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[Installation de la municipalité du Plateau avorté] ‘’Jacques Bauer’’ entre détournements et son innocence


-Jacques Ehouo rattrapé par les caisses noires

-« J’ai une mission de salubrité publique », selon le maire intérimaire

Après l’installation de la municipalité avortée du lundi 13 décembre dernier, c’est toujours le statu quo à la mairie du Plateau où les partisans de la tête de liste, Jacques Ehouo, qui campaient dans la cour de l’institution, ont, de guerre lasse, enfin levé leur siège. Le fond du problème, lui, demeure. Que faire en effet des deux plaintes du maire intérimaire qui visent à la fois Neg-com détenu par monsieur Ehouo, qui sera à coup sûr plébiscité comme maire, et la BAPM une autre société opaque de collecte des taxes d’ODP ? Peut-on raisonnablement laisser s’installer celui qui, même bien élu, est soupçonné de dissimulation de recettes portant sur une rondelette somme de 6 milliards FCFA?

Les partisans de Jacques Ehouo l’ont mauvaise depuis que la cérémonie d’installation du nouveau conseil municipal qui devait déboucher sur celle de leur champion a été reportée sine die. Comme dans ce genre de situation, leur colère est aussitôt montée d’un cran et le gouvernement en a pris pour son grade.

Mais, les supporters de ce nouveau maire, qu’ils appellent affectueusement, Jacques Bauer, personnage principal du thriller américain intitulé 24 heures chrono, en raison de la propension de celui-ci à organiser des séances de beuverie collective pour des jeunes pendant 24 heures sans interruption, ne se sont pas arrêtés là. Pendant plusieurs jours, ils ont fait le siège de la mairie, y décourageant toute velléité de reprise du travail et terrorisant les agents.

Mais depuis deux jours, ce siège a été levé et la paix semble être revenue. Pour autant, la question relative à l’installation officielle de la nouvelle municipalité se pose toujours avec autant d’acuité. Faut-il installer monsieur Ehouo au nom de son élection comme tête de liste ou, au contraire, doit-on laisser la justice qui a officiellement reçu une plainte du maire intérimaire faire son travail ? Telle est désormais la question qui divise les observateurs de cette crise qui s’enlise à la mairie du Plateau.

Crise d’un homme

Le parti démocratique de Côte d’Ivoire qui a parrainé la candidature de Jacques Ehouo semble prêt au bras-de-fer avec la tutelle. Il suffisait pourtant que Jacques Ehouo soit écarté, le temps que les enquêtes établissent son innocence. En France, le gouvernement socialiste, en particulier, a été souvent confronté à ce genre de problème, notamment avec Dominique Strauss-Khan. Pourquoi ne pas le faire au nom de la démocratie ?

A la vérité, cette crise oppose en effet le gouvernement à l’ancien édile Noël Akossi Bendjo. Ce dernier a désigné chacun des membres de la liste du nouveau conseil municipal et n’entend point y déroger. Parce que l’élection de Jacques Ehouo lui permet de poursuivre la gestion de la commune. En sous-main.

L’ex-Maire et monsieur Ehouo ont en effet un destin lié. Le 2 février 2004, c’est en effet lui qui donne mandat à Neg-com de collecter tous les revenus apportés par la publicité. Le protocole d’accord qui n’a fait l’objet d’aucune délibération, comme l’exigent les lois en vigueur, permet à Neg-com de « recenser tous les supports d’affichage existant dans la commune du Plateau, normaliser les supports d’affichage et leur implantation à partir d’une charte graphique agréée par la mairie (…), procéder à l’émission des états de recouvrement des taxes relevant de l’occupation du domaine public et à la publicité pour tous les supports recensés, reverser à la régie des taxes le produit des recouvrements ainsi réalisés sur présentation d’un état mensuel indiquant la partie versante, les périodes concernées et le montant reversé ».

Enfin c’est monsieur Noël Akossi Bendjo qui arrête le partage suivant, à savoir « trente pour cent (30%) pour Neg-com sur tous les encaissements, retenue sur les reversements à la régie des taxes ». La régie des taxes n’a donc aucun moyen de contrôle visant à vérifier la réalité des taxes collectées…

C’est donc cette caisse noire qui est épinglée. On ne peut donc pas imaginer qu’en quatorze ans, ces errances n’ont pas été portées à la connaissance de l’ancien maire puisqu’en dépit de la plateforme exceptionnelle que constitue le Plateau, seulement 170.734.185 Fcfa ont été reversés à la commune au titre des recettes publicitaires. Sur la même période, seulement 266.815.604 Fcfa sont allés dans les caisses de la commune au titre des ODP (occupation du domaine public). Difficile de s’en laisser conter dans une telle commune.

