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Enquête/Après l’infiltration et l’occupation de la forêt classée du Goin-Débé : La forêt classée du Cavally dans l’œil du cyclone #Environnement


Rivière Dibo, limite entre la forêt classée du Cavally du côté gauche et celle du Goin-Débé à droite. (Ph: Le POint Sur)

Rivière Dibo, limite entre la forêt classée du Cavally du côté gauche et celle du Goin-Débé à droite. (Ph: Le POint Sur)

CIV-lepointsur.com (Abidjan, le 14-11-2016) 67 500 ha. C’est la superficie officielle de la forêt classée du Cavally dont les premiers arbres s’étendent à la lisière des derniers pieds d’hévéa des plantations de la Chc (Compagnie hévéicole du Cavally) et la rivière Dibo. Le cours d’eau constitue la frontière entre cette forêt et sa voisine du Goin-Débé. Elle reste à ce jour, le seul massif forestier après l’infiltration et l’occupation totale des 236 000 ha de la forêt classée du Goin-Débé.

Les nombreuses plantations de cacao ont remplacé le riche verger forestier du Goin-Débé.

Les nombreuses plantations de cacao ont remplacé le riche verger forestier du Goin-Débé.

Malheureusement, depuis peu, la forêt classée du Cavally est l’objet de convoitise, voire d’infiltration illégale. Les anciens occupants de la forêt classée du Mont Péko n’ont trouvé meilleur refuge que cette réserve forestière soigneusement gardée depuis des générations par la communauté riveraine essentiellement composée de Guéré.

« Présentement, nous sommes du côté de la sous-préfecture de Zagné d’où la forêt classée du Cavally s’étend jusqu’au village de Daobly, dans la sous-préfecture de Taï, à la frontière du Liberia », indique Blodé Ziakon Alvares, le président de la jeunesse départementale de Taï, au cours de l’entretien qu’il nous accorde en pleine forêt. « Elle est gravement infiltrée par des populations venues d’ailleurs, notamment les Baoulé et les Burkinabè », ajoute-t-il.

Dans la foulée, il nous révèle que les campements de Galilée et de Koffikro, tous deux situés dans le Goin-Débé, sont les lieux privilégiés de transit d’où partent les planteurs clandestins pour aller défricher nuitamment des parcelles dans la forêt classée du Cavally. Il regrette qu’au moment où les autorités demandent aux riverains de toujours préserver cet espace forestier, des personnes venues d’ailleurs viennent l’occuper sans la moindre inquiétude.

UNE MAFIA SAVAMMENT ORGANISEE.

Blodé Ziakon Alvares, président de la jeunesse départemental de Taï.

Blodé Ziakon Alvares, président de la jeunesse départemental de Taï.

A l’origine de l’infiltration de la forêt classée du Cavally, une mafia organisée et entretenue par d’anciens combattants qui, selon Blodé Ziakon Alvares et bien d’autres personnes, considèrent cette forêt comme leur trophée de guerre. Il s’agit notamment des sieurs Tongodogo, Kaboré, Salam et le nommé Zongo. Si la quasi-totalité de ces personnages sont à Guezon et Guiglo d’où, ils rançonnent les intéressés à l’eldorado forestier du Cavally, ce n’est pas le cas du nommé Zongo.

Téré Fidèle, le point focal de l’Ong Nofna (Notre forêt, notre avenir) insiste pour dire que le domicile de celui-ci (Ndlr : Logement pour ouvriers de la Chc, à peine une chambre-salon) ne désemplit jamais. « A la cité de la Compagnie hévéicole du Cavally où il réside, M. Zongo est au centre de la mafia », martèle-t-il. Ajoutant que sa boutique contribue au ravitaillement des occupants de la forêt du Cavally. L’information de Téré Fidèle, selon laquelle la Chc servirait de base-arrière aux planteurs clandestins de la forêt classée a été réfutée par un cadre de la compagnie qui a requis l’anonymat.

Téhé Doubahoulou, point focal de l’Ong ‘’Notre forêt, notre avenir’’ à Zagné.

Téhé Doubaoulou, point focal de l’Ong ‘’Notre forêt, notre avenir’’ à Zagné.

Taxée de complicité dans l’occupation clandestine de la forêt classée du Cavally, la communauté burkinabé de Zagné se dit très embarrassée. Selon Sawadogo Amadé, ancien chef de cette communauté forte de 40 000 personnes dans le département de Taï, hormis les clandestins, l’occupation de la réserve forestière a débuté en 2011, à la faveur de la crise postélectorale. En ces temps-là, « nombreux de nos frères sont arrivés de Méagui, San Pedro et souvent d’Agboville pour s’installer dans cette forêt », soutient ce ressortissant burkinabé qui réside à Zagné depuis 1970.

« Notre combat a toujours été de sensibiliser nos frères qui outrepassent les lois ivoiriennes pour s’installer clandestinement dans la forêt du Cavally », révèle le chef Amadé qui regrette que les clandestins empruntent des voies détournées, à partir de la localité de Paris-Leona pour aller se procurer une parcelle nécessaire à la réalisation de leurs plantations de cacao dans la forêt classée. Par contre, il soutient avec force que tous les Burkinabè officiellement installés à Zagné ont bénéficié de portions de terres dans les forêts villageoises pour réaliser leurs plantations.

