Interview exclusive/ Personnes non déclarées et non enregistrées à l’état civil
Le DG de l’ONI, Konaté Diakalidia rassure: « Voici comment nous allons résoudre le problème dans les 8 502 villages de la Côte d’Ivoire. »
Abidjan, 19-09-16 (lepointsur.com) Résolution définitive des cas de naissances non déclarées et non enregistrées à l’état civil: voilà le défi que se lance le gouvernement ivoirien. Pour avoir une idée nette de ce problème qui perdure plus de 50 ans après l’indépendance, nous avons approché le Directeur général de l’Office national d’Identification (ONI), Konaté Diakalidia. Pour la première fois, il intervient à cœur ouvert sur la question. Interview…
La loi n°64-374 du 07 octobre 1964 relative à l’état civil fixe les modalités d’application et le décret 64-454 du 20 novembre 1964 le texte d’application. Selon vous, pourquoi la loi et le décret ne sont-ils pas respectés?
Merci de me donner l’occasion pour me prononcer sur la loi relative à la déclaration des naissances, des mariages et des décès en Côte d’Ivoire. La loi de 1964 et son décret d’application font partie des premières lois, dont s’est doté l’Etat au lendemain de l’accession à l’indépendance. Ces textes ont été automatiquement appliqués, d’autant que ce sont eux qui créent les circonscriptions, qui fixent également les règles de leur fonctionnement et celles relatives à la déclaration des évènements d’état civil.
Je pense que les conditions de communication des registres d’état civil sont également expliquées dans ces textes. Aujourd’hui, lorsque nous faisons le point de l’application de ces textes, nous nous rendons compte qu’ils sont, certes, appliqués, mais restent malheureusement incompris. Nous reconnaissons en toute sincérité aussi que certaines dispositions de ces lois ne sont pas appliquées. Elles tombent alors en désuétude. J’en veux pour preuve, l’intéressement des agents de centres secondaires qui doivent être rémunérés à la déclaration. Depuis près de quinze années, cette disposition n’est pas appliquée.
Il y a aussi la loi n°64-382 du 07 octobre 1964 qui rend obligatoire la déclaration des naissances, des mariages et des décès. Malheureusement, cette loi est mal appliquée et les naissances hors délai ne sont prises en compte que dans des audiences foraines. Quelle analyse faites-vous de cette situation?
Voyez-vous, les évènements d’état civil doivent être tous déclarés. Pour ce faire, il appartient aux acteurs devant lesquels les évènements se déroulent ou le concerné lui-même de les déclarer à l’état civil. Et il appartient au service d’état civil d’en assurer l’enregistrement. Le constat aujourd’hui, c’est que les évènements ne sont pas tous déclarés. Bien des fois aussi, le même évènement est déclaré plusieurs fois. Cela est dû à la méconnaissance des règles de déclaration par les populations et des formalités d’enregistrement des évènements par les agents en charge de l’état civil.
Nous pouvons également noter l’éloignement des centres d’état civil des populations, en dépit des efforts fournis par l’Etat, par la création de plusieurs circonscriptions d’état civil, à travers les sous-préfectures et les communes. Les zones rurales sont les plus touchées.
Cette situation ne favorise pas les enregistrements des faits à l’état civil. Souvent, certains évènements ne sont pas enregistrés là où il le faut. Je prends le cas des mariages. Lorsque vous vous mariez à Abidjan, alors que vous êtes né à Divo ou à Korhogo, il appartient à l’officier d’état-civil de Cocody ou du Plateau (Abidjan), de transmettre la mention de ce mariage-là à la circonscription d’état-civil de votre lieu de naissance, pour que cette mention figure en marge de votre acte d’état civil. On ne le fait pas. Ainsi, vous êtes marié dans une circonscription d’état-civil, mais le registre qui doit comporter tous les évènements de votre vie, qui doit retracer tous les faits relatifs à votre vie civile ne fait pas mention de cet évènement.
Quel est votre point de vue sur les allégations selon lesquelles il y a une gestion informelle des différents services et la méconnaissance de certains textes de loi par certaines autorités en charge de la question?
