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Grand reportage Bouna: Après les affrontements mortels de mars 2016 (1ère partie)


-Difficile re-cohabitation  des différentes communautés

Abidjan, 14 7 16 (lepointsur.com) Officiellement, les affrontements mortels de mars mars 2016, entre les différentes communautés de Bouna faisaient  33 morts, 52 blessés, et 2.640 déplacés internes, à Bouna. Nous sommes dans le chef-lieu de la région du Bounkani, dans le district du Zanzan, dans le nord-est de la Côte d’Ivoire où chaque seconde compte pour une cohésion sociale.

L’élévateur-cultivateur peulh, Sidibé Amidou, nous montre ici, les films de l'examen de la radio du médecin et explique que l’attaque s’est passée non loin du village de Gnandégué. Ph.S.K

L’éléveur-cultivateur peulh, Sidibé Amidou, nous montre ici, les films de l’examen de la radio du médecin et explique que l’attaque s’est passée non loin du village de Gnandégué. Ph.S.K

Plus de deux mois après ces évènements douloureux, notre équipe de reportage s’est rendue à Bouna dans cette région située à 603 km d’Abidjan et à 30 km de la frontière ghanéenne. Elle est le chef lieu de la région du Bounkani, dans le Nord-Est de la Côte d’Ivoire.

Il est 9h, ce mercredi 29 juin 2016. Le temps est beau. A droite de l’artère principale de la ville (Abidjan-Bouna), se dresse la préfecture de Bouna  en chantier. Des ouvriers profitent de ce temps clément pour monter des murs. Juste en face, l’enceinte de la mairie accueille un fort détachement des éléments des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci). « Ce n’est pas un camp militaire, c’est notre mairie. Ce sont les Forces républicaines déployées par le gouvernement pour assurer la sécurité des populations », nous informe le secrétaire général de la mairie, Coulibaly Seydou. Les éléments des FRCI sont cantonnées là. Les couloirs de la mairie sont transformés en de véritables dortoirs avec des matelas, draps etc., entreposés ça et là. Une image dégradante qui ternit la beauté extérieure d’une mairie avec de nouvelles couches de peinture.

Les commerces, eux, ont repris. Les rues du grand marché, au quartier Piawari, jouxtant la cour royale de Bouna sont bondées de monde. Dans ce marché situé au nez et à la barbe du royaume du Bounkani, les  moteurs de motos vrombissent. Les tricycles (engins à trois roues motrices avec porte-bagages) font des va-et-vient. La vie semble reprendre son cours normal comme si une grande partie de ce marché n’était pas partie en fumée, le lundi 24 mars.

Un peu plus au nord, la communauté lobi s’est réorganisée en créant son propre marché à Gbonontchara, un quartier où elle est majoritaire. « J’ai fait créer le marché de Gbonontchara dans notre quartier pour éviter des accrochages entre les commerçants », explique le chef de la communauté lobi, Bitaté Hien. Les tricycles sont les moyens de locomotions les plus prisés, tant dans la ville que les villages environnants. Aucune présence de taxi-ville pour cette population d’environ 26 mille âmes.

A quelques pas de là, des cultivateurs-éleveurs constitués de migrants, déplacés des affrontements, vivent encore sous le choc de cette barbarie. Au fait, quelle est l’origine du conflit qui a endeuillé le Bounkani et l’a mis sous les rampes de l’actualité pendant des semaines? « Les bêtes des Peulhs détruisent, depuis des années, les cultures des cultivateurs lobis. Excédée suite à une énième destruction, la jeunesse s’en est prise aux éleveurs et à leurs tuteurs» , révèle le chef de la communauté lobi, Bitaté Hien. « Le feu est parti du village de Panzarani, à une vingtaine de kilomètres de Bouna, et a embrasé les bleds environnants, avant que les miliciens n’attaquent le marché de ville », précisent le président du Collectif des Victimes de Miliciens dozos lobis dans le Bounkani (Cvmdlb), Mohamed Junior Ouattara et la majorité des personnes interrogées.

Plus de 4 heures avec les déplacés des affrontements

La communauté peulh a reçu en notre présence, le don de 25 seaux.Ph.S.K

La communauté peulh a reçu en notre présence, le don de 25 seaux.Ph.S.K

Au quartier Zongo, vers la voie en direction du Ghana,  le chef de la communauté des éleveurs- cultivateurs de Bouna, Sidibé Dramane et des réfugiés de sa communauté profitent du beau temps. Assis sur des nattes, sous l’anacardier en face de la maison qu’ils louent depuis les évènements douloureux, ils devisent, quand, aux environs de 13h, notre présence interrompt leur causerie. L’émotion est encore vive, la tristesse et la désolation se lisent dans leurs regards. Pour eux, le processus de la cohésion passe par le rétablissement de la vérité et de la justice. « Soyez les bienvenus ! Vous partagez avec nous que  quand un éleveur est assis, c’est qu’il veille sur son bétail qui s’abreuve ou qui broute. Malheureusement, depuis les affrontements de mars dernier, la majorité des éleveurs est en ville. C’est notre nouvelle vie quotidienne que vous découvrez actuellement », indique Sidibé Dramane.

