En Turquie, les ouvriers se mettent en scène avec grand succès sur TikTok
Le réseau social TikTok est en train de devenir la plateforme numéro 1 sur les chantiers, dans les champs et dans les usines.
Des millions d’ouvriers turcs effectuent sur les chantiers, dans les champs et dans les usines, un travail pénible, répétitif et mal payé. Jusqu’ici, ils restaient dans l’ombre. Leurs vidéos TikTok mettent des images et des visages sur ces hommes et femmes « invisibles ».
Prenons d’abord les vidéos filmées avec peu de mise en scène, mais un fond musical bien rythmé. Elles montrent par exemple une chaîne humaine de travailleurs agricoles se jetant des seaux de pommes de terre au moment de la récolte ou une ouvrière étiquetant des centaines de tissus à la suite. Il existe aussi des vidéos en forme de « défi », comme celle d’un ouvrier descendant en moins de quinze secondes, à mains nues et sans protection, les six étages d’un échafaudage.
De l’humour mais pas que…
Enfin, d’autres vidéos sont entièrement mises en scène, avec des ouvriers qui rejouent en playback, et en détournant leurs outils et leurs habits de chantier, des scènes cultes du cinéma turc. Le point commun de ces vidéos ? Elles sont toutes divertissantes, et parfois franchement hilarantes. Certaines parviennent à être vues par des dizaines de milliers de personnes, voire plusieurs millions pour les plus virales d’entre elles. Outre qu’elles s’y prêtent bien parce qu’elles sont souvent drôles ou impressionnantes, il est permis de penser que les vidéos interpellent ceux qui n’ont jamais travaillé dans ces chantiers ou dans ces usines. De façon détournée, elles montrent la réalité du travail des ouvriers. Une réalité jusqu’ici largement invisible, ou invisibilisée par les entreprises qui emploient ces hommes et ces femmes.
Elles rappellent aussi que les pommes de terre que les Turcs consomment, les immeubles dans lesquels ils vivent ou les vêtements qu’ils portent et que nous portons tous sont le résultat du travail d’autres êtres humains. Y compris, parfois, du travail d’enfants, puisqu’on en voit aussi dans les images filmées. Avec leurs vidéos TikTok, ces ouvriers jouissent d’une visibilité qu’ils n’avaient jamais eue avant.
Rendre visibles la vie des invisibles
L’esprit de ces vidéos est celui qui caractérise TikTok de façon générale, c’est-à-dire le divertissement. Les ouvriers qui publient quelques secondes de leur quotidien sur l’application ne diffusent pas de messages ouvertement politiques. Jusqu’ici, TikTok semble rester un espace de détente et de partage. Et un espace, encore une fois, pour devenir un peu plus visible. « Pour la première fois, je me suis senti vu par d’autres », raconte Baris Kaya, un de ces ouvriers interviewé par le média turc 1+1 Express. Et il ajoute même : « Je me suis senti exister. »
RFI