Démission d’Aquilino Morelle : « Le conflit d’intérêts apparaît évident »


La chute d'Aquilino Morelle, le conseiller politique de Hollande (Ph: Dr)

La chute d’Aquilino Morelle, le conseiller politique de Hollande (Ph: Dr)

Myriam Savy, représentante de la section française de Transparency internationalet spécialiste des questions de transparence dans la vie publique, analyse la situation d’Aquilino Morelle, le conseiller politique de François Hollande, qui a présenté sa démission vendredi 18 avril, après les révélations de Mediapart sur une possible situation de conflit d’intérêts en 2007 avec des laboratoires pharmaceutiques, alors qu’il était membre de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS)

En travaillant pour un laboratoire danois tout en étant inspecteur de l’IGAS en 2007, Aquilino Morelle était-il, selon vous, en situation de conflit d’intérêts ?

Myriam Savy : A l’époque, M. Morelle travaillait en tant que haut fonctionnaire au sein de l’IGAS, un organisme public chargé, entre autres, d’exercer des missions de contrôle, d’audit et d’évaluation des politiques de santé, donc en lien avec l’industrie pharmaceutique. En se faisant rémunérer parallèlement par un laboratoire privé, le conflit d’intérêts apparaît évident au regard de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, qui définit ce conflit comme « une situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ». Si M. Morelle avait conseillé l’industrie automobile, par exemple, il n’y aurait pas eu conflit d’intérêts.

« En tant que fonctionnaire, un certain nombre d’activités annexes sont autorisées par la loi, dont l’enseignement et le conseil », fait valoir M. Morelle pour sa défense. Une déclaration de ces activités de conseil auprès de sa hiérarchie à l’IGAS aurait-elle changé quelque chose sur le fond ?

L’exercice d’activités « accessoires » est effectivement permis, mais soumis à une autorisation préalable de son administration. La question est donc bien desavoir si M. Morelle a fait cette demande et, le cas échéant, si ses supérieurs auraient donné leur autorisation. Au vu des déclarations parues dans la presse, cette autorisation n’aurait, semble-t-il, jamais été donnée. Par ailleurs, en cas de doute, la commission de déontologie de la fonction publique, compétente pourexaminer les activités de cumul, aurait également pu être saisie. M. Morelle rappelle d’ailleurs qu’il avait saisi cette commission en 2003 lorsqu’il avait été détaché de la fonction publique pour travailler chez la société de communication Euro RSCG.

En 2007, la loi était-elle différente concernant les conflits d’intérêts ?

La principale différence par rapport à 2007 est qu’aujourd’hui le conflit d’intérêts est défini par la loi et qu’il est donc possible de dire ce qui relève du conflit d’intérêts. Mais déjà en 2007, le délit de prise illégale d’intérêt, qui est en fait la traduction pénale du conflits d’intérêts, existait. Ce dernier définit ainsi la prise illégale d’intérêt, comme le fait pour une personne chargée d’une mission de service public de détenir un intérêt quelconque dans une entreprise dont elle a, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance. Ce délit est, à l’heure actuelle, passible de 5 ans de prison et 500 000 euros d’amende.

La justice va-t-elle enquêter sur une éventuelle prise illégale d’intérêt ?

Le ministère public peut décider de lancer une enquête de son propre chef. Par ailleurs, rappelons que, depuis la loi du 6 décembre 2013, les associations anticorruption peuvent également saisir la justice dans l’hypothèse où le parquet n’estimerait pas opportun d’agir.

Ces faits peuvent-ils être couverts par la prescription ?

La loi prévoit en théorie une prescription de trois ans. Mais, selon le principe dégagé par la jurisprudence de la Cour de cassation, le point de départ des infractions occultes ou dissimulées peut être reporté à la date de découverte des faits, et non à partir du moment où ils ont été commis. On peut donc imaginer que, si on a confirmation que l’IGAS n’avait pas connaissance de l’activité privée de M. Morelle, le principe d’un tel report puisse s’appliquer.

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s’est saisie du dossier. Que peut-elle faire ?

C’est une bonne chose de voir que cette autorité indépendante, qui est toute nouvelle, se saisit spontanément d’un dossier qui relève de son champ de compétence. Cela dit, je ne pense pas qu’elle sera en mesure de déterminer s’il y a eu conflit d’intérêts en 2007, car les faits sont trop anciens. La loi prévoit que les déclarations d’intérêts et de patrimoine, que la Haute Autorité est chargée de contrôler, portent sur les activités exercées au cours des cinq dernières années, mais pas au-delà. On peut également regretter que, suite à une décision du Conseil constitutionnel, ces déclarations ne soient pas rendues publiques pour les personnes non élues et les fonctionnaires. L’affaire Morelle montre en quoi la transparence sur ces déclarations pourrait permettre de mettre au jour, beaucoup plus rapidement, les risques de conflit d’intérêts.

Lemonde.fr

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