De la sincérité du scrutin au respect des résultats du vote du 25 octobre 2015 en Côte d’Ivoire #présidentielle
Lorsque de grands périls menacent l’Etat, on voit souvent le peuple choisir avec bonheur les citoyens les plus propres à le sauver ». A. DE TOCQUEVILLE
Abidjan, le 04-10-15 (lepointsur.com)-Les citoyens, dans les régimes démocratiques, doivent être des observateurs actifs et des arbitres des péripéties de la vie politique. Dans ces conditions, les objectifs poursuivis par les partis politiques et les candidats sont variés. Ces derniers, en tant que médiateurs indispensables entre la politique et les citoyens, organisent et mobilisent des soutiens autour de leurs programmes ou de leurs candidats. Ce travail est particulièrement visible en période d’élection.La compétition électorale est un moment décisif dans un système démocratique. C’est elle qui assure aux futurs détenteurs du pouvoir leur légitimité politique. Certains détiennent déjà les leviers de commande et cherchent à les conserver pour eux-mêmes ou leurs successeurs. D’autres, en revanche, aspirent de toutes leurs forces à les conquérir. Les élections doivent être l’objet d’un grand intérêt de la part des électeurs et traduire l’attachement des citoyens à défendre leurs intérêts ou leurs préoccupations auprès du pouvoir politique.
L’organisation matérielle du déroulement des opérations de vote doit garantir la liberté de l’électeur et la sincérité du scrutin. Elle doit faire l’objet d’une réglementation minutieuse. Les dispositions de la loi électorale s’efforcent de parer les fraudes constatées ou menaçantes.Cependant, il est loisible à la Commission électorale de prévoir des mesures complémentaires dans les règlements et procédures pour les élections afin d’assurer le secret du vote et la liberté du suffrage lorsqu’il lui apparaît que les mesures prévues dans les lois électorales sont insuffisantes.
La notion de » sincérité du scrutin » est, sans doute, l’une des plus répandues du droit électoral, selon les termes de Richard GHEVONTIAN, alors Professeur à la Faculté de droit et science politique d’Aix-Marseille, dans le Cahiers du Conseil constitutionnel n° 13 (Dossier : La sincérité du scrutin- janvier 2003). Le juge électoral, quel qu’il soit, l’utilise très fréquemment dans ses décisions et lui fait même jouer un rôle majeur puisque c’est son respect ou son atteinte qui détermine, le plus souvent, le sort du contentieux en cours.
Au coeur même du droit électoral, la notion de sincérité du scrutin souffre cependant d’une sorte de défaut de visibilité. Si sa perception » macroscopique » est relativement simple, elle s’avère beaucoup plus complexe lorsque l’on passe au niveau » microscopique « .Vue de loin, on peut définir la sincérité du scrutin comme le révélateur de la volonté réelle de l’électeur. Dès lors que celle-ci ne peut pas être connue de manière certaine, et donc qu’il est impossible de connaître avec certitude le choix majoritaire des électeurs, l’élection est annulée par le juge. L’atteinte à la sincérité du scrutin est toutefois souvent liée à deux paramètres: l’écart de voix et l’influence déterminante de l’irrégularité génératrice du défaut de sincérité.
Toute la question est alors de savoir ce qui permet de garantir cette sincérité du scrutin. Et il faut bien reconnaître, qu’ici, la réponse n’est pas aisée tant les cas retenus par la jurisprudence sont nombreux et variés.En réalité, en y regardant de près, on s’aperçoit que cette notion en apparence éclatée trouve son unité autour du respect d’un certain nombre de principes fondamentaux du droit électoral que l’on peut intégrer, pour reprendre l’expression de Pierre Garrone, dans le » patrimoine électoral européen » voire international. Ces principes sont: l’égalité, la liberté et le caractère secret du vote. Ils sont d’ailleurs si importants qu’ils font l’objet, dans la plupart des démocraties respectueuses de l’État de droit, d’une consécration constitutionnelle.
