Drame à la Mecque: Plus de 710 pèlerins décédés #ArabieSaoudite
Au lendemain de la bousculade qui a fait au moins 717 morts et 863 blessés, jeudi à La Mecque, les questions restent nombreuses sur ce drame. Que s’est-il exactement passé,jeudi matin à Mina ? Etait-il possible d’éviter un tel drame ? Les autorités saoudiennes ont promis une enquête « rapide », et dans son communiqué publié ce vendredi matin, le ministère saoudien de la Santé avance que la bousculade meurtrière « est peut-être liée au fait que certains pèlerins se sont déplacés sans suivre les recommandations des autorités compétentes ».
Ryad refuse d’endosser la responsabilité
La veille, déjà, quelques heures seulement après la bousculade, le ministre saoudien de la Santé, Khalil al-Falih, avait déjà pointé le manque de discipline des pèlerins. « Si les pèlerins avaient suivi les instructions, on aurait pu éviter ce genre d’accident », a-t-il déclaré à la télévision publique saoudienne.
Défaut d’encadrement et manque d’informations
Autre hypothèse avancée, rapporte Clarence Rodriguez, correspondante de RFI à Riyad, une coursive d’accès à l’une des stèles de lapidation aurait été fermée, bloquant le passage et provoquant le mouvement de panique. Mais cela n’a pas encore été confirmé. Les pèlerins étaient très nombreux à Mina au moment de la bousculade. Une foule gigantesque qui se presse lors du hadj et qui n’est pas toujours encadrée comme il le faudrait, selon Adel Gastel, grand reporter algérien qui a déjà fait le pèlerinage. Il décrit deux types de pèlerins : « Ceux qui sont encadrés par des agences de tourisme qui ont pignon sur rue, et ceux qui viennent un peu en free-lance, les pauvres. »
Ces pèlerins peu fortunés, qui « n’ont pas les moyens de se payer un tour-opérateur » et « dorment à même le sol », bénéficient du « minimum de services » de la part des autorités saoudiennes. « Des guides tourisco-religieux montrent aux gens ce qu’il faut faire, ce qu’il ne faut pas faire. Mais ils sont face à deux millions de pèlerins qui ne se comprennent pas forcément tous, qui ne parlent pas la même langue. Ils viennent de mondes musulmans variés », souligne le journaliste.
« Moi-même, j’ai été interpellé par des pèlerins perdus, vraiment perdus, qui ne savaient pas où aller », rapporte-t-il. « Le désordre vient effectivement de ce manque d’information, de ce manque d’encadrement. Autour de La Mecque, ça circule sur le site de Mina. Juste avant le Mont-Arafat, ça circule, mais tout le monde ne le sait pas et ça donne ce genre de chaos. »
Téhéran accuse Riyad
L’encadrement d’une telle foule de pèlerins est très difficile, et ce n’est pas la première fois que le hadj est endeuillé. Il y a eu des précédents, dont le plus meurtrier en 1990 a fait 1486 morts. D’autres ensuite en 1994 (270 morts), en 1998 (118 morts), en 2004 (251 morts) et en 2006 (364 morts). Dans le royaume, on s’interroge évidemment sur l’organisation du pèlerinage, rapporte Clarence Rodriguez. Certains reprochent notamment aux policiers chargés de la sécurité du grand pèlerinage leur manque d’expérience et leur inaptitude à s’exprimer dans une autre langue que l’arabe.
Hors du pays, c’est l’Iran qui assène les critiques les plus virulentes à l’égard de son grand rival, l’Arabie saoudite. Le guide suprême iranien est d’ailleurs monté au créneau quelques heures à peine après le drame de Mina pour dénoncer une mauvaise gestion et des failles dans la sécurité. Il estime que ce sont les Saoudiens qui sont responsables de cette tragédie.
Infrastructures « insuffisantes »
Malek Chebel, anthropologue des religions, estime pour sa part que les autorités saoudiennes ont été « débordées » par le flot de pèlerins. « Selon les étapes [du pèlerinage], il y a des passages relativement vastes, qui peuvent recevoir un million de pèlerins d’un seul coup, ou des passages plus étroits, comme les piliers de Satan, un espace plus étroit. Les gens ne savent pas ce qu’il se passe devant les stèles et il peut y avoir un mouvement de panique qui peut être fatal à beaucoup plus de monde. C’est la configuration des lieux du pèlerinage qui explique qu’il y ait autant de morts d’un seul coup », avance le chercheur. Pour lui, même si d’importants travaux ont été réalisés ces dernières années pour tenter de contrôler et sécuriser le pèlerinage, « on voit en réalité que les structures gigantesques qui existent sur place ne suffisent plus. »
Georges Fenech, député français Les Républicains du Rhône et vice-président du groupe d’amitié France-Arabie saoudite va plus loin. Pour lui, cette catastrophe aurait pu être évitée. « On n’a pas tiré en Arabie saoudite les conséquences des drames précédents », accuse-t-il. « A l’évidence, il y a un réel problème d’accueil de pèlerins qui viennent du monde entier. On est en droit d’interroger les services de sécurité de l’Arabie saoudite sur les moyens qui sont mis face à un évènement tout à fait exceptionnel. »
Pas une année d’affluence record
Benabdellah Soufari, président de l’association France-Hajj, se montre plus mesuré. La sécurité a été largement renforcée selon lui, qui s’est rendu neuf fois à La Mecque lors du pèlerinage. « A l’époque, il n’y avait qu’une seule route qui menait aux stèles de la lapidation », explique-t-il. « On a pu être témoin des efforts des autorités saoudiennes : la multiplication des routes d’accès, la restructuration des lieux, ces caméras qui servaient à surveiller l’afflux des pèlerins, des barrages de police et de gendarmerie. Ces dernières années, ça se passait très bien.»
Pour lui, le drame de jeudi est d’autant plus surprenant que cette année, le pèlerinage n’a pas enregistré de record d’affluence. Les chiffres officiels évoquent deux millions de pèlerins, mais Benabdellah Soufari estime que le chiffre réel se situe plutôt autour de «trois millions » cette année. « Nous, on a été témoin sur des années où il y avait cinq millions de pèlerins, et il n’y avait pas eu ce genre de catastrophe. »
Le roi Salmane a rencontré jeudi soir les responsables de l’organisation du pèlerinage. Il leur a demandé d’enquêter au plus vite sur ce qui a provoqué ce drame et il promet aussi de revoir les conditions de l’organisation.
Source: RFI