Contribution

Il faut en finir avec la Démocratie de l’Angoisse


Touré Moussa, Directeur de la Communication du PAN, GKS (Ph:Dr)

Touré Moussa, Directeur de la Communication du PAN, Guillaume Kigbafory Soro (Ph:Dr)

J’aime particulièrement cette expression popularisée par le politologue béninois Gilles Olakounlé Yabi : la démocratie de l’angoisse. Cette expression, extraite d’une étude examinant l’intensité anticipée des futures confrontations électorales dans six pays d’Afrique de l’ouest – dont la Côte d’Ivoire – traduit l’angoisse des populations aux plans politique et sécuritaire.

La Côte d’Ivoire qui se relève lentement de deux décennies d’agitation démocratique se trouve, à 18 mois de la future présidentielle, au carrefour de toutes les confluences stratégiques. Qu’on s’en souvienne, depuis le décès de Félix Houphouët-Boigny, ce pays est plongé dans un vertige sans fin, qui fait qu’il n’a pas connu cinq années de stabilité d’affilée. Henri Konan Bédié a dû faire face au mot d’ordre de boycott actif lancé par le Front républicain en septembre-octobre 1995. Il a révoqué le Général Robert Guéi de l’Armée le 14 août 1996, l’a placé en résidence surveillée, puis a lancé le 18 novembre de la même année une purge dans l’Armée au cours de laquelle six officiers et un sous-officier sont arrêtés, a affronté la colère du contingent des Casques Bleus ivoirien de la MINURCA rentrés de Centrafrique, avant d’être renversé par un coup d’Etat piloté par le Général Guéi, en décembre 1999.

Le chef du CNSP sera à son tour évincé du pouvoir, après 10 mois à la tête de l’Etat, suite à une conjugaison d’action entre les chars du Groupe Escadron Blindé de la Gendarmerie de Jean Noël Abéhi, ceux du bataillon blindé de Dogbo Blé Brunot et les milliers manifestants qui ne voulaient plus de militaires au pouvoir et dont certains réclamaient la reprise de l’élection. Entre temps, ses jeunes gens avaient instauré la terreur rouge des Camora, PC Crise et autre Cosa Nostra qui faisaient office de justiciers dans la ville.

Laurent Gbagbo qui lui succède, inaugure sa mandature par un massacre de masse le 28 octobre 2000: le charnier de 57 corps découverts à Yopougon, qui à ce jour, est demeuré dans la conscience populaire comme la profanation suprême et la rupture de la digue morale qui contenait encore les passions politiques.

D’autres massacres suivront comme celui des 24, 25 et 26 mars 2004 où il fit réprimer dans le sang une marche de l’opposition dite du « G7 ». Selon le rapport de la Commission d’enquête de l’ONU qui a séjourné en Côte d’Ivoire du 15 au 28 avril 2004: « Les 25 et 26 mars, des civils innocents ont été tués de façon indiscriminée et des violations massives des droits de l’Homme ont été commises. La marche est devenue un prétexte à ce qui s’est avéré être une opération soigneusement planifiée et exécutée par les forces de sécurité, c’est-à-dire la police, la gendarmerie, l’armée ainsi que des unités spéciales et des forces parallèles, sous la direction et la responsabilité des plus hautes autorités de l’Etat ».  Le rapport précise en outre : « Au moins 120 personnes ont été tuées, 274 blessées et 20 sont portées disparues » et ajoute que : « ces chiffres ne sont en aucune façon définitifs ». Je termine par cette partie du rapport : « Des preuves écrasantes suggèrent que ces tueries n’ont pas été provoquées et n’étaient pas nécessaires. Il est également évident que certaines communautés étaient visées, notamment les gens originaires du nord du pays ou de pays voisins (spécialement Burkina Faso, Mali et Niger) ».

Et bien entendu, je n’occulte pas l’opération militaire lancée dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002 par des civils et des militaires exilés pour stopper la dérive nazie du régime de Gbagbo, et qui, par la force des choses s’est muée en une rébellion qui a occupé plus de la moitié du territoire nationale pendant huit ans.

A 18 mois de la présidentielle d’octobre 2015, nous marchons d’un pas groupé vers ce scrutin qui doit confirmer le nouvel ancrage démocratique de la Côte d’Ivoire et ouvrir à ce pays les portes de l’espérance et la moisson du fruit des efforts consentis pendant cinq ans.

Nous y allons donc, groupés, mais en ayant en mémoire que ce que Guillaume Soro a appelé « la cause préjudicielle de la crise ivoirienne » n’a pas encore été traité de manière efficace et définitive. Il s’agit de la question de la nationalité ivoirienne, à titre de nationalité d’origine.

 Pour peu qu’on suive l’actualité de ce pays, on sait aujourd’hui qu’en Côte d’Ivoire pour être ivoirien, il suffit d’avoir un parent ivoirien ou d’acquérir ce titre de citoyenneté par naturalisation, mariage, adoption, ou, selon les termes de la dernière loi votée par l’Assemblée nationale, par déclaration assortie de preuves devant le Procureur de la République. Donc être Ivoirien, c’est clair, c’est connu. Mais être Ivoirien d’origine, qu’est-ce que cela veut dire exactement ? L’article 35 de la Constitution du 1er août 2000, qui fonde la Deuxième République, stipule en son article 35 :

« Article 35 : Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Il n’est rééligible qu’une fois.

