[Culture] « Cheick Yvhane, le rebelle » par Vincent Toh Bi
Abidjan, le 21-12-2022 (lepointsur.com) Quand il arrive à la maison après les cours, ce jour de 1996, le jeune Cheick Yvhane assiste au spectacle inattendu d’une expulsion de sa famille manu militari de leur maison d’Adjamé Quartier Istanbul. Il en est traumatisé.
Il est alors en classe de Première au Lycée Technique d’Abidjan.
La cour commune de 10 maisons et 10 familles pour une seule douche avait été discrètement vendue par le propriétaire à une dame, qui ambitionnait de tout raser pour en faire un immeuble.
Le père de Cheick Yvhane est conducteur d’engin Caterpillar en poste au garage municipal de la Mairie d’Abidjan (à l’époque), sous le Maire N’Koumo Mobio. Il est à la retraite il y a un an quand l’expulsion a lieu. La mère est ménagère, comme on l’écrivait. En réalité, elle fait du petit commerce.
L’expulsion déporte Cheick Yvhane et sa famille au Plateau Dokui, Carrefour Policier à gauche, sur un terrain où le père avait commencé à construire une maison quand il était en activité.
Cheick est un petit cireur de chaussures pendant les vacances, vendeur de « toffee » avec ses sœurs dans le quartier.
Dans cette famille nombreuse de 9 enfants (3 filles et 6 garçons), dont Cheick est le 4ème, la mère est obligée d’avoir un réflexe d’entrepreneur et de commerçante, comme presque toutes les femmes d’Adjamé.
La mère de Cheick vend de l’eau à la pompe. Puis elle commercialise un yaourt de bas-quartier très apprécié par les enfants à l’époque, « yaourt grotto », un yaourt congelé dans de petits pots en aluminium avec des tigettes de bambou.
La débrouillardise de la mère la conduit à l’ouverture d’un lieu de restauration de fortune très prisé par les travailleurs désargentés, un « kiosque Diallo », dans la jungle de la gare routière d’Adjamé.
Avec les revenus de son kiosque, la mère ouvre un lavage à Adjamé.
Le jeune Cheick, grâce à l’acharnement de ses parents, a le privilège de fréquenter une école privée, Saint Michel d’Adjamé. Il a même l’honneur d’y faire la maternelle auparavant.
Lorsqu’il arrive en classe de CE2, les frais de scolarité grimpent à 34.000 frs. Les parents ne peuvent plus s’offrir le luxe d’y laisser leur enfant. Ils l’inscrivent alors dans un établissement public, EPP Raymond Declerc, toujours à Adjamé. Il y obtient le CEPE l’Entrée en 6ème.
Il rentre au Lycée Garçons de Bingerville. Il échoue au BEPC en 1994 et reprend la 3ème. En 1995, il obtient enfin le BEPC. Orienté au Lycée Technique d’Abidjan, il y finit ses études avec un Bac B.
La période 1997-2004 est une période particulièrement pénible pour lui.
Cheick étudie à Dokui à la lumière des lampadaires, l’éclairage public de rue. Sans argent, il réussit in extrémis à s’acquitter des droits d’examen au Bac.
Déconcentré, il obtient une moyenne de 3,62/20 en mathématiques en Première. C’est catastrophique pour la filière qu’il choisit. Il se rapproche en Terminale de son professeur de mathématiques, Daingui Clément, qui lui fait faire des exercices supplémentaires à la maison. Le semestre suivant, il remonte à 11/20, avant de finir l’année à 15,75/20.
En 1999, bien après l’obtention du Bac B (Sciences Économiques), il échoue au test d’entrée à l’INSET. Il s’oriente vers une école technique à Abidjan, ESIC Afrique.
Cheick part à l’école avec des habits bigarrés et serrés parce qu’il n’a pas l’argent pour s’acheter l’uniforme en vigueur dans cette grande école.
Un jour l’un des enseignants, Ehu Brou, qui le prend en pitié, lui offre 3.000 Frs pour s’acheter la carte de bus du mois.
Après quelques années de tribulations, il obtient le diplôme de BTS en Gestion Commerciale, puis l’année d’après un DTS en Communication.
Une bonne âme en la personne de Madame Jeanne Coulibaly (Voisine à Dokui), qui est Sous-Directrice Marketing à la RTI, lui trouve un stage à la Chambre de Commerce de Côte d’Ivoire.
Encadré par Pascale Kouamé (première Chargée de Communication de l’institution), il prépare et achève son mémoire de fin de cycle.
Après sa formation, Cheick est sur le marché du travail où le plus dur commence. En désespoir de cause, il est animé par le désir de faire de la radio, chose qu’il n’avait jamais envisagée pendant sa formation. Il végète.
Pascale Kouamé, grâce à ses contacts, vient encore à son secours. Elle lui demande si Cocody FM pourrait l’intéresser. Mais quand elle lui revient, elle lui parle plutôt d’un casting à Radio Nostalgie.
En Mai 2003, un casting a lieu pour un recrutement à… Radio Nostalgie.
Cheick y rencontre Sarah Dicko et Hervé Cornuel (tous deux aujourd’hui décédés). Ils lui donnent rendez-vous le lendemain pour le casting. Hamed Bakayoko a déjà quitté la direction de la Radio pour devenir Ministre des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.
Toute la nuit, à l’aide d’un magnétophone, Cheick répète en s’inspirant de RFI. Il travaille sa diction.
Le lendemain, il a le trac quand il se rend à Radio Nostalgie pour le test. Il pose la voix. Claire Elvire trouve que ce n’est pas mal pour un débutant et lui donne l’opportunité d’un stage d’un mois. Il y restera plusieurs mois de stage pourtant.