Après avoir échangé avec plusieurs de ses concitoyens qui exploitent illégalement la forêt classée du Cavally, Sawadogo Amadé indique qu’il ressort que ceux-ci ont été installés par une autre mafia qui gravite autour de la communauté Baoulé installée dans la forêt classée du Goin-Débé. Qu’à cela ne tienne! Celui-ci ajoute qu’il y a peu, le Consul général du Burkina Faso de Bouaké, de passage à Zagné avait lancé un cri de cœur à l’endroit des Burkinabè qui occupent clandestinement la réserve forestière du Cavally.

A ceux-là, selon le chef Amadé, le diplomate burkinabé avait été ferme en leur demandant de libérer l’espace qu’ils occupent illégalement. D’autant plus que, « nous ne devons pas faire chez les autres, ce que nous ne pouvons pas accepter chez nous », avait-il rappelé.

LA COMPLICITE PASSIVE DES AUTORITES.

Tahi Gaspard, le chef central de Zagné menace d'occuper la forêt classée si les autorités ne font rien pour la libérer des mains des clandestins.

Tahi Gaspard, le chef central de Zagné menace d’occuper la forêt classée si les autorités ne font rien pour la libérer des mains des clandestins.

L’attitude des autorités face à l’infiltration et l’occupation définitive des forêts classées dans cette partie de la Côte d’Ivoire ne rassure du tout pas. A la connaissance de tous, les 236 000 hectares de la forêt classée du Goin-Débé ont été occupés et entièrement parsemés de plantations de cacao. Et à la surprise générale, alors qu’il est interdit d’acheter du cacao produit dans les forêts classées, les camions des pisteurs n’ont aucune difficulté à se frayer un chemin au niveau des cinq postes de contrôle dressés par la gendarmerie, les agents des Eaux et forêts, ainsi que les Frci de Zagné à la lisière du Goin-Débé et du Cavally.

A ces postes fixes, il faut ajouter les patrouilles inopinées des agents de la Sodefor (Société de développement des forêts) sur les nombreuses pistes qui jalonnent ces espaces forestiers. Pis, il ressort de plusieurs témoignages que des bureaux de vote sont installés dans plusieurs campements du Goin-Débé. Le faisant, les autorités légalisent officieusement des clandestins qui occupent illégalement un espace supposé être protégé par elles.

Sawadogo Amadé, ancien chef de la communauté burkinabé de Zagné.

Sawadogo Amadé, ancien chef de la communauté burkinabé de Zagné.

« Le gouvernement ne nous dit pas la vérité, lorsqu’il s’agit de voter, nous ne sommes pas des clandestins. Pendant la période des élections, nous faisons l’objet de récurrentes cours des hommes politiques de la région. Mais une fois que ce temps-là est passé, nous devenons des clandestins », regrette Koffi Yao Michel. Très remonté contre les autorités politiques, il soutient qu’il existe bel et bien des bureaux de vote dans les campements de Galilée, Ipoukro, Konankro, Koffikro, Princekro et Cité. Ajoutant que ces localités situées en plein cœur du Goin-Débé sont au cœur de l’infiltration de la forêt classée du Cavally.

Pendant ce temps, la forêt classée du Cavally se transforme de plus en plus en vaste espace de trafic de toutes sortes organisées par des bandes armées. A la clef, soutient Téré Fidèle, « le trafic des enfants dont un réseau a été démantelé à Lokossuékro, à seulement 1 kilomètre de la forêt classée ». Selon lui, 27 enfants dont l’âge varie entre 8 et 14 ans ont été interceptés alors qu’ils étaient en partance pour des plantations installées en plein cœur du Cavally.

Ceux-ci, toujours selon Téré Fidèle, ont reconnu être acheminés sur place pour travailler dans des plantations de cacao. A cela, il ajoute les récurrents affrontements entre bandes rivales, en vue du contrôle du maximum de territoires dans la forêt classée du Cavally.

LA MENACE D’UNE OCCUPATION A GRANDE ECHELLE PLANE. Les riverains de la forêt classée du Cavally n’entendent plus se laisser distraire par les mesures de protection après que la forêt classée du Goin-Débé a fait l’objet d’une razzia sans pareille à leur nez. Là-dessus, Tahi  Gaspard est formel. « Nous n’accepterons plus d’être des gardiens pendant que d’autres personnes viennent s’enrichir dans nos forêts », prévient le chef central de Zagné. Dans la foulée, il s’inscrit en faux contre toutes les allégations selon lesquelles, les riverains seraient complices de l’installation dans la forêt classée du Cavally.

« Nous sommes tous à la recherche de terres cultivables », soutient Téhé Doubaoulou, point focal de l’Ong ‘’Notre forêt, notre avenir’’ à Zagné. Ajoutant que « si la Sodefor contracte avec les planteurs illégaux du Goin-Débé, nous allons envahir la forêt du Cavally pour occuper des portions de forêt pour nos plantations ». Cependant, au-delà de cette colère mal contenue, le militant de la protection de la forêt exprime la détermination des riverains à libérer définitivement la forêt classée du Cavally. Pour ce faire, il sollicite des appuis des autorités pour accentuer la veille dans cet espace forestier.

Idrissa Konaté, envoyé spécial dans la forêt classée du Cavally

 

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