CULTURE: Fondation Louis Vuitton : le mécénat d’entreprise sans la générosité


L’essor du mécénat des entreprises est assez récent en France. Mais il bénéficie aujourd’hui de conditions fiscales particulièrement avantageuses, au risque de soulever de légitimes interrogations quand ces opérations servent de support à de gigantesques actions de communication.

Le cas de la fondation Louis Vuitton est emblématique à cet égard. L’entreprise LVMH – véritable réussite industrielle datant de l’ère Henri Racamier – dispose de relais politiques et médiatiques sans équivalent en raison de l’énormité de ses dépenses publicitaires, qui tiennent à distance les discours critiques.

Bernard Arnault, qualifié par certains de prédateur sans scrupules, assoiffé de richesses et tenté par l’exil fiscal en Belgique, devient par la magie du mécénat un protecteur admiré et désintéressé des arts et de la culture. Cette affirmation doit être nuancée.

L’entreprise se situe dans une perspective d’optimisation fiscale et fait payer par l’ensemble des Français plus de la moitié du coût de la fondation, qui dépasse très largement les 100 millions d’euros annoncés. Dans une période de disette budgétaire, le coût pour le trésor public est loin d’être négligeable.

BANALISATION DE PRODUITS

Comme dans le cas de la fondation Cartier, l’instrumentalisation des artistes – les mêmes que l’on trouve dans tous les musées et centres d’art du monde – vise à lutter contre la banalisation de produits qui n’ont souvent d’artisanal que leur réputation.

Par ailleurs, comment convaincre les riches clientèles de continuer à acheter des produits qui reposent sur une part de rêve et d’imaginaire ? C’est là le sens de la création de la fondation Louis Vuitton : forger une alliance imaginaire entre une multinationale gourmande de profits et des « actifs » capables d’apporter une précieuse valeur ajoutée à ses produits : Paris, le patrimoine, la culture et l’art de vivre à la française.

Bien que bénéficiant d’accommodements fiscaux considérables, sur le fondement de son caractère culturel relevant de l’intérêt général, la fondation n’hésite pas à instaurer un prix d’entrée de 14 euros (et une « offre famille» à 32 euros). Les pauvres ne seront pas les bienvenus, mais il est vrai qu’ils sont rarement les acheteurs d’articles de luxe. Quant aux enfants, ils devront payer à partir de… 3 ans ! Foin des promesses sur l’éducation à l’art : à l’ère du capitalisme esthète (Gilles Lipovestsky), il faut apprendre tôt la valeur de l’argent.

Dès lors – et malheureusement avec le concours de conservateurs du patrimoine – la fondation affirme par là-même que l’art moderne et contemporain est un « produit » de luxe, réservé à une élite internationale et à consommer dans l’entre soi.

Triste constat, qui contraste même avec l’attitude des grands mécènes américains, pourtant souvent cités en exemple, qui mettent au moins en cohérence un discours fondé sur la notion de générosité avec l’ouverture gratuite au public de leurs collections, comme les musées Getty et Hammer à Los Angeles ou encore le nouveau Crystal Bridges Museum of Art de la milliardaire Alice Walton Art à Bentonville (Arkansas).

SOURCE : LEMONDE

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