[Intervention militaire au Niger] L’ancien président Mahamane Ousmane invite la CEDEAO à savoir raison garder
Niamey, 09-08-2023 (lepointsur.com) Face à la situation sociopolitique qui prévaut au Niger, l’ancien président nigérien Mahamane Ousmane a adressé une lettre à Son Excellence Monsieur Asiwaju Adékunlé Bola Ahmed Tinubu, Président de la République Fédérale du Nigeria, Président en Exercice de la Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernements de la CEDEAO. Dans son message, l’ex-Président du Parlement de la CEDEAO et ancien Président de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie se prononce, entre autres, sur l’intervention des forces de la CEDEAO dans son pays. Sur le sujet, il a invité invite les hauts responsables régionaux à savoir raison garder afin d’éviter un bain de sang.
Ci-dessous, nous vous proposons l’intégralité de la lettre de Mahamane Ousmane.
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Son Excellence Monsieur Asiwaju Adékunlé Bola Ahmed Tinubu, Président de la République Fédérale du Nigeria, Président en Exercice de la Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernements de la CEDEAO.
Abuja, Nigéria.
Objet : Situation sociopolitique en République du Niger.
En mes qualités, d’ancien Président de la République du Niger, ancien Président de l’Assemblée Nationale de la République du Niger, ancien Président du Parlement de la CEDEAO et ancien Président de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie, j’ai l’honneur d’appeler votre haute attention sur la situation qui prévaut dans mon Pays, la République du Niger, situation qui a déjà fait l’objet de vos assises du 30 juillet 2023.
Je me permets de rappeler que le 26 juillet 2023, les Forces de Défense et de Sécurité nigériennes ont pris le pouvoir d’Etat, par des voies non constitutionnelles, provoquant au plan national, la condamnation de principe de tous les démocrates sincères, mais aussi, des appels à un retour rapide à une vie Constitutionnelle normale, à travers une transition d’une durée raisonnable.
Parallèlement à ces condamnations, des manifestations massives de soutien déferlaient sur toute l’étendue du territoire national, tant la population rejette l’entière responsabilité de ces graves évènements sur les acteurs du régime déchu, qui eux-mêmes, ont accédé au pouvoir par des holdups électoraux répétés, notamment en 2011 puis 2016 et 2021.
Pour cette dernière date, j’ai personnellement dû, étant candidat, recourir à la Cour de justice de la CEDEAO pour réclamer en vain la victoire que j’ai remportée aux élections présidentielles. N’ayant pas eu gain de cause auprès de ladite Cour, j’ai dû appeler la population au calme et à la retenue, alors même qu’elle demandait, avec insistance, un mot d’ordre de ma part, pour défendre par tous les moyens, sa victoire ; et mon appel, fort heureusement, a pu ainsi contribuer à éviter à notre pays des épisodes tragiques.
Excellence Monsieur le Président,
Dans le contexte ci-dessus rappelé de la situation de mon pays, la réunion du 30 juillet 2023 de la CEDEAO, a adopté une série de sanctions aussi draconiennes qu’inédites; sanctions, qui vont bien au- delà des dispositions de l’article 45 du Protocole A/SP1/12/01 sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance, additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention et de gestion, de règlement de conflits, de maintien de la paix et de la sécurité.
Je me permettrais de rappeler ci-dessous, pour mémoire, les dispositions de cet article : « En cas de rupture de la démocratie, par quelque procédure que ce soit et en cas de violation massive des Droits de la Personne dans un Etat membre, la CEDEAOpeut prononcer à l’encontre des Etats concernés des sanctions. Lesdites sanctions à prendre par les Chefs d’Etats et de Gouvernements peuvent aller par graduation :
- Refus de soutenir les candidatures présentées par l’Etat membre concerné à des postes électifs dans les organisations internationales.
- Refus de tenir toute réunion de la CEDEAO dans l’Etat membre concerné ;
- Suspension de l’Etat membre concerné dans toutes les instances de la CEDEAO ; pendant la suspension, l’Etat sanctionné continue d’être tenu au payement des cotisations de la période de la suspension. Pendant ladite période, la CEDEAO continuera de suivre, d’encourager et de soutenir tout effort mené par l’Etat membre suspendu, aux fins de retour à la vie institutionnelle démocratique normale.
Sur proposition du Conseil de Médiation et de sécurité, li peut être décidé à un moment approprié de procéder comme il est dit à l’article 45 du Protocole ».
Les effets néfastes des sanctions retenues par le dernier sommet impacteront injustement et durablement la population nigérienne déjà frappée par la pauvreté endémique et entraineraient des déplacements massifs de réfugiés vers les pays voisins et même au-delà.
En plus de ces sanctions, l’organisation régionale a également sommé les autorités militaires en place de libérer le Chef de l’Etat déchu et de le restaurer dans ses fonctions, sous peine d’intervention militaire qui elle-même relève du Chapitre VI de la Charte de l’Organisation des Nations Unies après épuisement des dispositions du Chapitre VI de la même charte; de laquelle la CEDEAO n’a pas encore reçu mandat !
Excellence Monsieur le Président,
Ma propre expérience d’ancien Président de la République dont le mandat a été écourté par un coup d’Etat militaire, tout comme l’expérience de prises de pouvoir par les militaires dans d’autres pays de la sous-région ou d’ailleurs, enseignent qu’en pareilles circonstances, la prudence est de rigueur tout comme l’est, la résistance à toute tentation de recours à la force, si l’on veut éviter des inutiles pertes en vies humaines, tant celles des personnalités que nous voulons secourir, que celles des victimes collatérales innocentes.
Dans cet esprit, j’en appelle à la sagesse de votre Excellence et au sens de responsabilité qui est le vôtre, afin que nos plus hauts responsables régionaux sachent raison garder : qu’ils évitent des sanctions ou un recours à la force, d’efficacité plus que douteuse; préférence doit être réservée à la voie diplomatique que vous avez-vous-même si justement prônée en guise d’option de premier recours.
Excellence Monsieur le Président,
Connaissant votre sensibilité personnelle face à tout ce qui touche aux intérêts du Niger et de son peuple, je sais pouvoir compter sur votre intermédiation auprès de vos Pairs Chefs d’États et de Gouvernements, pour qu’ils œuvrent, par la diplomatie à la recherche d’une solution négociée qui aboutisse à une transition d’une durée raisonnable.
Je vous prie d’agréer, Excellence Monsieur le Président et Cher Frère, l’assurance de ma très haute considération.
Signé.
Son Excellence MAHAMANE OUSMANE