Ainsi, la Constitution française de 1958, proclame-t-elle dans son article 3 que » le suffrage est universel, égal et secret « , directive reprisedans les lois ivoiriennes. Même si cet article ne fait pas référence de manière expresse à la liberté de suffrage, celle-ci est implicite: toute violation de cette liberté serait, en effet, directement contraire au principe démocratique réaffirmé à l’article premier de cette Constitution.
Si ces principes fondamentaux du droit électoral ont une valeur identique, leur portée peut être variable: la sincérité du scrutin peut, en effet, se mesurer de manière collective à travers le corps électoral considéré dans son ensemble ou bien à travers l’électeur à titre individuel.
La fraude électorale est mortelle pour la démocratie et la lutte contre la fraude est une mesure de salubrité civique. C’est la raisonpour laquelle, il est indispensable que les sanctions pénales prononcées contre les auteurs ou les organisateurs de la fraude soient particulièrement sévères pour avoir un effet véritablement dissuasif. La notion de sincérité du scrutin apparaît bien comme centrale dans le droit et le contentieux électoral.Si la démocratie est la seule forme de pouvoir compatible avec l’État de droit, elle ne peut réellement exister que si l’élection, qui en constitue le temps fort, est entourée de toutes les garanties nécessaires pour en assurer la régularité et donc la sincérité.
Cet objectif n’est pas toujours facile à atteindre tant les modalités de l’élection sont complexes et les procédures minutieuses voire tatillonnes. La sincérité ne peut être préservée que si l’État reste bien dans sa position d’acteur neutre et objectif. Mais elle dépend aussi en grande partie du sens civique des citoyens. Ceux-ci ne doivent jamais oublier que la démocratie est un bien précieux qui n’est pas le mieux partagé du monde et surtout qui n’est jamais acquis pour l’éternité. Et le bon usage de la démocratie implique un effort de tous les instants. Ce n’est qu’à ce prix que la volonté des citoyens, librement exprimée, sera véritablement la source de tout pouvoir.
La liberté et le pluralisme de la communication sont des conditions essentielles de la démocratie. C’est pourquoi, l’organisme indépendant chargé de veiller à leur respect dans le domaine de la communication audiovisuelle, doit être opérationnel et fonctionnel. La campagne électorale est souvent l’acte déterminant de l’élection. Elle doit donc assurer l’égalité entre les candidats, entre les partis politiques de même que la régularité de leur « affrontement ». C’est vrai que tous les candidats, les partis politiques ne disposent pas des mêmes moyens matériels et financiers pour mener leurs campagnes électorales. Mais, la campagne électorale doit rester dynamique et les rassemblements doivent se dérouler dans une ambiance pacifique.
Dès que les opérations de vote prennent fin et que le scrutin est clos par déclaration publique du président du bureau de vote, commence le dépouillement des votes sur place conformément aux procédures et règlements prévus. Il est indispensable que cette opération soit conduite honnêtement, sinon l’ensemble du vote en serait faussé.Les travaux de dépouillement des votes sont menés par le bureau de vote. Le bureau détermine ensuite les suffrages exprimés et ceux qui se sont portés sur chaque parti politique ou candidat indépendant. Ces résultats sont consignés sur un procès-verbal rédigé par le secrétaire du bureau de vote. Enfin, les résultats du bureau de vote considéré sont transmis à la commission centrale pour être proclamés. (En France, le dépouillement des votes est mené par des scrutateurs mais sous la surveillance des membres du bureau de vote. « Le bureau désigne parmi les électeurs présents un certain nombre de scrutateurs sachant lire et écrire, lesquels se divisent par table de quatre au moins. Si plusieurs candidats ou plusieurs listes sont en présence, il leur est permis de désigner respectivement les scrutateurs, lesquels doivent être répartis également autant que possible par chaque table de dépouillement.Le nombre de table ne peut être supérieur au nombre d’isoloirs », l’article L. 65 du Code électoral).