Le candidat à l’élection présidentielle doit être âgé de quarante ans au moins et de soixante quinze ans au plus.

Il doit être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine.

Il doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne.

Il ne doit s’être jamais prévalu d’une autre nationalité. (…) »

Cet article pose, parmi les dix conditions d’éligibilité à la présidence de la République, la problématique de la double certification de la nationalité ivoirienne du candidat en tant que nationalité d’origine : l’être soi-même et l’être aussi des deux parents eux-mêmes ivoiriens d’origine. Je ne dirai pas un mot sur l’aberration que constitue le groupe de mots : « ne s’être jamais prévalu d’une autre nationalité ». Les experts ont disserté à foison sur l’absurdité juridique de cette notion. 

La question que je me pose : comment peut-on être, aujourd’hui, ivoirien de 40 ans au moins et avoir ses deux parents ivoiriens d’origine ? En octobre 2000, la Cour suprême sous Tia Koné, pour contourner la difficulté juridique de la preuve de la naissance en tant qu’ivoirien d’origine a usé de subterfuges. Ainsi, l’on a vu un candidat produire un arbre généalogique comme preuve de la nationalité ivoirienne d’origine de ses parents, ou cet autre, qui a présenté une déclaration sur l’honneur attestant que ses deux parents étaient bien ivoiriens d’origine. Pourtant ni l’un ni l’autre ne portaient le nom de famille de leurs pères présomptifs. Et n’avaient aucun document officiel attestant de la qualité alléguée à leurs géniteurs.

Il faut donc régler définitivement la question de la nationalité ivoirienne en tant que nationalité d’origine en en précisant les contours exacts et en clarifiant d’autant, les règles d’acquisition de cette nationalité.

Je suis convaincu que pour cela, il faut accorder notre Loi fondamentale avec le Code de la Nationalité, pour nous mettre dès à présent, à l’abri de troubles prévisibles à l’ordre public. En cela, je pense que le projet de révision de la Constitution, qui a été l’un des points du débat présidentiel entre Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo sur lequel ils sont tombés d’accord, doit maintenant être examiné, froidement.

Les arguments ne manquent pas en faveur de la révision constitutionnelle, notamment en son article 35. Personnellement,  je pense bien fondée cette proposition d’Epiphane Zoro, l’ancien « petit juge de Dimbokro » aujourd’hui Directeur général de la Commission nationale de la Francophonie, pour qui : « la nouvelle disposition pourrait simplement affirmer que pour être candidat à l’élection présidentielle, il faut être Ivoirien d’origine, tout en laissant le soin au code électoral et donc au Parlement le soin de clarifier cette notion d’Ivoirien d’origine. En outre la formule constitutionnelle «ne s’être jamais prévalu» d’une autre nationalité doit être supprimée, parce qu’elle ne signifie rien du tout, du point de vue juridique. »

Mais au moment où l’on pousse à la roue pour cette modification, ceux qui la veulent ici et maintenant, avant la présidentielle de 2015, ont-ils bien mesuré les effets secondaires de cette thérapie d’urgence?

Qu’on en avise : en 18 mois, peut-on raisonnablement imaginer que notre pays se lance dans l’aventure de l’organisation irréprochable de deux scrutins majeurs, à savoir un référendum constitutionnelle et une élection présidentielle au moment même où le recensement général de la population traîne en longueur ? Ces deux consultations populaires mobilisent le même collège électoral, les mêmes moyens matériels et financiers, la même fièvre populaire, le même dispositif média, la même attention de la communauté internationale…

La posture des « immédiatistes » trahit en réalité un agenda caché qui, au fond, n’est pas aussi caché qu’il veut le paraître. Si, en effet, le Président de la République accepte de faire clarifier, même par voie référendaire, la question de la nationalité ivoirienne en tant que nationalité d’origine, il ouvre, à nouveau, les écluses d’un débat dont le flot est en voie de tarissement. Le débat sur le « ET » et le « OU ». La campagne référendaire, et par voie de conséquence la campagne présidentielle, seront parasitées par ce débat et en porteront la marque infâmante. En effet, si comme, on peut raisonnablement le présupposer, une majorité se dégage en faveur d’une réécriture de l’article 35 de la Constitution, l’opposition frontiste aura beau jeu de crier au tripatouillage de la Loi fondamentale pour permettre au président de la République de briguer un second mandat. Et un amalgame malsain sera, bien évidemment, fait entre le recensement général de la population et le résultat de l’élection, pour faire accroire une seule chose : Alassane Ouattara s’est taillé une Constitution sur-mesure et un collège électoral à sa portée. Sommes-nous prêts à accepter une telle tache sur l’élection du « brave-tchê » ?

