« HAMED BAKAYOKO ET LE SCANDALE DE LA DROGUE », par Vincent Toh Bi Irié
Abidjan, 17-03-2021 (lepointsur.com) Il est 20h48, je suis dans une ruelle de Treichville où je me coiffe généralement. Mon téléphone sonne : “Tohbi (quand il prononce mon nom avec un seul i, c’est qu’il est préoccupé). Tohbi, tu es où ? Tu as vu ce qui se passe sur les réseaux sociaux ?’’.
Hamed Bakayoko assure l’intérim du Premier Ministre Amadou Gon Coulibaly, absent du pays.
On est un Dimanche et depuis le matin, les réseaux sociaux bruissent : Hamed Bakayoko serait lié à des histoires de drogue, selon certains canaux d’information.
“Oui. Je suis depuis le matin’’, je lui réponds.
Il s’écoule un long moment de silence. En pareille circonstance, je me tais et je l’écoute : “Tohbi, tu as été avec moi toutes ces années. Tu rentres dans mon bureau 20 fois par jour, on est en relation permanente, tu crois que j’ai pu faire ça ?’’.
Je suis choqué par la question. Ça, ce n’est pas Hamed Bakayoko que je connais.
“Ce que je crois en ce moment précis n’est pas important, les réseaux sont en feu…“Il m’interrompt tout sec et d’une voix très calme, il reprend : “Tohbi, est-ce que tu crois ce qui se raconte ?’’.
Il s’en suit un long silence : “Il s’est toujours raconté des choses sur moi sur les réseaux sociaux, je n’ai jamais réagi. Mais cette fois, ils sont allés trop loin’’.
Ils ? Qui ? On ne pose jamais de questions professionnelles à Hamed Bakayoko quand il est dans un état de préoccupation.
Il poursuit calmement : “Je ne peux laisser passer cette affaire. Je vais réagir. Tohbi, prépare moi quelque chose.’’ Je lui réponds : “C’est déjà fait. Je vous ai envoyé un projet de réaction il y a 30 minutes.’’
“Ah bon’’, répond-il.
En 2020, je ne suis plus Directeur de Cabinet. Je suis Préfet d’Abidjan. Mais j’ai toujours une bonne relation distante avec mon grand frère…malgré les nuages qui commencent à s’amonceler autour de ma fonction (une autre histoire…) et une flopée de colporteurs.
Il est mon grand frère. Je connais ses réflexes. Ce Dimanche matin, dès que j’entends les allégations de drogue autour de lui alors qu’il assure l’intérim du Premier Ministre, je mesure qu’une bataille de communication à immenses conséquences va commencer. Je prends l’initiative de rédiger une réaction personnelle privée pour lui et pour sa page Facebook et je la lui envoie avant qu’il ne m’appelle parce que je sais qu’il va m’appeler.
“Ah bon ? Tu as déjà rédigé. Okay. Je lis et je te rappelle’’.
Quelques minutes plus tard, il m’appelle avec Yolande. Chaque fois que je travaille sur un document avec Hamed Bakayoko et que l’enjeu est grand, Yolande est toujours là. Elle est notre arbitre et sa conseillère.
Mais dans ce cas précis, elle est Avocate et il y a des volets du dossier pour lesquels elle va nous orienter.
Nous travaillons et refaisons les versions. Au fur et à mesure que nous avançons, Hamed retrouve son humeur. Il me taquine. Les Tohbiiiiiii reprennent. Yolande change quelques mots qui peuvent prêter à confusion. Nous sommes d’accord avec elle. On finit à 01h du matin… en théorie. Je sais que ma nuit est perdue. Je connais le Monsieur, il va me rappeler. Ça ne rate pas. Il rappelle à 02h, puis à 06h. À 08h, il ajoute un dernier paragraphe qui me dérange car il rompt avec l’harmonie générale du texte. Mais il insiste. Je m’incline. Je sais qu’après sa réaction personnelle à lui, il va mettre à contribution ses services pour les réactions officielles. Hamed prend les avis de tout le monde pour être sûr qu’il est dans le bon.
À 11h, il finit une réunion et me rappelle : “Je vais faire publier sur ma page maintenant. Tu as quelque chose à ajouter ?’’.
“A part votre dernier paragraphe, je n’ai aucune réserve’’. “Hey Tohbi, tu laisses pas palabre deh !!’’.
Au-delà de son tempérament baroudeur et joyeux, Hamed est extrêmement sensible sur certaines choses. Je peux me tromper, mais cette allégation de drogue est l’un des plus grands chocs de sa vie.
Au moment où j’écris ce témoignage, j’entends encore son silence assourdissant lorsqu’il m’a appelé ce jour-là et j’en ai le cœur déchiré. Hamed a eu mal dans son être profond. Je ne l’avais jamais vu dans un état pareil. Je préfère même ses cris, ses pressions, ses colères et les 21 projets de discours.
Mais quand Hamed est calme et trop calme, il ressemble à un homme vidé. Il parle peu en ce moment-là.
J’ai eu mal pour le Ministre d’Etat, un homme bon, malgré ses défauts qu’il avait l’humilité de reconnaître. Il me semblait si seul subitement. Il assistait à la violence des posts sur les réseaux sociaux et dans la presse, déchaînés contre lui en quelques heures. Mais il avait le courage de lire les nombreuses injures et sarcasmes à son encontre.
Il y a tant de bonheur à partager sur cette terre, tant de fraternité à éclore, tant d’Amour à célébrer, pourquoi nous détruisons-nous avec autant d’acharnement ?
Il nous faut revenir à notre humanité et à la simplicité de cœur car ce sont elles qui seront le bilan réel de notre vie à la fin de notre parcours sur terre.