Comprenez que la loi est en retard sur l’évolution technologique, d’autant que les opérations d’état-civil restent encore manuelles. Nous sommes à l’ère du numérique et par conséquent, les dispositions d’état civil devraient connaître des réformes, afin de s’adapter à cette nouvelle donne technologique. Bien entendu, ces réformes vont conduire à la création d’un corps des agents d’état-civil en Côte d’Ivoire. Avec un profil bien déterminé et une formation initiale et continue de ces agents. Nous pourrions même proposer que ceux-ci prêtent serment devant les tribunaux avant d’entrer en fonction. Ce sont-là des propositions faites par des experts, en vue de l’amélioration des textes d’état-civil en Côte d’Ivoire.
Dans ce projet, quel sera l’avenir des agents des 694 centres, dont seulement 23% ont reçu une formation initiale et 13% une formation continue, selon l’étude de base du projet du fonds de consolidation de la paix des Nations-Unis (PBF) ?
Leurs profils seront revisités et nous verrons dans quelle mesure on pourra insérer ces agents dans les circonscriptions en Côte d’Ivoire, après que nous aurons renforcé leur capacité.
Cela a-t-il été pris en compte dans votre besoin de 56 milliards FCFA ?
Bien entendu, cela fait partie du montant sollicité pour la modernisation de l’état civil. Il prend en compte tous ces aspects. Il s’agit notamment de renforcement de capacités, d’équipements d’amélioration du niveau de fonctionnalité des circonscriptions et centres d’état civil en Côte d’Ivoire, de la mobilité des agents, du rapprochement des centres des populations. Tout cela sous le sceau de la sécurité de l’information et de la confiance que l’usager de l’état civil pourra avoir vis-à-vis du service.
Monsieur le Directeur général, quels sont les différents ministères qui interviennent au niveau de l’état civil et quelles sont leurs différentes missions ?
Ce sont des ministères focaux, institutionnellement intéressés par la gestion de l’état civil. Outre le ministère de l’Intérieur, nous avons le ministère de la Santé, le ministère de la Justice qui assure la tutelle de l’état civil en Côte d’Ivoire, le ministère du Plan à travers son volet statistique, le ministère de l’Education nationale. Dans le vaste programme de réformes, le ministère de l’Economie numérique sera intéressé par l’état civil et, par conséquent, fortement impliqué dans sa modernisation. Nous avons également le ministère des Affaires étrangères du fait de l’état civil consulaire.
C’est ce noyau de ministères autour duquel va graviter d’autres ministères utilisateurs des données d’état civil. Comprenez que l’état civil est une affaire qui intéresse tout le monde. Je reviens là-dessus pour dire que c’est l’état civil qui fixe le statut des personnes. Ce qui, naturellement, intéresse tout le monde. L’état civil est donc l’instrument de gouvernance administrative et sécuritaire d’un état moderne.
Nous sommes aujourd’hui à 54% de déclaration. Quelles sont vos stratégies pour tendre vers le taux admis par la promotion de l’enregistrement des naissances universelles des Nations-Unies qui est de 95%?
Nous allons tendre vers 95%, lorsque nous allons mettre en œuvre les nouveaux mécanismes de déclaration, qui ont fait l’objet d’une étude des experts et dont les résultats ont déjà fait l’objet d’une restitution. L’Office national d’Identification a engagé des projets-pilotes dont le premier a lieu dans la zone du Sud-Ouest, notamment dans les régions de la Nawa, du Gboklê et du Bas-Cavally pour implémenter et vérifier l’efficacité opérationnelle de ces nouveaux mécanismes.
Il est ici question de désigner des points focaux auprès des sites ou lieux où l’évènement a lieu. Ainsi, dans chacun des 8 502 villages, nous aurons à long terme, un point focal communautaire. En plus, nous aurons des points focaux médicaux dans les centres de santé, qui seront soit des infirmiers, soit des sages-femmes. Sur les sites où il y a des centres secondaires, nous installerons des bureaux d’état civil équipés avec des outils informatiques. Mieux, un système de centralisation sera mis en place, en vue d’avoir une banque de données nationales au niveau de l’Office national d’identification.
Réalisée par Sériba Koné
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