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[Enquête/ La religion, un frein à la participation politique des femmes en Côte d’Ivoire?] Ce que disent des femmes et des religieux


Le problème de la participation politique des femmes en Côte d’Ivoire, suscite plusieurs interrogations à élucider. Enquête.

Il y a une quinzaine d’années, Aïssata Tuo (à ce jour mariée à Korhogo) de famille musulmane avait dû stopper ses activités ‘’politiques’’ pour se consacrer à son  foyer. Mme Kouakou née Yéo Alimata résidant à Bouaké, quartier, Belle-Ville 3, avec qui elle a partagé plusieurs activités politiques nous raconte avec regret ce qui est arrivé à son amie. «Elle est issue d’une famille musulmane, et étais la première fille de ses parents. Elle n’avait, malheureusement pas eu l’avantage d’être scolarisée, mais avais le don de mobilisation. Elle est donc parvenue à créer une association de femmes Senoufos qu’elle dirigeait. Et souvent, sa structure était sollicitée lorsque les hommes politiques avaient des activités dans la région du Poro», se souvient dame Kouakou.

Mme Kaouakou en pleine réunion avec les femmes de son association

Conséquence : elle était très souvent absente de la maison. Les parents, qui voyaient ces absences répétées d’un mauvais œil, étaient parvenus à trouver un homme qui devait l’épouser.

Six mois après le mariage, son mari lui a demandé de choisir entre ses activités politiques et son foyer. « Très rapidement, elle s’est rendue compte qu’il le faisait avec l’accord de mes parents. Elle a donc dû laisser tomber les activités politiques pour se consacrer à son foyer

En revanche, bien que mariée, Aïssata Tuo garde de bons souvenirs de cette époque. «Aujourd’hui, lorsque j’ai la chance d’arriver à Korhogo, elle (Aïssata Tuo) me dit : ‘’si c’était à refaire, elle choisirait la politique’’», raconte notre interlocutrice.

Un cas parmi tant d’autres en Côte d’Ivoire. En Côte d’Ivoire,  nombreuses sont les femmes qui ont été freinées dans leur élan politique par la religion.  Dans le pays,  des organisations non gouvernementales (Ong) engagées dans la lutte pour l’émancipation de la femme et l’égalité entre les sexes déplorent le fait que, malgré les efforts consentis par l’État pour la résolution de ce problème, la religion continue à empiéter sur les résultats attendus, parce qu’étant l’un des principaux vecteurs de l’absence des dames dans les instances de prise de décisions et dans les postes de responsabilité. La responsable régionale de l’Ong Uni africa global union, Léocadie Abouo-Bodjouo, indique que dans la plupart des religions, les femmes ne sont pas autorisées à se tenir devant le public : «La femme doit être soumise à son mari. Une femme qui voudrait vivre pleinement sa foi dans ces conditions ne pourrait jamais évoluer en première ligne, en politique».

Une enquête réalisée dans certaines grandes villes de la Côte d’Ivoire, telles que Yamoussoukro (nord-ouest du centre économique), Bouaké (centre) et Abidjan (sud), où nous avons rencontré certaines femmes leaders et des guides religieux, nous situe un tant soit peu sur cette préoccupation.

Les avis sur la question sont partagés. En témoigne Mme Bamba, enseignante à Yamoussoukro, par ailleurs, secrétaire générale adjointe du district autonome de Yamoussoukro et présidente départementale du Rassemblement des femmes républicaines (RFR) (parti au pouvoir) dudit district : «Personnellement, la religion n’a pas agi sur ma carrière politique, je suis entrée en politique comme militante active du RDR depuis 1994. Et jusqu’à présent, je ne peux pas dire que la religion musulmane que je pratique a eu une influence négative sur mon parcours politique. J’ai toujours respecté ma religion. Je fais toujours mes prières quand il faut le faire. Mais je crois qu’en vérité la politique et la religion ne font pas bon ménage, parce que la religion nous donne des commandements, la politique en donne également. Et souvent, en politique, il y a des directives à suivre,  parce que les partis sont régis par des textes ».

Cette thèse est soutenue par Mme Kouakou, pratiquante religieuse catholique, présidente du quartier Belle-Ville 3 de Bouaké, elle donne une explication mitigée:« Ce sont les femmes, elles-mêmes qui ne s’adonnent pas à la chose, car empêchées par leurs maris, qui pensent que lorsque la femme va commencer la politique, elle va se mettre au-dessus d’eux au foyer. Or, ce que veut la femme, ce n’est pas d’être au-dessus de l’homme, mais, elle veut apporter quelque chose pour la paix, par exemple, elle veut contribuer au bien-être des populations».

Quant à Mme Touré Diabaté Massara (musulmane), premier vice-gouverneur du district autonome de Yamoussoukro, elle estime que la religion n’est pas un frein à la prise de responsabilité des femmes. Mieux, elle encourage ses ‘’sœurs’’ religieuses à s’investir dans la politique : «C’est en osant qu’elles pourront prendre des responsabilités. Quand vous osez, et que vous commencez à gravir des échelons en politique, en général dans le foyer ça ne marche presque plus, on a vu beaucoup de cas de ce type. Mais, il y a également des femmes que la politique ne transforment pas, et qui finissent par rassurer leurs maris qui étaient sceptique au départ». Du coté des religieux, les avis sont partagés.

