Guinée : marée humaine pour le retour de Condé à Conakry
Le président guinéen Alpha Condé a été accueilli, jeudi, à Conakry par une marée humaine venue l’ovationner depuis l’aéroport jusqu’aux Palais présidentiel. Monsieur Condé n’a cependant pas fait de discours à son arrivée, laissant intacte la tension qui couve dans le pays depuis les manifestations de l’opposition qui reproche au chef de l’Etat des envies d’un troisième mandat.
Juché sur un siège-avant, dans la partie décapotable de son véhicule, le président guinéen, Alpha Condé, le droit poing levé en guise de salutation, est rentré jeudi dernier à Conakry de retour du sommet Russie-Afrique via Paris. Plusieurs milliers de ses supporters, uniforme immaculé ou multicolore aux couleurs de son parti, se sont mobilisés sur le parcours du cortège.
Arrivé à l’aéroport de Conakry à midi, Alpha Condé est finalement rentré chez lui sous le coup de dix-neuf heures happé pendant des heures par la foule. A 81 ans, le chef de l’Etat guinéen qui n’a pas fait de discours a néanmoins réussi à montrer qu’il était en bonne santé et qu’il pouvait encore tenir debout alors que son pays amorce une nouvelle période de turbulences.
Car à Conakry, les dernières manifestations de l’opposition ont laissé des traces. Une partie de la direction du Front national pour la défense de la constitution (FNDC) a en effet été interpelée la veille de la marche du 17 octobre et six personnes parmi ses leaders ont été écrouées par la justice. Ces premières condamnations ont créé un début de polémique autour de la grâce présidentielle mais aussi au sujet du nombre des victimes de la marche, l’opposition évoquant treize morts tandis que le gouvernement n’en reconnait que trois dont deux dans la commune de Ratoma, fief du leader de l’opposition Cellou Dalein Diallo, et un à Mamou, un gendarme notamment, à environ 240 km de la capitale.
La guerre des morts est ainsi déclarée depuis ce jour, puisque toutes les victimes alléguées ont été séquestrées sur ordre du procureur de la République pour des raisons d’enquête. De sources proches de celui-ci, l’autopsie des victimes a été achevée depuis quelques jours seulement. Toutes seraient mortes de mort violente mais on n’en sait rien sur les armes ayant causé leur décès.
Par ailleurs, les circonstances de l’enlèvement des corps des victimes continuent de préoccuper les enquêteurs. Selon l’opposition, ceux-ci ont été enlevées par la Croix rouge Guinée qui a confirmé l’information. Ainsi, une seule ambulance a contribué à l’enlèvement de quatre corps sans satisfaire aux mesures protocolaires en vigueur. Notamment en présence d’un médecin légiste pour éviter d’éventuelles manipulations. Car il y aurait eu des cas de manipulation sur des cadavres dont certains ont transité par des cliniques dont les responsables sont réputés proches de l’opposition.
Par ailleurs, des écoutes attesteraient que les responsables de la Croix rouge Guinée et des organisateurs de la marche sont entrés en contact quelques heures avant la marche, certains des échanges ayant duré plusieurs heures. En tout cas, le procureur devrait lancer son enquête dans les prochains jours. Ce qui devrait encore contraindre l’opposition à attendre alors que celle-ci commence à s’impatienter et veut enterrer ce qu’elle appelle ses morts.
Pour contraindre le chef de l’Etat guinéen à lâcher du leste, l’opposition a en effet choisi d’investir le front de la communication, d’où la tentation d’exploiter l’émotion d’une répression. Mais il va lui falloir attendre la fin des enquêtes qui dureront encore des mois pour enterrer ses morts.
Pendant ce temps, le gouvernement ne démord pas. Un calendrier électoral doit en effet voir le jour dans les prochains jours après que la commission organisant les élections s’est aperçue que le délai de décembre n’était plus tenable. Cela dit, les élections législatives auront bien lieu, surtout que depuis plus d’un an le mandat des députés est arrivé à expiration. Ce dont l’opposition parle peu.
Le pays est également sous la férule d’une constitution qui est une compilation de lois corporatistes. En janvier 2010, des accords dits de Ouagadougou avaient été négociés sous la médiation de Blaise Compaoré pour mettre fin à la gouvernance des militaires qui commençaient à s’éterniser. Ces accords prévoyaient la création d’un conseil national de transition dès février 2010 et en 2010 l’adoption du projet d’une nouvelle constitution suivie en mai de la même année la promulgation de celle-ci par ordonnance.
La commission de relecture nommée par ordonnance a ainsi permis de « procéder à la relecture et à l’adoption des dispositions constitutionnelles, des lois organiques et des textes électoraux relatifs au bon déroulement du processus électoral » de « jouer tout rôle législatif en rapport avec le processus de transition » et « d’assurer le suivi et l’évaluation de l’action gouvernementale », ainsi que « l’évolution du processus électoral en particulier les activités de la CENI et contribuer à la réconciliation nationale ». La Guinée n’a donc pas eu de constitution au terme de la transition militaire. En revanche, la classe politique avait décidé de faire contre mauvaise fortune bon cœur en laissant au vainqueur de l’élection présidentielle de convoquer une constituante.
En attendant, le projet de constitution devenait la constitution du pays. Une constitution que les partisans du président Condé qualifient de corporatistes, y compris l’ancien premier ministre guinéen de la transition Jean-Marie Doré. Pour lui, « certains avaient intérêt que ce texte confus qui a créé des institutions qui se chevauchent les unes sur les autres soit adopté comme ça. Vous allez voir si on crée les institutions, il y aura une confusion de compétences de la cour constitutionnelle, la cour des comptes et la cour suprême. Il fallait réfléchir pour savoir quel est l’espace réservé à la presse, à la chambre d’agriculture, à la chambre de commerce, au gouvernement, à l’assemblée nationale. C’est très important les concepts de libertés, de parti politique ; il fallait que ça soit bien défini pour éviter qu’il y ait des chevauchements dangereux », assure-t-il pour justifier l’urgence d’une nouvelle constitution plus moderne et mieux écrite.
Son analyse reste d’actualité puisque le président guinéen considère que la constitution d’aujourd’hui « rend (par ailleurs) le fonctionnement du pays difficile puisque nous sommes obligés de faire des accords politiques qui sont contraires à la constitution. Deuxièmement, ce qui est normalement du domaine de la loi dans le système français est la loi organique. Or, il faut la majorité des deux tiers et ce qui relève du domaine de la loi organique se retrouve dans la constitution ». Bref, pour Condé il faut une nouvelle constitution qui s’adapte aux réalités et enjeux du monde d’aujourd’hui. « Cela n’a rien à voir avec le troisième mandat », dit-il.
JEANNE TETIAHONON
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