C’est une mesure purement préventive en attendant de découvrir la vérité. Et lorsqu’il y aura une commission d’enquête internationale, la vérité éclatera car un véritable informaticien démontrera qu’en état actuel d’organisation des élections au Gabon, il ne peut y avoir de fraudes électorales informatiques.
D’où sortent les preuves de la présidence, il existe bien un enregistrement sonore, et le candidat Ping n’a rien nié des faits ?
Les conversations téléphoniques, c’est comme la correspondance, ça fait partie des droits fondamentaux de la personne humaine, des droits inviolables de la personne humaine protégés par la Constitution de la République, également par les conventions internationales. Il ne peut être autorisé que des conversations téléphoniques dans le cadre d’une enquête judiciaire donc les écoutes sauvages constituent une grave violation des droits fondamentaux de la personne humaine. Et il sera prouvé que ce monsieur qui est censé être un pirate hacker ne connaît même pas le système électoral gabonais. Dans l’esprit actuel du président Ali Bongo, il croit dur comme fer que des pirates hackers ont agi sous l’ordre de Jean Ping pour pirater les résultats de la présidentielle et inverser les chiffres. Je lui apprends que cela est impossible dans l’actuel système électoral gabonais.
Pourquoi avoir démissionné aussitôt ?
J’ai d’abord appelé au recomptage des voix dès le 28 août. J’ai dit au président : prenons tous les procès-verbaux un à un, bureau par bureau et vérifions les chiffres. J’ai réitéré cette demande le mardi 30 avant que le pouvoir ne décide de rendre des résultats précipitamment le mercredi 31 août. L’équipe du pouvoir et le président ont refusé et moi qui étais convaincu que cette fraude ne pouvait pas exister à ce stade de l’enregistrement et de la publication du recensement des résultats, j’ai fait appel à la sagesse du président Ali Bongo pour qu’il accepte le recomptage bureau par bureau sur la base des procès-verbaux. S’il est établi sur la base de ces procès-verbaux et sur la base du comptage transparent qu’il a été réélu, cela l’aurait conforté et l’opposition n’aurait pas pu contester, et le peuple n’aurait pas eu besoin de se soulever.
Vous pouviez quand même attendre le recours de l’opposition…
Il y a eu une implosion dans le pays que le Gabon n’a jamais connue auparavant avec des pertes en vies humaines que nous aurions pu éviter, avec des destructions importantes de matériels, des biens des Gabonais.
Et pas sous Omar Bongo ?
Des violences de cette extrémité, nous n’en avons jamais connu, des morts nous n’en avons jamais connu. En 90, il y a bien eu un soulèvement de même qu’en 1993, mais en 2016 il y a eu des morts et cela n’est pas terminé ! Parce que tout le monde attend la proclamation des résultats par la Cour constitutionnelle, pour laquelle il est fortement demandé par la population gabonaise rejointe par la communauté internationale qu’il y ait un recomptage suffisamment transparent en présence des représentants de l’opposition, des représentants de la majorité et de la communauté internationale.
Qu’attendez-vous aujourd’hui de la Cour constitutionnelle ?
La question maintenant est de savoir si ce recomptage se fait en toute transparence. Vous savez quand les gens disent que dans la province du Haut-Ogooué il y a eu 95,93 % des voix sur les 174 procès-verbaux ou 247 bureaux de vote pour le pouvoir, eh bien c’est faux. Les abstentions qui sont consignés dans ces procès-verbaux sont de plus de 10 000, là où le ministre de l’Intérieur sur le rapport du président de la Commission électorale n’en a mentionné que 47, il y a une différence extrêmement grave et vous voyez bien que tout ceci a participé à décrédibiliser la parole gouvernementale. Il faut rétablir l’ordre constitutionnel.
Vous attaquez directement Ali Bongo ?
On voit bien que l’édifice d’Ali Bongo est en train de s’effondrer et l’ensemble de tous les apprentis sorciers et des architectes politiciens qui l’entourent sont les mêmes qui l’ont amené vers cette voie, cette impasse dans laquelle il se retrouve aujourd’hui. Avec le risque d’apparaître dans le temps comme quelqu’un qui a tenté de frauder et comme quelqu’un qui a corrompu.
Aujourd’hui, se retrouvant dans une impasse, Ali Bongo s’est retranché à la présidence, alors qu’habituellement il n’y réside pas. Sachez madame qu’aujourd’hui même à l’instant et au moment où nous parlons il y a des tentatives de fraude. Il suffirait de produire et de mettre en place un vaste système d’édition de pièce d’identité et même des vrais faux procès-verbaux pour créer des doutes entre les procès-verbaux.
Pourtant le président ne fait que lancer des appels au calme.
Si le président Ali Bongo voulait réellement lancer un appel à l’apaisement, il aurait tout simplement demandé le recomptage depuis le début, ça aurait été la véritable preuve qu’il recherche la paix au Gabon. La Constitution gabonaise permet au président Ali Bongo de faire autant de mandats qu’il veut, donc Ali Bongo peut faire tous les mandats qu’il veut pourvu que les résultats des urnes soient respectés et que le recomptage des voix se fasse de manière transparente.
Il n’y a pas de démocratie sans transparence. Sans le savoir, on est en train de développer un terrain de violence et de conflits. Parce que, comme vous le savez, l’accumulation de frustrations aboutit toujours à une révolution là où vous avez vu une première implosion, ce n’est pas terminé. C’est l’ensemble de la sous-région d’Afrique centrale qui risque d’imploser car le Gabon a toujours été la soupape, l’îlot de sécurité en Afrique centrale pour le moment et depuis plusieurs décennies, donc un embrasement du Gabon entraînerait une instabilité durable de l’ensemble de la région d’Afrique centrale, compromettant durablement le développement de toute activité économique et la paix des populations.
Mais le débat le plus important maintenant, que l’on soit gabonais ou pas, ou gabonais d’adoption, si on remplit les conditions de participer à une élection, qu’on le fasse et qu’on sorte des résultats dans la transparence pour diriger le Gabon dans la paix et enfin répondre aux aspirations de ce peuple.
Avec le Point Afrique