Mme Léocadie Abouo-Bodjouo, responsable régionale de l’ONG UNI AFRICA GLOBAL UNION

De l’avis des religieux musulmans. L’imam  Sidibé Idriss, secrétaire général du Conseil supérieur des imams de Côte d’Ivoire (Cosim)-section Bouaké, par ailleurs, imam principal de la grande Mosquée de Djénzou Kouamékro, indique qu’en aucun cas la religion n’empêche une personne de pratiquer la politique. Cependant, la religion s’oppose à tout ce qui peut entacher au respect de la dignité et de l’intégrité féminine : « Si la politique signifie la bonne gestion de la cité, alors nous croyons que ce sont les hommes religieux qui devraient normalement diriger nos nations. Et vous ne verrez jamais un texte en Islam qui va priver le droit des femmes dans un quelconque domaine. Seulement que la religion pose certaines conditions. D’une manière générale, ces conditions concernent tout ce qui peut aller à l’encontre du respect et de l’intégrité de la femme», explique l’imam.

L’imam Idriss Sidibé de la Mosquée de Djénzoukouamékro

D’autres guides religieux musulmans approchés pensent que c’est la culture qui constitue un frein. Pour eux, chaque être humain, avant d’appartenir à une religion, a d’abord sa culture et sa tradition. «C’est cette culture ou tradition qui, lorsqu’elle est transportée  dans la religion, ne facilite pas ou empêche la femme d’exprimer pleinement ses droits», expliquent-ils.

Cette thèse n’est pas entièrement partagée par le premier imam adjoint de la grande mosquée de la paix de Yamoussoukro, Fofana Mamadou. La femme musulmane peut, selon lui, faire la politique, «pourvu qu’elle ait l’approbation de son époux, car ce n’est pas toujours facile pour une femme de gérer à la fois son foyer et sa vision politique».

L’imam Fofana précise que «la femme ne devrait normalement  pas trop s’adonner à la politique, car la prise de parole de la femme dans le public est déconseillée en Islam». Selon lui, en Islam, si une femme veut donner son avis en public sur un fait, elle doit le signifier à son époux. «Mais la Côte d’Ivoire étant un pays laïc, il n’y a pas d’inconvénients qu’une femme fasse la politique».

Du coté de l’Eglise catholique, la position des guides est connue : «Il n’est pas conseillé qu’une femme fasse la politique à cause du caractère  sacré de celle-ci. » Cependant, explique le père Maxime Kouakou de l’archidiocèse de Bouaké, si une femme estime qu’elle peut apporter quelque chose dans la bonne gestion de la cité, elle peut le faire avec la bénédiction de Dieu et l’autorisation de son époux.

De l’avis des Célestes. Le seigneur Yao Marcellin, responsable des Églises célestes dans la région du Gbêkê (dont Bouaké est la capitale), estime que la femme pratiquante doit faire la politique afin de gérer sainement les biens des hommes sur  terre. Mieux, précise-t-il, la femme étant l’égal de l’homme, elle peut faire la politique si elle le désire, parce que «la religion n’exclut pas la femme dans les instances de prise de décision, à cause de sa soumission dans le foyer». «Il ne faut pas croire que la soumission de la femme dans la religion signifie d’éjecter la gent féminine des postes de responsabilité.  Ça, Dieu ne l’a jamais dit», martèle le serviteur de Dieu rencontré à son domicile à Bouaké, sis au quartier N’gattakro.

Il ressort, de façon générale,  de cette enquête (même s’il n’existe pas de statistiques officielles) que la religion a pu, à des moments donnés, freiner certains élans politiques chez certaines femmes. Mais pour la majorité des cas, la religion n’entrave pas ou n’influence pas négativement la participation politique des femmes. Le seul problème, selon elles, c’est qu’il est difficile pour la femme, tout comme pour l’homme d’allier politique et religion. Vu que la religion prône le mariage, elles sont obligées de se marier et une fois au foyer, il devient très difficile pour elles de gérer leur vie de couple et la politique, leur passion. Conséquence : il y a un choix à faire entre la vie politique et celle du couple.

Georges Kouamé

Encadré

Du chemin à parcourir

En 2017, selon un classement de L’Institut Panos Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire, en matière de participation politique des femmes, occupait le 121e rang sur 190 au niveau mondial et le 43e rang africain sur 54 pays.

Sur ces statistiques, quant à la progression des femmes dans les instances de prises de décision, l’Institut Panos Afrique de l’Ouest indique que la représentation des femmes dans la vie politique dans le pays est très faible et progresse très lentement. En effet, le nombre de femmes ministres est passé de 16 % en 2011 à 17 % en 2014 et 21,5 % en 2017.  Le nombre de femmes députées est passé de 8,5 % en 2005 à 9,9 % en 2014, et 11,15 % en 2016. Au niveau des municipales, seulement 5,58 % des maires sont des femmes.

En vue de remédier à l’inégalité que traduisent ces statistiques, les organisations de défense des droits des femmes (ODDF) de Côte d’Ivoire se montrent très actives dans l’appui à des réseaux de femmes politiques pour renforcer la participation politique des femmes.

Georges K.

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