La victoire du PDCI

Ce n’est donc pas la victoire du PDCI, qui est remise en cause. Le 13 octobre dernier, le candidat du RHDP Fabrice Sawégnon a en effet reconnu la victoire de Jacques Ehouo. La question n’est donc pas de savoir si le gouvernement ferait un forcing pour lui donner la mairie comme on le dit parfois avec beaucoup de légèretés dans certains milieux. Le vrai problème est de savoir si avec une telle ardoise, l’on peut valablement laisser s’installer le nouveau maire qui, si les soupçons du maire intérimaire, Jacques Yapi, étaient corroborés par la justice, aurait logiquement moins de scrupule à faire disparaître les preuves qui sont présentés aujourd’hui comme pièces à conviction.

La SDPP, une autre vitrine de la fraude

Le 2 avril 2010, le conseil municipal, cette fois, donne son accord au maire pour entrer dans le capital d’une nouvelle d’économie mixte. Le conseil adopte donc le budget afférent qui est de 80 millions. La société ainsi créée a pour objet en tous pays et particulièrement en Côte d’Ivoire de faire « l’étude, la gestion, la réalisation de tous travaux publics et autres dans la commune du Plateau ; la prise de participation dans toutes sociétés ivoiriennes ou étrangères créées ou à créer ».

En réalité, cette société baptisée société de développement et de promotion du Plateau est un cas de délit d’initié d’une autre nature puisque la mairie a ainsi créé une entreprise commerciale qui vise tout aussi les contrats communaux que la SDPP dont l’administrateur est bien le maire lui-même. En 2015, cette société devient pourtant celle d’un homme Claude Eho à qui la mairie a cédé ses parts dans la plus grande opacité. Le conseil municipal s’en retrouve bouche bée, trop faible pour contrarier monsieur Bendjo.

Certains parmi eux ont vent d’un hôtel cinq étoiles que des marocains doivent construire à Abidjan d’un coût de 50 milliards environ. Mais à part ça, personne ne sait ce que la SDPP a rapporté à la mairie et comment elle fonctionne. D’ailleurs, la société est bradée à son directeur.

L’opacité, la règle

Dans la plainte élevée par les avocats du maire intérimaire, ces derniers écrivent : « en l’absence de contrat, documents et d’éléments probants, la mission de revue du contrat n’a pu être effectuée normalement. Toutefois, sur la base de la délibération municipale numéro 2018-209/CPL/SG du conseil municipal dénonçant l’irrégularité du contrat et mettant fin à la convention liant la commune du Plateau à la société BAPM (ex-CIVES), la CIVES aurait alors facturé illégalement un montant cumulé de 1.122.218.761 Fcfa sur la période 2002 à 2006. »

La société CIVES devenue BAPM est l’une des sociétés de la galaxie Bendjo dirigée par son neveu Valentin Vincent Malentin. Elle a pour but de collecter les recettes relevant des taxes ODP. Elle fonctionne sur le même mode opératoire que Neg-com. Avant de signer la convention au profit de CIVES aujourd’hui BAPM, cette société n’avait pas aucune existence, encore moins d’expérience dans le secteur qu’elle occupe.

Selon les auditeurs de la mairie, elle n’établit pas de contrat et n’a pas de documents ou d’éléments probants pouvant laisser des traces dans sa comptabilité.

Kpan Charles

Encadré

Jacques Yapi, maire intérimaire du Plateau: « Je n’ai pas remis en cause la victoire du PDCI »

« Notre mission en tant que maire intérimaire est une mission de salubrité publique. Ce n’est pas pour que je reste. Je suis membre du bureau politique du PDCI.

Il s’agit d’un individu qui a pillé les ressources de la mairie en compagnie de l’ancien maire, Noël Akossi Bendjo. C’est ce que je dis. Je ne suis pas en quête d’un prix Nobel de la vertu. Ceci dit, l’utopie d’aujourd’hui est la vertu de demain. Nous avons un devoir vis-à-vis de la nouvelle génération et c’est pour elle que je fais ce que je fais.

Je n’ai pas été actionné ni par la tutelle ni par le ministre de l’intérieur. Je n’ai aucun contact avec eux. J’ai pris mes responsabilités au nom des jeunes et de tous ceux qui croient en la démocratie.

Certains me disent ce n’est pas le moment. A quel moment devrais-je le faire ? Nous devons briser ce conformisme parce que nous avons rendez-vous avec l’histoire de notre développement. Je suis un houphouëtisme mais il faut que cette situation change.

Déjà en 2012, un groupe de conseillers avaient écrit à l’inspection générale de l’Etat. Ce document est resté sans suite.

Je rappelle aussi que lorsque j’ai pris fonction comme maire intérimaire, j’ai écrit au député Jacques Ehouo pour l’inviter à une séance de travail afin de voir comment régler ce problème. Alors que je l’attendais en compagnie du trésorier municipal, il nous a envoyé un avocat que j’ai reçu par politesse. Je lui ai tendu la perche alors que lui a été mal poli ».

Retranscrit par KP. Ch.

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