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Interview/ Mamadou Koulibaly: «Il faut un statut clair», pour les opposants en Afrique


Légende :Mamadou Koulibaly, l'ancien président de l'Assemblée nationale ivoirienne. (AFP/Kambou Sia)

Légende :Mamadou Koulibaly, l’ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne. (AFP/Kambou Sia)

RFI a relayé les vœux des chefs d’Etat africain en ce début du mois de janvier. Quels vœux formulent de leur côté les opposants d’Afrique ? Quelles sont leurs doléances ? Ont-ils prévu, dans leurs résolutions, de se livrer à un examen de conscience ? L’opposant Mamadou Koulibaly, ancien président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, est le président du parti Lider, Liberté et démocratie pour la République. Il est l’invité de Nicolas Champeaux (RFI).

 

RFI : Que faut-il souhaiter à l’opposant africain en 2014 ?

Mamadou Koulibaly : Le premier [vœu] c’est que l’on fasse tout pour qu’il y ait l’Etat de droit, les libertés politiques, les libertés d’expression et l’accès aux médias d’Etat qui ne doivent pas être des instruments de propagande des gouvernements. Le second, c’est qu’il ne puisse pas être systématiquement arrêté et traité comme un assaillant, un rebelle et un putschiste. Vous savez, le fait d’être opposant ne suffit pas. Il faut pouvoir aussi exercer les fonctions d’opposant, pouvoir communiquer, pouvoir parler aux populations, se déplacer librement. Ça demande quelques moyens, ça demande un statut. Il faut un statut clair pour savoir quels sont les droits de l’opposant et quelles sont ses obligations vis-à-vis de la population, de l’Etat et de la République.

 

Alors les conflits se cristallisent souvent au moment des élections. Comment faire pour que les dés soient moins pipés au bénéfice des candidats sortants ?

Ce serait bien que les opposants puissent bénéficier d’un financement qui leur permette d’organiser leurs troupes, de former leurs troupes et de suivre tout le processus électoral. Quand l’opposant n’a pas d’argent, le jour du vote vous avez vos représentants dans un bureau de vote. A midi, celui qui est au pouvoir vient offrir des repas copieux à ses représentants. Ceux de l’opposition n’ont pas un rond pour avoir un sandwich. On lui propose un repas, il mange et puis il rentre à la maison et il laisse le procès-verbal qui sera signé, ou même il signe le procès-verbal à blanc et il rentre à la maison. Ceux qui restent dans le bureau peuvent truquer les résultats. Vous pouvez être candidat dix fois, vous serez battu tout le temps.

 

Le recours au boycott des partis d’opposition est-il toujours justifié, selon vous ?

Il serait bien que, pour les années à venir, les opposants africains évitent cette solution en créant sur le continent des formes de fraternité et de coalition internationale. De la même façon que ceux qui sont au pouvoir ont des réunions, se connaissent entre chefs d’Etat, de la même façon, les partis d’opposition d’obédience idéologique semblable ou même pas, devraient se donner la main. Ils devraient faire des pressions dans les différents pays, pour y chercher des voix et des soutiens, qu’ils puissent monter au créneau et faire pression sur les gouvernants, pour que les règles démocratiques puissent fonctionner.

 

Et en quoi est-ce que l’action de la communauté internationale est néfaste ? Quel message l’opposant africain adresse-t-il à la communauté internationale ?

Il y a un côté néfaste, c’est la communauté internationale, en tout cas des grands pays comme l’OCDE, ne regardent que ces intérêts. Cette façon d’avoir deux poids, deux mesures et de ne secourir que selon les cas, c’est très déstabilisant pour les opposants africains qui eux aussi se sentent obligés d’aller chercher des soutiens à l’étranger et parfois d’hypothéquer même l’avenir des pays, en s’engageant dans des arrangements inavouables. « Aidez-moi, et puis si j’arrive au pouvoir l’or c’est pour vous, l’uranium c’est pour vous, le diamant c’est pour vous…. ». Et puis le jour où ce monsieur arrive au pouvoir, les populations se demandent pourquoi depuis deux ans il est là, et puis les choses n’avancent pas, parce qu’il faut payer ses créanciers, ceux qui l’ont aidé à arriver au pouvoir. Le fait est que les opposants en question, quand ils arrivent au pouvoir, ils sont eux-mêmes pris dans le piège qu’ils critiquaient quelque temps avant, quand ils étaient dans l’opposition. Les populations ont le sentiment que c’est un éternel recommencement.

Y a-t-il d’autres domaines selon vous, où l’opposition devrait se livrer à un examen de conscience ?

Il y a le vœu que nous ne prenions pas argument des pratiques des gouvernants pour nous aussi, nous mettre à instrumentaliser nos ethnies. Ce n’est pas parce que celui qui est au pouvoir est d’un groupe ethnique et que nous ne sommes pas d’accord avec lui que nous devons aller dans nos régions, dans  nos ethnies et auprès de nos religions, pour monter une opposition qui ne sera pas idéologique, mais qui sera ethnique.

Les opposants luttent pour l’alternance, mais pas au sein de leur parti. Ils sont souvent vieillissants et manœuvrent contre le renouvellement à la direction de leur organisation.

Dans tous les pays africains, les statuts et règlements intérieurs des partis politiques sont les choses les moins respectées par les partis politiques eux-mêmes. Parce que le parti est construit autour d’une personne, et c’est l’affaire de cette personne-là. C’est sa plantation, c’est sa PME familiale, c’est son affaire. Le jour où vous l’enlevez de la présidence de ce parti, vous handicapez automatiquement ce parti, et lui considère d’ailleurs que c’est un crime de lèse-majesté. Et nos statuts disent que le mandat du président du parti a une certaine durée, il faut que nous nous en tenions au respect de ce texte. Si en tant que parti politique nous ne pouvons même pas appliquer nos règlements intérieurs, comment voulez-vous que le jour où nous accédions au pouvoir, nous puissions admettre que la Constitution, le Code électoral, sont des textes à respecter ?

Par Nicolas Champeaux (RFI).

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