Il écrit des dépêches mais ne passe pas à l’antenne. Il ronge ses freins.
Le 03 Juin 2003, Sarah Dicko, absente de la Rédaction l’appelle et lui dit de passer à l’antenne pour lire le Flash Info de 11 heures. Une chance inespérée.
Lorsqu’il finit, Claire Elvire, Directrice des Programmes Adjointe Intérimaire le félicite, mais il s’entend dire par un autre membre de la direction que sa prestation a été piètre et qu’il ne passera plus à l’antenne.
Il se replie sur son travail de rédaction des dépêches et gère sa frustration et sa patience.
Plusieurs mois plus tard, il est confirmé à Nostalgie par Sarah Dicko et reprend l’antenne.
Cette fois, c’est bon. Il conçoit des émissions et enchaine des succès.
En 2006, il obtient sa Maîtrise en Sciences et Technique de la Communication à l’EFAP Afrique dont Serges Pacome Aoulou est le Directeur. Il finit Major.
En 2006, il obtient le Prix Ebony à 25 ans.
En 2008, il obtient le Prix « Jean Hélène » Radio France Internationale(RFI)/ Reporter Sans Frontières(RSF)/ Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) du Meilleur Reporter de l’Espace Francophone.
Il reçoit le Prix des mains de la Gouverneure Générale du Canada.
En 2009, il devient le Rédacteur en Chef de Radio Nostalgie.
En 2010, il est Directeur des Programmes Adjoint et Directeur des Programmes de Radio Nostalgie.
En 2013, il obtient à nouveau le Prix Ebony.
En Mars 2016, soit 13 ans après avoir rejoint l’équipe, il atteint le sommet de la hiérarchie et est nommé Directeur Général de Radio Nostalgie. Quel parcours pour un enfant désorienté par l’expulsion de sa famille d’une maison de location à Adjamé !
En 2016, Cheick Yvhane convainc sa hiérarchie de participer à l’appel d’offres de la HACA pour l’attribution de nouvelles licences de télévision. Il y travaille. En 2017, le communiqué suivant est rendu public sur Abidjan.Net :
“COMMUNIQUE DE PRESSE
La SGM (Société Grands Médias) est heureuse de vous annoncer que le nom commercial de sa chaîne de télévision généraliste est NCI, La Nouvelle Chaîne Ivoirienne.
Le positionnement et le contenu éditorial ont été minutieusement conçus par Cheick Yvhane, actuel Directeur général et Directeur des programmes de Nostalgie Côte d’Ivoire, avec le concours de René SAAL anciennement Directeur d’antenne de Canal Plus pour répondre aux attentes des populations ivoiriennes. Le volet technique est piloté par le consultant expert Philippe ESPINET, ex-directeur technique de prestigieuses entreprises françaises telles que BFM TV, L’EQUIPE et de la production de TF1 – LCI.
NCI émettra en 2018 au lancement de la TNT. Elle disposera de studios de Technologie de pointe.
Les dirigeants promettent d’offrir aux Ivoiriens le meilleur de la télévision à travers nombre de programmes de qualité produits localement par des Ivoiriens et pour les populations de Côte d’Ivoire.
NCI entend ainsi refléter la diversité de la Côte d’Ivoire et sa diaspora et se veut moderne, innovante, informative et divertissante.
NCI ambitionne, par ailleurs, de se poser en révélateur de talents dans tous les domaines.
Contact : info@nci.ci”
Cheick est heureux de participer à l’éclosion d’un rêve : la mise en place d’une télévision privée de qualité pour donner de nouvelles orientations à l’espace audiovisuel ivoirien et africain.
Mais tout n’est pas rose dans cette évolution. Cheick Yvhane essuie des revers. En 2005, il mène une enquête par le magazine « Micro-vision » sur un dossier sensible ; ses conclusions ne passent pas. Il écope d’une mise à pied de 19 jours.
Il en profite pour remettre de l’ordre dans ses objectifs de vie et crée un autre magazine « Regards ».
Cheick Yvhane est ambitieux. Il n’a jamais rêvé d’être animateur radio, mais plutôt Chef d’entreprise.
Il multiplie les formations pour accroître ses capacités.
En 2010, il obtient un Master en Administration des Entreprises, à AGITEL.
Avec ses talents, il peut désormais combiner son ambition, sa passion et son art. Voyant venir la libéralisation de l’espace audio-visuel, il prend ses épargnes et repart pour les études aux Etats-Unis en Octobre 2013. Il y obtient en Californie un Certificat en Television Production à l’Academy of Radio and Television Broadcasting (dont il est le premier Etudiant international et où il obtient la note « Excellent ») .
En 2019 encore , il obtient un Certificat en Management Innovant et en Leadership Entrepreneurial à Bapson College à Boston , aux États-Unis.
En fin 2019 il repart pour HEC Paris où il obtient le diplôme Executive MBA, le numéro un des Executive MBA au monde selon le Financial Times.
Aujourd’hui Cheick Yvhane est l’un des animateurs de l’audo-visuel les plus respectés de Côte d’Ivoire.
Oubliés les pantalons cintrés, les petits boulots de cireur, les « kiosques Diallo » et les expulsions.
Ne se contentant jamais du peu, il développe parallèlement ses talents littéraires. Il publie des ouvrages dont il est l’auteur :
-Regards, Chroniques Illustrées (Go Medias)
-On va se réconcilier, Pian ! (Les Classiques Ivoiriens)
-Pathé’O, de Fil en Aiguille (Les Classiques Ivoiriens)
Jeunes, Cheick Yvhane vous dit : quand vous regardez ce qui brille à l’instant, cherchez l’origine de son éclat dans l’obscurité de départ. Brillez de votre feu à volonté et à satiété.
Vincent Toh Bi