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Destruction de « Washington » à Abidjan/ Les victimes crient à la trahison


 Le ministère de la Construction, du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme (MCLAU) a procédé à la destruction des habitations du célèbre bidonville de Cocody ‘’Washington’ (Ph: Dr)

Le ministère de la Construction, du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme (MCLAU) a procédé à la destruction des habitations du célèbre bidonville de Cocody ‘’Washington’ (Ph: Dr)

Le bidonville de « Washington », situé dans le quartier chic de Cocody à Abidjan, a été rasé mardi 5 février 2014, par des bulldozers, sur ordre du gouvernement ivoirien. Le 21 décembre 2013, une mise en demeure avait été adressée aux quelques 500 familles qui y logeaient, mais elles avaient refusé de quitter les lieux. Les habitants vivent depuis dans les décombres de leur quartier, en attendant qu’une solution de relogement leur soit proposée.

La destruction de ce bidonville est un véritable serpent de mer, qui connait des rebondissements depuis près de 20 ans. En 1997, sous la présidence d’Henri Konan Bédié, le gouvernement décide de le raser. Une première partie est détruite, et quelques 800 familles sont relogées dans des logements sociaux aménagés dans la commune d’Abobo, au nord d’Abidjan, dans un ensemble résidentiel appelé Biabou 1. La deuxième partie du bidonville devait être détruite quelque mois plus tard, mais l’opération a été ajournée après le coup d’État qui a déposé Henri Konan Bédié et installé Robert Guéï à la présidence ivoirienne, fin 1999.

Très vite, plusieurs des habitants relogés à Abobo sont mécontents de se trouver à plusieurs kilomètres de Cocody, où ils ont leur travail, souvent un petit commerce. Ils décident donc de vendre leur logement ou de le louer, et se réinstallent à Washington. Pendant les années 2000, Washington se reconstruit donc progressivement, peuplé par les habitants qui n’en ont jamais été délogés et par certains qui y sont revenus. Jusqu’à ce que le ministère de la Construction, du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme le détruise finalement la semaine dernière.

Les habitants de Washington vivent désormais dans les débris de leur bidonville depuis une semaine. Ils réclament d’être relogés dans un nouvel ensemble de logements d‘Abobo, Biabou 2, comme prévu depuis 1998, selon eux. Ils disent ne pas avoir eu d’engagement en ce sens du ministère de la Construction. Contacté par FRANCE 24, le ministère n’a pas répondu à nos sollicitations.

Des habitants de Washington dorment à la belle étoile.

Dieudonné Kambou est menuisier et vivait à Washington. Il est adjoint au président du comité de quartier.

Mardi dernier, des bulldozers ont tout rasé. Ils étaient protégés par des policiers, des gendarmes et des membres des FRCI [armée ivoirienne] et ont confisqué les téléphones portables des enfants qui filmaient la scène. Depuis, nous vivons toujours à l’emplacement de notre ancien quartier, au milieu des décombres. Nous fouillons dans l’espoir de retrouver nos biens, mais beaucoup ont tout perdu : par exemple, un homme avait 300 000 francs d’économies dans un coffre qui a été détruit. C’est très difficile, nous n’avons plus ni eau, ni électricité, nous devons dormir à la belle étoile. C’est tout juste si certains ont pu bricoler des tentes de fortune pour s’abriter.

« Nous avons été pris par surprises »

« Nous avons été pris par surprise : nous avions reçu une mise en demeure fin décembre mais aucune date ne nous avait été signifiée. Depuis la mise en demeure, des représentants du quartier, dont moi-même, se sont rendus à plusieurs reprises au ministère de la Construction pour demander d’être assurés que nous serions relogés à Abobo, mais nous n’avons jamais été reçus. Samedi, nous avons été au domicile de la première vice-présidente de l’assemblée nationale, elle nous a dit qu’elle avait bien entendu nos revendications mais nous n’avons pas obtenu plus.

L'heure est à la désolation totale (Ph: Dr)

L’heure est à la désolation totale (Ph: Dr)

Tout ce que nous demandons, c’est d’être relogés à Biabou 2 en application de la décision du Conseil des ministres de 1998. Nous savons que nous serons en sécurité là-bas. Il est vrai que certains habitants de notre quartier ont quelque peu profité du système par le passé, en revendant des logements qui leur avaient été attribués à Biabou 1. Mais selon moi, cela ne concerne que très peu de personnes.

Je ne comprends pas pourquoi on raye notre quartier de la carte, sans nous prendre en charge derrière. La plupart des habitants du quartier sont issus du nord du pays et ont soutenu Alassane Ouattara en 2011 lors de la crise électorale. Pour au final se faire traiter de la sorte, nous nous sentons trahis. »

 

Suy Kahofi est journaliste et blogueur pour le Mondoblog.

« A Washington, tout un système économique s’était développé, qui profitait aux plus malins« 

« Quand le bidonville de Washington a été rasé une première fois sous Henri Konan Bédié, on pensait que c’était la fin de ce quartier. Mais comme une partie a subsisté, Washington a peu à peu réapparu : ça a d’abord été quelques échoppes de restauration, qui vivaient grâce aux étudiants du lycée technique d’Abidjan situé à proximité, puis d’autres commerces, puis des habitations.

 On ignore quelle est la part de ceux qui sont revenus d’Abobo et de ceux qui ont toujours été là. En tout cas, j’avais mené une enquête il y a quelques temps et il s’était avéré que bien que ce soit un bidonville, certains ne semblaient pas si mal à Washington. Il s’y était développé tout un système économique, qui profitait aux plus malins. Ainsi, beaucoup de logements avaient accès à l’eau et l’électricité grâce à un détournement des réseaux d’alimentation, qui profitait à ceux qui l’avaient bricolé. De même, ils étaient plusieurs à avoir accès à Canal +, alors qu’un seul bouquet était reçu dans tout Washington.

Les populations sauvent ce qu'elles peuvent (Ph: Dr)

Les populations sauvent ce qu’elles peuvent (Ph: Dr)

 On est presque surpris de le voir finalement détruit. Depuis le temps que ça devait arriver, on n’y croyait plus. À la longue, Washington faisait presque partie du folklore local. J’ai l’impression que cette fois, il ne ressortira pas de terre, car la police et des FRCI ont supervisé la destruction. Cela laisse entendre que c’est pris au sérieux, d’autant que le gouvernement a déjà détruit deux autres bidonvilles de Cocody. Il y a une vraie volonté de s’en débarrasser, car c’est le quartier présidentiel et celui des ambassades à Abidjan : avoir un bidonville a proximité, ça fait tâche ».

Dossier réalisé par France24

 

 

 

 

 

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