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Inculpation de Dadis Camara/ Ce qui a tout déclenché


Les familles des centaines de victimes de la tuerie du stade du 28-Septembre attendaient cela depuis près de sixphoto; Dadis Camara ans. Mercredi 8 juillet, Moussa Dadis Camara, l’ancien chef de la junte militaire qui dirigeait alors la Guinée, a finalement été inculpé de « complicité de meurtres, de viols et de disparitions forcées » par la justice de son pays pour son implication dans ce massacre d’opposants. Une inculpation attendue depuis longtemps mais qui, dénonce l’opposition, ne serait pas dénuée d’arrière-pensées politiques de la part du pouvoir à quatre mois d’une élection présidentielle qui s’annonce tendue.

Aucun Guinéen n’a oublié le 28 septembre 2009. Ce jour-là, des éléments des forces de défense et de sécurité dont des « bérets rouges » de la garde présidentielle avaient tiré sur une foule de manifestants pacifiques réunis dans le grand stade de Conakry. Selon le rapport de la Commission d’enquête internationale des Nations unies, au moins 156 personnes avaient été tuées, plus d’une centaine de femmes violées, des centaines de personnes blessées et des dizaines de boutiques pillées par les hommes en uniforme.

 Le rôle des organisations des droits de l’homme et des Etats-Unis

Ces opposants, principalement des Peul membres de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), protestaient alors contre la possible candidature à la présidentielle du chef de la junte militaire, originaire quant à lui de Guinée forestière. Deux mois plus tard, Dadis Camara quittait la scène politique sur un brancard, très grièvement blessé à la tête par une balle tirée à bout portant par son aide de camp qui, dit-on, redoutait d’être livré à la justice pour son rôle dans le massacre du 28 septembre.

C’est à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso voisin, où il vivait depuis dans un exil paisible que les juges guinéens lui ont signifié son inculpation. Elle a été saluée par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) engagée depuis le début aux côtés des victimes du 28-Septembre. « Plusieurs commissions rogatoires ont été envoyées depuis 2013 par les juges guinéens à la justice Burkinabé. Cette inculpation qui participe à la, lutte contre l’impunité, était donc, non seulement espérée depuis des années, mais également prévisible, rappelle Florent Geel, chargé de l’Afrique à la FIDH. A partir du moment où les 14 autres personnes déjà inculpées, dont les anciens chefs d’Etat major et ministre de la défense, appartiennent à la même chaîne de commandement, il est logique que Dadis Camara, le commandant suprême des forces armées à l’époque, soit aujourd’hui inculpé. » Quelques jours auparavant, lors d’une visite à Conakry, la procureure générale de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, avait salué le fait que « les juges [chargés du dossier] ont reçu des moyens supplémentaires pour exécuter leur mandat en toute indépendance ».

 « Cette inculpation est donc une décision totalement politique, prise juste avant l’élection présidentielle alors que le dossier n’avait pas bougé en cinq ans », dénonce Sekou Cherif Fadiga, porte-parole de l’UFDG

Cette indépendance, l’opposition n’y croit pas une seule seconde. « Depuis son élection en 2010, le président Alpha Condé a totalement caporalisé les institutions de la République, y compris la justice. Cette inculpation est donc une décision totalement politique, prise juste avant l’élection présidentielle alors que le dossier n’avait pas bougé en cinq ans », dénonce Sekou Cherif Fadiga, porte-parole de l’UFDG. Les agendas politique et judiciaire se percutent en effet d’une façon troublante.

En juin, Dadis Camara, 51 ans, avait surpris tout le monde  en annonçant sa candidature à la présidentielle du mois d’octobre et son retour prochain en Guinéee. Peu après, alors que l’on soupçonnait une alliance tacite avec Alpha Condé, comme en 2010, le même Dadis prenait tout le monde à contre-pied en se rapprochant de l’opposition, l’UFDG en l’occurrence, parti qu’il avait martyrisé en 2009. Quelques jours encore, donc, et le fantasque capitaine Dadis était inculpé par la justice hypothéquant ses chances de retour et de mener au bout sa candidature et son alliance avec l’UFDG. « Il ira jusqu’au bout », promet pourtant son conseiller politique Ahmed Korouma. « Cette inculpation est même une bonne nouvelle parce qu’il aura ainsi accès au dossier », ajoute-t-il. 

Camouflet pour Cellou Dalein Diallo

Ce rebondissement judiciaire, impensable il y a encore quelques mois, aura pourtant des conséquences politiques. Elle met notamment en péril le projet d’alliance, contre-nature, entre l’UFDG et son ennemi d’hier, même si Dadis Camara a toujours nié être le commanditaire de la tuerie. « Nous devions rompre l’isolement dans lequel Alpha Condé essaie de nous maintenir », explique Bah Oury, vice-président du parti. Dans ce pays où la géographie politique épouse celle des ethnies, les « Forestiers » pèsent environ 12 % de l’électorat et Alpha Condé, un Malinké, avait gagné en 2010 contre Cellou Dalein Diallo en battant campagne sur le thème « tout sauf un Peul ».

La grosse colère des autorités burkinabés

« Le rapprochement entre les deux communautés les plus maltraitées par le régime – les Peul et les Forestiers – est naturel », ajoute Bah Oury. « Ce projet d’alliance a été très mal perçu par certains de nos membres », reconnaît pourtant Sekou Cherif Fadiga. « Ceux-là se placent sur un plan moral alors que cette alliance est politiquement utile pour nous », argumente Sekou Cherif Fadiga.

« Ce calcul risqué sur le plan intérieur a aussi l’inconvénient de déplaire non seulement à la CPI mais surtout aux Etats-Unis. Les diplomates américains ont fait pression pour que l’enquête sur les violences du 28-Septembre avance et ils considèrent que le retour de Dadis est un facteur de déstabilisation », confie un ministre guinéen. La candidature de Dadis annoncée depuis la capitale du Burkina Faso a également mécontenté le gouvernement de transition en place au Burkina Faso depuis la chute de Blaise Compaoré, le protecteur de Dadis balayé par la rue en octobre 2014. « En voulant revenir sur la scène politique, Dadis a sans doute cherché à protéger son impunité, mais il a trahi le gentleman agreement convenu avec les autorités burkinabées et guinéennes. Le timing de cette inculpation n’est pas idéal pour nous mais Dadis a lui-même déclenché une machine qui va l’emporter », conclut le ministre en se frottant les mains.

Le Monde Afrique

Le titre et les surtitres sont de la rédaction

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