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En Guinée, la haine a-t-elle un avenir ?


Chaque fois que je discute avec des amis, ils me demandent toujours pourquoi le président Guinéen veut faire un troisième mandat. Et lorsque je leur réponds qu’il ne l’a jamais dit formellement, ils me rétorquent que pourquoi ne fait-il pas une déclaration dans laquelle il renoncerait de manière univoque à briguer un troisième mandat ?

Une déclaration ? Avouons que ce n’est pas le plus compliqué aujourd’hui parce qu’au Niger, le président Mahamadou Issoufou a clairement affirmé qu’il ne briguerait pas un troisième mandat dans son pays et que, pour bien montrer sa détermination, il  a menacé de prison certains de ses partisans qui croyaient bien faire en faisant campagne pour cet objectif. Donc, pour mes amis, le fait que monsieur Condé n’aligne pas son comportement sur celui du président nigérien est donner raison à son opposition qui multiplie, ces derniers temps, des actions dans la rue pour empêcher son supposé dessein au sujet d’un troisième mandat. Quoique… les déclarations en politique engagent toujours ceux qui y croient, selon Charles Pasqua et qu’une sortie du concerné sur le sujet ne suffirait peut-être pas. Mais bon…

Dans tous les cas, la réalité est que ce n’est pas ce qui est en cause au Guinée même si, je l’avoue, d’un point de vue de la communication, l’opposition a bien compris l’enjeu d’une internationalisation de son combat à travers le relais du troisième mandat. En Côte d’Ivoire par exemple, l’opposition au président ivoirien Alassane Ouattara y voit clairement un avant-goût du combat interne qui l’attend d’où l’attention qui est portée à ce mouvement de rue. D’ailleurs,  de manière générale, les opinions africaines, et surtout les nouvelles générations, sont très hostiles au non-respect de la constitution, d’où le pamphlet du président de l’ONG urgences panafricaines, Kemi Seba, qui voit en cette intention prêtée au président guinéen la manifestation d’une dérive dictatoriale.

En revanche, les piqûres de monsieur Séba sont d’autant plus étonnantes qu’il devrait se pencher sur la carte de visite de ceux à qui ils donnent ainsi le bon Dieu sans confession. Car de panafricanisme, il n’y a nulle convergence dans la françafrique qu’incarnent plutôt les principales figures de l’opposition guinéenne. C’est dire à quel point toute cette agitation prouve qu’en Afrique, au nom de tout ce qu’on a peut-être le droit de reprocher à nos dirigeants, l’on peut vouloir profiter de tout pour empêcher d’ordinaires actions de gouvernement. Car c’est bien de cela qu’il s’agit en Guinée. Les déclarations attendues par les uns et les autres obligeraient ainsi Alpha Condé à laisser son pays sans parlement puisque depuis plus d’un an maintenant le mandat de celui-ci a pris fin.

Bien sûr, les leaders de l’opposition n’aiment pas beaucoup parler de ce sujet et encore moins qu’on jette un regard appuyé sur leurs tentations, de plus en plus précises, au putsch au nom de je ne sais quelle menace d’un troisième mandat. D’ailleurs comme plan B, sa stratégie est de pousser l’ONU à intervenir dans le jeu politique interne d’un pays dont l’histoire a été forgée par son brûlant  désir d’indépendance. Pour ce faire, l’opposition guinéenne pousse ses militants à affronter les forces de l’ordre dans la rue afin de sustenter le moteur de sa stratégie de quelques morts supplémentaires qui, à la vérité, sont les seules victuailles dont elle dispose.

Car la manière dont elle a mis en scène le décès d’une dizaine de manifestants est en effet clairement révélatrice de cette intention de jouer de la répression pour disqualifier le gouvernement dans ses droits régaliens et appeler la communauté internationale à réagir. Mais, sur ces morts-là, les enquêtes du procureur de la République devraient, les jours à venir, permettre de démêler l’écheveau de ce qui apparaît parfois clairement comme de sombres mises en scènes. Mais mieux vaut attendre…

Donc, plutôt que de mobiliser son peuple rouge dans la rue, pourquoi l’opposition guinéenne ne le préparerait-il pas à voter massivement lors de la tenue desdites élections quitte, au besoin, à gagner celles-ci et à  ne plus craindre la résurgence d’une envie de troisième mandat ? C’est que, comme le dit Alpha Condé lui-même, ce n’est pas le troisième mandat qui est en cause.

Ce n’est pas non plus la reforme de la constitution ou, plus précisément, de la réforme du projet de constitution qui pose problème. Puisqu’à une telle époque, toute la communauté guinéenne devrait plutôt avoir honte de faire perdurer celui-ci. Au demeurant, l’opposition ne peut valablement démontrer, si ce n’est pour montrer sa mauvaise foi, que cet assemblage d’articles corporatistes ne constitue pas un problème pour la nouvelle Guinée qui émerge depuis quelques années des profondeurs abyssales où de longues politiques irresponsables l’ont précipitée.

Le problème est donc ailleurs. Notamment dans la peur du bilan d’Alpha Condé. Bien sûr, comme dans de nombreux pays africains, le talon d’Achille du régime est l’emploi. Ça l’est encore plus pour un pays dont le développement a été retardé de plusieurs décennies, y compris par ceux qui dirigent l’opposition aujourd’hui. Cela dit, la majorité des Guinéens perçoivent les changements qui ont cours dans leur pays.

Il suffit en effet d’aller en Guinée pour se rendre compte des changements qui ont été opérés. Ils sont à des années lumière de la ville sans électricité, sans hôtel et sans les moindres commodités ordinaires d’autrefois et méritent en effet un cadre institutionnel adéquat. La mise en place d’une vraie constitution participe, à cet égard, de cet impératif de modernité auquel toute la classe politique avait formellement adhéré en demandant au vainqueur de l’élection présidentielle, au sortir de la transition, de convoquer une vraie constituante.

Le fait que monsieur Condé ne l’ait pas fait dans les délais qu’aurait voulus l’opposition n’en affaiblit pas l’urgence. Il est donc temps que la Guinée, après 61 ans d’indépendance, redevienne un pays normal et qu’il ait sa part de modernité. Cela implique un minimum de consensus de sa population. Et le dénominateur commun de celui-ci reste le respect des règles. On ne peut pas, en effet, se donner le droit d’anticiper sur le risque que les règles en vigueur ne soient pas respectées et empêcher qu’un président de la République gouverne jusqu’à la fin de son mandat. Car le désordre d’aujourd’hui ne crée que les incertitudes de demain. Tachons donc de le comprendre en Guinée où l’instrumentalisation de la haine n’est au bénéfice de personne.

Joseph Titi

Journaliste

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