Assis au premier rang, parmi les siens, l’homme âgé  d’une soixantaine d’années a du mal à trouver les mots, pour nous faire la genèse des affrontements. Entre deux soupirs, il se ressaisit et raconte. «Ceux qui ont volé, pillé nos biens  matériels et financiers, tué dans nos familles, ainsi que nos bêtes, ne nous visaient pas. Ils visaient plutôt  ceux qui nous ont accueillis sur cette terre de Bouna », lâche-t-il, le visage grave.

A l’en croire,  il y avait eu plusieurs cas de destructions de cultures par leurs bétails, qui  avaient  été réglés, sans que l’on verse le sang de qui que ce soit, et qu’ils avaient  continué à vivre en parfaite harmonie. Le chef de la communauté peulh nous invite à faire un tour au palais de Justice où, selon lui, certains de leurs bourreaux contre qui ils ont porté plainte sont ‘’libérés ‘’. « C’est pour toutes ces raisons que nous avons fui nos campements pour venir rester en ville à Bouna », explique-t-il.

L’un de ses compatriotes, Sidibé Adama, abonde dans le même sens et invite les autorités administratives et politiques à s’engager auprès du chef de l’Etat pour le retour à la cohésion sociale. « Nous avons déposé des plaintes contre nos bourreaux que nous avons  bien identifiés, mais ils ne sont pas arrêtés. Et comme nous les connaissons, nous préférons rester en sécurité en ville. Seuls quelques uns de nos enfants vont dans nos campements pour veiller sur certaines têtes de nos bétails que nous avons pu retrouver, après les événements », indique-t-il.

L’une des victimes, Sidibé Amidou, la main tremblotante, sort d’un petit sac à main, une grosse enveloppe pliée, et brandit le certificat de genre de mort de l’une de ses épouses, Sankari Fatoumata; Il y est mentionné : ‘’en rapport avec une fusillade’’. Le certificat de genre de mort est signé du médecin-chef de l’hôpital de Bouna, Dr Yohou Brice Oscar, en date du 24 mars 2016. Dans ce rapport, dame Sankari Fatoumata, âgée de 40 ans, est ‘’décédée des suites de blessures.’’

Le mari de la défunte, Sidibé Amidou, explique que l’attaque s’est passée non loin du village de Niandégué, le 24 mars au moment où, suite à des appels de ses ‘’frères’’ l’avertissant d’une éventuelle agression, il cherchait à mettre son épouse à l’abri à Bouna. Chemin faisant à moto, il a été attaqué par  des miliciens. Il s’en est sorti d’après le certificat médical délivré par le même médecin-chef, avec ‘’des plaies à l’omoplate gauche et au bras gauche par arme à feu avec présence de chevrotine dans la région deltoïdienne sans atteinte osseuse’’. « C’est grâce aux éléments de la gendarmerie arrivée sur les lieux que j’ai pu être transporté à l’hôpital. J’ai porté plainte contre ces individus que j’ai bien identifiés, mais aucun n’a encore été arrêté », se plaint-il.

Dames Sidibé Diamba (à gauche) et Sidibé Aïssata (à droite) demandent le soutien des autorités.Ph.S.K

Dames Sidibé Diamba (à gauche) et Sidibé Aïssata (à droite) demandent le soutien des autorités.Ph.S.K

A quelques pas de là, plus d’une trentaine de femmes et leurs enfants âgés de 5 à 10 ans nous dévisagent. Assises sous un gros anacardier  au milieu d’un espace vert, elles attendent la tombée du jour, loin des travaux champêtres.  A notre vue, les enfants insouciants, s’exhibent devant les flashs du projecteur de notre appareil photo. Dans ce lot  de femmes, dames Sidibé Diamba et Sidibé Aïssata prennent la parole et plaident pour un retour à la normale. « Personne ne nous assiste et nous sommes confrontées à des difficultés de tous genres», soutiennent-elles.

Notre retour vers l’assemblée des hommes coïncide avec l’arrivée de M. Abbé Gérard, assistant social au ministère de la Femme de la Famille et de la Protection de l’Enfant en poste au complexe socio-éducatif de Bouna. Il vient faire don de 25 seaux, au nom de l’Ong ‘’Save the Children’’. « Nous ne sommes pas à notre premier don. Nous continuons d’assister tous ceux qui sont en détresse à cause des affrontements du mois de mars dernier.  Si vous passez au bureau, nous vous ferons le point, mais pour l’heure, nous faisons la ronde pour déposer les dernières sollicitations en seaux », nous invite M. Abbé Gérard.