Tout le monde sait que le Président de la République de Côte d’Ivoire, victime emblématique de l’iniquité érigée en raison d’Etat et archétype même du déni de justice, n’a point besoin d’une révision constitutionnelle, pour être candidat et être réélu. Son bilan parle pour lui. Et le Droit a toujours été de son côté, même si la Justice ne l’a pas toujours été. De plus il dispose désormais d’une plateforme politique robuste et d’un consensus de plus en plus large autour de sa candidature. Pourquoi prendre le risque de voir ternir, par des allégations tendancieuses, une victoire qui s’annonce éclatante ? Cette présidentielle offre l’occasion au Conseil constitutionnel de réunir le Droit et la Justice et, ce faisant, de se réhabiliter de ses erreurs passées.

Aujourd’hui plus qu’hier, les appareils de partis et les organisations de la société civile font chorus autour de la personne d’Alassane Ouattara. En juin 2013, à Dakar, le Président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire a lancé un appel solennel à un consensus autour de la candidature d’Alassane Ouattara en 2015, pour qu’il soit élu dès le premier tour. « Je soutiendrai le Président Ouattara. Je l’accompagnerai pour qu’il soit réélu en 2015 au premier tour, pour consolider les acquis de sa politique de développement de la Côte d’Ivoire » a-t-il déclaré à la RTS. Au sortir de son deuxième congrès ordinaire en décembre 2013, l’UDPCI présidée par le Dr Albert Mabri Toikeusse a officiellement choisi Alassane Ouattara comme candidat à la présidentielle de 2015. Pour Mabri, le consensus autour d’Alassane Ouattara est une évidence. «Nous gérons le pouvoir ensemble. C’est le PDCI qui oriente la mise en œuvre du programme de gouvernement du chef de l’Etat à travers le Premier ministre, Daniel Kablan Duncan. Tandis que l’UDPCI, avec le ministère du Plan et du développement est chargée de l’élaboration des stratégies pour la bonne application de ce programme. Cela veut dire que tous les partis du RHDP seront engagés dans le bilan en 2015. Dans ce sens, qu’est-ce que le candidat de l’UDPCI dira au peuple contre ceux du RDR, du PDCI et du MFA ? Qu’est ce que le candidat du RDR dira contre ceux de l’UDPCI et du PDCI ? C’est clair, nous ne pouvons pas nous permettre cela. Je suis certain et convaincu que la candidature unique sera effective en 2015 » a-t-il déclaré.

Mieux, des députés issus des différents partis membres du Rhdp se sont constitués en un groupe baptisé le « G25 », présidé par le député de Sassandra, Basile Fregbo. Leur objectif : obtenir qu’Alassane Ouattara soit le candidat unique du Rhdp. « Cette candidature unique est à notre sens, le meilleur moyen de conserver le pouvoir, de continuer de faire bénéficier du savoir-faire du Rhdp aux populations et de maintenir la confiance des bailleurs de fonds », estime M. Fregbo.

Gnamien Konan, président de l’UPCI, parti politique nouvellement membre du Rhdp, a indiqué qu’il renonçait à être candidat à la présidentielle pour se rallier à Alassane Ouattara. Il revendique même d’avance le poste de Directeur de campagne.

C’est vrai, le PDCI-RDA, l’un des poids lourds de cette plateforme politique ne s’est pas encore prononcé sur cette question, attendant sa Convention de 2015. Mais son président, Henri Konan Bédié, Président également du Rhdp, avait déclaré à ce propos : « On ne change pas une équipe qui gagne ».

Le président de la République lui-même, répondant à une question de RFI sur cette question, a indiqué qu’il serait heureux d’une candidature unique au sein du Rhdp. « (…) Je serais très heureux d’une candidature du Rhdp pour soutenir l’action du gouvernement Rhdp, qui travaille actuellement sous mon autorité » a-t-il déclaré en décembre 2013 au micro de Christophe Boisbouvier. Et de préciser : « c’est un rassemblement de personnes qui ont la même philosophie et qui travaillent ensemble dans le cadre d’un gouvernement, qui donne des résultats pour la Côte d’Ivoire, pour les Ivoiriens. Et je considère que c’est une chance que nous puissions continuer ce travail tous ensemble ».

Le Mouvement National de Soutien à la Candidature Unique au Rhdp (Monascau-Rhdp), puissant appareil de mobilisation en faveur  de la candidature d’Alassane Ouattara, a installé Guillaume Soro à sa tête le jeudi 10 avril 2014, pour catalyser les efforts de la société civile autour de cet objectif. Après cela que reste-il sur le chemin de la réélection d’Alassane Ouattara? Pas grand-chose.

Alors, allons à la révision de la Constitution. Mais allons-y après le triomphe prévisible d’Alassane Ouattara à la future présidentielle, pour que, saisissant cette exceptionnelle fenêtre d’opportunités, il puisse procéder dans un environnement apaisé, à la reddition des comptes moraux de la Nation. Et faire le réarmement moral de ce pays, en expurgeant de son corps le venin ivoiritaire. Loin de toute angoisse.

 

Moussa TOURE

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