L’étude du contentieux électoral n’a d’intérêt réel que dans les systèmes politiques pleinement pluralistes. Le contentieux électoral permet de vérifier la régularité du processus électoral c’est-à-dire la sincérité du scrutin. Le professeur Robert Pelloux a écrit que « le consentement populaire doit demeurer la seule source de légitimité pour les gouvernants (…). Il importe que les résultats des élections (…) apparaissent aussi indiscutables que possible aux yeux des électeurs et de l’opinion publique ». Le contrôle du contentieux électoral est l’un des mécanismes qui permettent l’application effective du principe démocratique et la légitimité de la représentation politique.Il convient de remarquer enfin que le contentieux électoral n’a pas la prétention de substituer le verdict du juge au verdict des électeurs. Il a pour objectif de faire respecter des règles de loyauté ainsi que les principes démocratiques énoncés dans la Constitution et dans les lois électorales. De ce point de vue, il entreprend de rectifier des erreurs, de corriger des irrégularités, de faire respecter les règles de forme et de fond qui enserrent le processus électoral.
Certes, il n’existe pas de système permettant de contrôler d’une manière parfaite la sincérité d’une élection. Mais «pour être pleinement satisfaisant, le contrôle de l’élection doit être à la fois équitable etefficace » (Philippe (L), Le contentieux des élections aux assemblées politiques françaises, L.G.D.J, 1961, p. 213). Il doit contraindre les acteurs politiques au respect de certaines « règles sans lesquelles une consultation perd toute signification »(Dominique Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, éd., Montchrestien, Paris, 1990, p. 262). La recherche de la répression des fraudes électorales ou de la responsabilité pénale peut être pervertie et devenir une arme politique permettant l’élimination d’un adversaire politique lorsque la justice électorale ou pénale, telle qu’elle est mise en œuvre au moment du processus électoral, permet au parti « dopé » de s’assurer le gain de l’élection sur le terrain juridictionnel.
Les observateurs outillés de la politique internationale s’accordent à reconnaître que la justice constitue en Côte d’Ivoire la pierre d’achoppement de la manifestation réellede l’Etat de droit et la consolidation de la démocratie. Pourtant, la justice se réforme, bien que difficilement, depuis l’accession au pouvoir du Président Alassane OUATTARA. La justice est la principale mission de souveraineté. Elle est consubstantielle à la notion même d’Etat. La crise de la justice deviendrait l’une des manifestations les plus graves de la crise de l’état de droit. C’est pourquoi, les acteurs du système judiciaire gagneraient à faire preuve de responsabilité éthique durant ce cycle électoral pour ne pas compromettre la sécurité juridique de l’élection du 25/10/2015.
La gouvernance démocratique est l’un des enjeux majeurs auxquels toute l’Afrique est confrontée aujourd’hui et les élections revêtent une importance capitale pour la démocratie. Il y a des impératifs à respecter pour le renforcement d’une démocratie effective sur le continent et en particulier pour la tenue des élections qui soient libres, équitables, crédibles et légitimes. Les élections sont considérées par ailleurs comme l’un des facteurs clés pour la stimulation, la consolidation et l’enracinement de la démocratie.Il y a donc un besoin de revitalisation de notre prise de conscience durant les trois phases principales que sont la phase pré-électorale,la phase électorale et la phase post-électorale afin de favoriser un environnement qui rende sincère le scrutin et l’acceptation des résultats électoraux par tous les acteurs et forger une dynamique de culture démocratique en Côte d’Ivoire.
J’appelle les leaders des partis politiques, coalitions et les candidats indépendants concurrents à l’élection du 25 octobre 2015 à favoriser un environnement politique et social qui limite les manipulations avant, pendant et après le vote et à adopter une posture de civisme, à faire preuve de compréhension républicaine et à respecter la volonté du peuple afin de donner un exemple démocratique de maturité politique à l’Afrique et au monde en général.
Docteur Pascal ROY
Philosophe–Juriste–Politiste–Coach politique–Analyste des Institutions, expert des droits de l’Homme et des situations de crises–Médiateur dans les Organisations–Enseignantà l’Université–Consultant en RH–Écrivain-Chroniqueur
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