Le directeur du complexe socio-éducatif, M. Houlou Bertin, évoque le retour difficile des victimes. « Certaines ont été installées sur des sites qu’ils trouvent favorables, où elles doivent refaire leur vie, dans un nouveau milieu. Quand, d’autres par contre, sont restées sur place. Dans les deux cas, nous les assistons au plan psycho-social», indique-t-il. En outre, la sensibilisation à la cohésion sociale fait partie de leurs actions. « Ils sont amenés à vivre ensemble avec leurs bourreaux, d’hier », affirme  M. Houlou Bertin.

Sur les traces des miliciens pour croire

Les traces laissées par l'incendie des habitations sont encore visibles sur les murs, au campement Djimitétougou. Ph.S.K

Les traces laissées par l’incendie des habitations sont encore visibles sur les murs, au campement Djemitedouo. Ph.S.K

Aux environs de 15 heures, le cap est mis sur Djemitedouo, l’un des campements des éleveurs-cultivateurs. Il est situé à plus de 4 km de la ville de Bouna, à l’extrême nord de la ville. Ce campement, comme tous les autres appartenant aux cultivateurs-éleveurs, porte le nom du village des agriculteurs hôtes. Aucune trace de bétails sur la distance parcourue entre Bouna et le gros campement des éleveurs.

Trois mois après le passage des ‘’miliciens’’, les stigmates des crimes sont encore visibles dans le campement de Djemitedouo où seule la maison du chef est construite en dur, avec une toiture en tôles. Les murs en terre  des autres maisons incendiées sont encore noircis  par la fumée malgré les nombreuses pluies sur le Bounkani.  L’horreur n’a pas épargné la toiture en paille de la mosquée en terre. Sur les vestiges, des tas de murs de banco tombés se transforment peu à peu en termitières. Sur la vaste étendue de terrain de plus 9 ha, qui a servi de culture de céréales,  des ossements de bœufs tués par les miliciens sont visibles par endroits.

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Aucune  perte en vie humaine n’a été signalée, mais les dégâts matériels et financiers sont énormes. En plus des bœufs, des moutons et de la volaille, des éleveurs-cultivateurs ont perdu des engins à deux roues (motos et vélos) calcinés par le feu. « J’ai perdu 250  bœufs, 30 moutons, 6 greniers de maïs  et la somme de 1.200.000 FCFA », indique Sidibé Moussa, le chef de ce campement, qui a décidé de nous accompagner sur les vestiges de son bled. Avec lui, plus d’une dizaine d’habitants, tous retirés en ville, ont fait le déplacement en notre compagnie. Sidibé Moussa nous montre sa case calcinée sa moto et de l’argent partis en fumée.

Le campementDjimitedougou n'existe que de nom, désormais. Ph.S.K

Le campement Djemitedouo n’existe que de nom, désormais. Ph.S.K

Dans ce décor funèbre, l’atmosphère est intenable: odeurs suffocantes  des dépouilles de bêtes,  moucherons, bourdonnements d’insectes…  Nous nous empressons de quitter les lieux, mais nos interlocuteurs habitués à cet air pestilentiel prennent le plaisir de marquer un arrêt à chaque case détruite pour raconter leurs mésaventures. Leur courtoisie nous retient et nous poursuivons la randonnée. Dans cette insalubrité, nous rencontrons une dame  et sa fillette d’environ 2 ans. « Elle reste ici toute la journée et attend les enfants qui surveillent quelques bétails que nous avons retrouvés. A la tombée de la nuit, elle regagne la ville », raconte le chef.

Malgré cette atmosphère nauséabonde, nous restons sur les lieux jusqu’à 16h, l’heure de la prière. Le chef Sidibé Moussa et les autres éleveurs, qui observent le jeûne, dressent leur natte en face de la mosquée détruite pour sacrifier au rituel de la ‘’lagazara’’. « C’était notre mosquée. C’est ici que nous priions tous, mais vous voyez, elle a été détruite », nous raconte l’un d’entre eux.   Sur le chemin du retour, nous faisons escale à 300 m de là, dans un autre campement. Là, la vie semble reprendre. Quelques dizaines d’hommes et leurs épouses, habitent les cases  reconstruites. Les impacts des mêmes dégâts sont visibles.

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Dans le village de Djemitedouo, le chef que nous avons rencontré ne veut plus revenir sur ces histoires tristes. Il préfère travailler en silence, dans la discrétion, au retour à la cohésion sociale. « Nous vous remercions d’être venus constater ce qui s’est passé ici, mais rassurez-vous, nous mettrons tout en œuvre pour le retour de la paix », soutient-il.

Sériba Koné envoyé spécial à Bouna

kone.seriba67@gmail.com

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